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Théorie de l’imprévision : de sa réception par le Code civil à son incidence en matière d’ingénierie contractuelle. Par Lucas Etienne, Juriste.
Parution : vendredi 10 mars 2017
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L’article 1103 du Code civil (ex-article 1134) dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Il s’agit là d’une règle directement inspirée de l’adage romain « pacta sunt servanda », soulignant la nécessité pour chaque partie de respecter une parole donnée, et pour les tiers (dont le juge !), de ne pas s’ingérer dans les affaires d’autrui. Son pendant négatif, le concept de droit privé médiéval « omnis convention intellegitur rebus sic stantibus », signifiant qu’une convention ne peut rester valable que si les choses demeurent en l’état, fut sacrifié lors de l’élaboration du Code civil et à l’occasion des grandes codifications européennes du XIXème siècle [1]. Ce principe, véritable terreau de la théorie de l’imprévision, a d’abord trouvé refuge dans le droit international public avant de reprendre pied dans certaines législations étrangères, notamment en Italie, Suisse et Allemagne.

Pour autant, le rejet de la théorie de l’imprévision par l’ordre judiciaire français n’est pas allé de soi. Pendant longtemps les tribunaux se sont ponctuellement arrogé le droit de réviser des conventions devenues déséquilibrées suite à la survenance d’un évènement imprévisible. Il aura fallu que la Cour de cassation intervienne par le fameux arrêt du 6 mars 1876 dit « Canal de Craponne » pour que la fronde cesse et que les juridictions chantent enfin à l’unisson.

Les années 90 ont toutefois montré un léger infléchissement du concept de « pacta sunt servanda » en France. Lors de l’affaire « Huard » (Cass. com. 3 novembre 1992), les juges ont considéré que pouvait être engagée la responsabilité d’une société refusant abusivement la révision d’un contrat, et ont donné naissance à une obligation de renégociation fondée sur le principe de bonne foi. Une solution similaire a été retenue à l’occasion de l’affaire « Chevassus Marche » (Cass. com. 24 novembre 1998), entérinant définitivement cette jurisprudence.

Souhaitée par une partie non négligeable de la doctrine, la théorie de l’imprévision a fait un retour remarqué dans le droit français à l’occasion de la réforme du droit des contrats et des obligations. Il conviendra d’abord d’étudier ses modalités de mise en œuvre (I) avant de s’intéresser à ses conséquences en matière d’ingénierie contractuelle (II).

I - La réception de la théorie de l’imprévision par le Code civil.

La mise en œuvre de la théorie de l’imprévision est soumise à des conditions d’application pour le moins nébuleuses (A). S’ensuit une procédure de renégociation alambiquée dans laquelle le juge prend une place prépondérante (B).

A - Des conditions d’application nébuleuses.

Depuis le 1er octobre 2016, chaque partie à un contrat peut en demander la révision à son partenaire contractuel sous réserve que les conditions énumérées à l’article 1195 du Code civil soient réunies, à savoir : un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion de la convention (1°), rendant son exécution excessivement onéreuse (2°) pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque (3°).

1° Un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat.

Le professeur Bruno Oppetit définissait l’évènement imprévisible comme celui que l’on ne pouvait raisonnablement demander aux parties de prendre en compte au moment où elles ont conclu leur contrat [2]. Cette définition semble concorder avec celle retenue par les juridictions civiles concernant la force majeure, dont l’imprévisibilité est une condition classique.

Pour que la force majeure puisse être mobilisée, les juges requièrent généralement que l’évènement dont se prévaut le débiteur ait été « normalement » ou « raisonnablement » imprévisible lors de la conclusion du contrat, bien que certains arrêts (minoritaires) semblent demander que l’évènement en question ait été « totalement » imprévisible. Cette dernière exigence semble pourtant excessivement restrictive si ce n’est déconnectée de la réalité car, comme le soulignait le professeur André Tunc à propos de la circulation routière : « rien n’est totalement imprévisible », les risques sont partout avec un certain pourcentage de chance de réalisation [3].

Au regard de la jurisprudence relative aux clauses de hardship et à la force majeure, le juge, pour apprécier le caractère imprévisible d’un évènement, devra donc mener une analyse in abstracto par référence à ce qu’un professionnel « raisonnablement prudent » placé dans la même situation aurait pu prévoir lors de la conclusion du contrat.

2° Rendant son exécution particulièrement onéreuse.

Une nouvelle fois, l’article 1195 du Code civil est assez flou, le juge ne disposant en la matière d’aucun guide de conduite. Où se situe donc la frontière entre l’exécution excessivement onéreuse et celle qui ne l’est pas ? Fort logiquement, l’exécution onéreuse devrait être celle se révélant préjudiciable pour le débiteur : une perte financière par exemple. Malheureusement, tout n’est pas aussi simple…

Ainsi, dans un récent arrêt en date du 12 février 2015 (n°12-29.550), la Cour de cassation a considéré qu’une société n’avait pas apporté la preuve d’une situation ayant altéré « fondamentalement » l’équilibre des prestations et justifiant l’activation d’une clause de hardship, quand bien même ladite société avait produit des lettres de ses fournisseurs annonçant des hausses de prix de 4% à 16%, entraînant une diminution de 58% de sa marge brut [4]. Une décision bien sévère au premier abord…

Cette affaire démontre parfaitement que la notion d’onérosité est subjective, faisant peser au dessus des parties une véritable épée de Damoclès : celle de l’arbitraire du juge. Il y a donc fort à parier que la frontière de l’excessivement onéreux fera l’objet de débats longs et houleux, auxquels les parties pourront toutefois se prémunir en définissant elles-mêmes, dans leur contrat, les exécutions considérées comme trop coûteuses.

3° Pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

Dernière condition essentielle à la mobilisation de l’article 1195 : la partie qui demande la renégociation du contrat pour imprévision doit ne pas avoir accepté le risque d’un changement imprévisible des circonstances. Une difficulté se pose néanmoins : comment savoir qu’une partie a accepté d’assumer un tel péril ? Afin d’éviter tout conflit, cette réponse devra, une nouvelle fois, être préalablement donnée par les parties au sein même du contrat.

Ce troisième point est en réalité capital car il soutient l’idée selon laquelle l’article 1195 du Code civil est supplétif de volonté. Les parties n’auraient qu’à inclure ce que l’on pourrait nommer une « clause d’acceptation du risque d’imprévision » pour écarter purement et simplement son application.

B - Une procédure de renégociation alambiquée.

Une fois les conditions d’application de l’article 1195 réunies s’ouvre une procédure de renégociation, se déroulant en trois phases distinctes. D’abord, la partie lésée se voit reconnaitre le droit de demander une renégociation à son partenaire contractuel (1°). En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent conjointement décider de mettre un terme au contrat où demander au juge de l’adapter (2°). Si les contractants ne parviennent pas à s’accorder, l’un d’entre eux peut unilatéralement saisir le juge afin qu’il révise la convention (3°).

1° Première phase : la demande de renégociation du contrat.

L’article 1195 dispose que la victime d’un changement imprévisible de circonstances peut demander à son cocontractant la renégociation de son contrat. Une telle précision n’étonnera personne dans la mesure où les révisions de conventions ont toujours été autorisées par le principe de liberