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Lotissements : la position "anti-ALUR" de la Cour de Cassation. Par Jérôme Nalet, Avocat.
Parution : mercredi 8 mars 2017
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Ceux qui ont le courage d’examiner sous toutes ses coutures le vaste fourre-tout que constitue la loi dite ALUR du 24 mars 2014 découvriront l’article 159, qui forme à lui seul sa section 6, l’ensemble étant intitulé « Mobiliser les terrains issus du lotissement ».

L’objectif est clairement énoncé, bien que de façon pudique : il s’agit pour le Législateur de tenter de fragiliser les documents des lotissements, qui constituent un frein à la construction dans les grandes agglomérations.

Dans cette optique, ont été modifiés ou complétés les articles L.442-9, L.442-10 et L.442-11 du Code de l’Urbanisme.

Je ne m’attarderai pas ici sur les deux derniers de ces articles. Il importe simplement de savoir qu’ils ont été modifiés pour abaisser la majorité de colotis exigée pour demander à l’autorité publique compétente de modifier les documents du lotissement (article L.442-10) et renforcer la faculté, pour cette même autorité, de mettre en concordance les documents du lotissement avec le Plan Local d’Urbanisme (article L.442-11). Mais ces deux possibilités sont, à ma connaissance, assez peu utilisées et la jurisprudence en la matière reste très clairsemée.

L’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme, en revanche, fait l’objet d’un contentieux qui se développe et ne peut à mon avis qu’augmenter, à la fois car il est très maladroitement rédigé et compte tenu du manque de terrains disponibles pour construire.

En voici la version actuelle (qui diffère très peu de celle issue de la loi ALUR, tenant simplement compte d’un changement de numérotation de l’article qui concerne les terrains lotis en vue de la création de jardins) :

« Les règles d’urbanisme contenues dans les documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé, deviennent caduques au terme de dix années à compter de la délivrance de l’autorisation de lotir si, à cette date, le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu.
De même, lorsqu’une majorité de colotis a demandé le maintien de ces règles, elles cessent de s’appliquer immédiatement si le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu, dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
Les dispositions du présent article ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux terrains lotis en vue de la création de jardins mentionnés à l’article L. 115-6.
Toute disposition non réglementaire ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble, contenue dans un cahier des charges non approuvé d’un lotissement, cesse de produire ses effets dans le délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 précitée si ce cahier des charges n’a pas fait l’objet, avant l’expiration de ce délai, d’une publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier.
La publication au bureau des hypothèques ou au livre foncier est décidée par les colotis conformément à la majorité définie à l’article L. 442-10 ; les modalités de la publication font l’objet d’un décret.
La publication du cahier des charges ne fait pas obstacle à l’application du même article L. 442-10. »

Rappelons-le : les parties communes et éléments communs des lotissements sont le plus souvent administrés par des Associations Syndicales Libres (ASL) ou des Associations Foncières Urbaines Libres (AFUL), dont l’organisation interne est régie par des statuts.

S’y ajoutent, en règle générale, un cahier des charges, un règlement de lotissement ou un cahier des charges approuvé. Malheureusement, les dénominations varient et ces documents coexistent parfois, ce qui contribue au flou artistique en la matière.

Ils comportent souvent des règles encore plus contraignantes que celles contenues dans le Plan Local d’Urbanisme de la commune à laquelle le lotissement appartient, d’où la volonté législative d’en altérer la portée.

Le cahier des charges est contractuel par nature, ce qui logiquement devrait le rendre inamovible. Pour tenter de passer cet écueil, le texte distingue en son sein « les clauses de nature réglementaire » des « droits et obligations régissant les rapports entre colotis ». Les premières sont réputées caduques dans les dix ans de l’arrêté de lotir. Quant aux seconds, ils sont maintenus. Mais qu’est-ce qu’une clause de nature réglementaire ? Comment demander au Juge Civil de porter une telle appréciation ? Et comment, au surplus, appréhender la notion de « disposition non réglementaire ayant pour objet ou pour effet d’interdire ou de restreindre le droit de construire ou encore d’affecter l’usage ou la destination de l’immeuble », introduite par la loi ALUR ? Ce malaise évident n’est sans doute pas étranger au fait qu’aucun décret ne soit encore paru (trois ans plus tard et à deux ans de l’échéance fixée) s’agissant des modalités de publication mentionnées au dernier alinéa de l’article L.442-9… Et sa parution n’apporterait d’ailleurs pas franchement de solution au problème.

Cela pourrait paraître plus simple s’agissant du règlement de lotissement et du cahier des charges approuvé. Le règlement de lotissement est en réalité, depuis 1977, la nouvelle appellation du cahier des charges approuvé. Ce changement visait à mettre fin à la double nature (à la fois administrative et civile, réglementaire et contractuelle) du cahier des charges approuvé. La loi ALUR a en tout cas, pour ces deux documents, supprimé la possibilité pour les colotis de demander le maintien des règles qu’ils contiennent à la majorité de l’article L.422-10 (et privé d’effet les demandes de maintien opérées avant son entrée en vigueur). Ainsi, la situation devait a priori être plus claire que pour les cahiers des charges non approuvés : les règles d’urbanisme contenues dans les règlements de lotissement et les cahiers des charges approuvés devaient être frappées de caducité dans les dix ans de l’arrêté de lotir, sans qu’il soit besoin de trier, d’interpréter, etc…

Mais la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation ne l’entend pas de cette oreille et l’année 2016 nous a apporté à ce sujet quelques démonstrations éclatantes.

Dans son arrêt du 7 janvier 2016 (n°14-24.445), elle confirme ne voir aucun obstacle à ce que les membres d’un lotissement choisissent de « contractualiser » un règlement de lotissement, de façon à ce que les règles qu’il contient échappent à la sanction de la caducité passés les dix ans de l’autorisation de lotir.

La loi ALUR, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ne remet donc pas en cause cette possibilité, ouverte avant elle par la jurisprudence.

En outre, est validée la position de la Cour d’Appel qui avait estimé qu’un article du règlement de lotissement prohibant un certain type de constructions n’était pas une règle d’urbanisme « mais une disposition destinée à régir les rapports entre les colotis et les modalités de vie en commun (…) ».

Son arrêt du 21 janvier 2016 (n°15-10.566) est le seul à avoir fait l’objet de quelques commentaires, sans doute car il a été publié au bulletin.

Il confirme le caractère contractuel des clauses du cahier des charges régissant les constructions comprises dans le lotissement, ce qui en soi n’est pas étonnant.

Mais, au passage, l’opportunité de poser une question préjudicielle à la juridiction administrative (sur le fait de savoir si la clause considérée devait être qualifiée ou non de règle d’urbanisme) est écartée.
Or, il s’agissait d’un article du cahier des charges « limitant la superficie des constructions pouvant être édifiées sur chaque lot »

Cette prise de position prend d’autant plus de force que la décision de premier degré était une ordonnance du Juge des Référés ordonnant une démolition après avoir retenu l’existence d’un trouble manifestement illicite, ce qui paraissait extrêmement sévère.

L’arrêt rendu le 29 septembre 2016 (n° 15-22414 et 15-25017) me paraît tout aussi important.

La Cour d’Appel estimait qu’un règlement de lotissement (dont on comprend qu’il avait ensuite été rebaptisé cahier des charges, certaines modifications ayant à cette occasion été opérées) devait être considéré comme ayant acquis une valeur contractuelle.

Cette appréciation est validée sans équivoque par la Cour de Cassation, mais avec encore plus de fermeté que dans sa décision du 7 janvier 2016 :

« Mais attendu qu’ayant retenu souverainement que l’article 3-02 du cahier des charges du lotissement, prévoyant la création d’une construction par lot d’un ou plusieurs logements, n’était pas la reproduction de la règle d’urbanisme plus contraignante prévoyant une seule construction d’un logement par lot et exactement que cette règle du cahier des charges avait un caractère contractuel et était justifiée par la destination du lotissement et engageait les colotis entre eux, la Cour d’Appel, qui a relevé qu’une construction à usage d’habitation avait déjà été édifiée sur le lot n° 15, n’a pu qu’en déduire, sans dénaturation, que M. J… et Mme I… devaient démolir la construction édifiée (…). »

La 3ème Chambre Civile persiste et signe le 13 octobre 2016 (n° de pourvoi 15-23674), cette fois concernant un cahier des charges approuvé.

Elle affirme sans détour « que les clauses du cahier des charges d’un lotissement, quelle que soit sa date, approuvé ou non, revêtent un caractère contractuel et engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues (…). »

Une démolition lourde de conséquences est à nouveau validée : il s’agit d’une piscine, de trois murs de soutien et d’un local technique.

Mais elle marque aussi la volonté de la Cour de Cassation de s’affranchir de la lettre de l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme issu de la loi ALUR, ce quel que soit le document considéré.

En résumé, les règlements de lotissement peuvent selon elle devenir des contrats au-delà des dix ans de l’autorisation de lotir (si les colotis en ont marqué la volonté) et les cahiers des charges (qu’ils soient approuvés ou non) rester applicables dans leur globalité sans condition de délai.

A la réflexion, cette entrée en résistance n’a rien de surprenant : abstraction faite des difficultés d’interprétation presque insurmontables engendrées par l’article L.442-9 du Code de l’Urbanisme, la nécessité de construire davantage ne doit pas se faire au mépris d’autres impératifs (en l’occurrence, la force obligatoire du contrat et le respect du droit de propriété).

Spécialiste en Droit Immobilier Avocat Associé au sein de la SELARL FEUGAS AVOCATS http://www.nalet-avocat.com/ http://www.feugas-avocats.com/ https://aslinfoblog.wordpress.com/
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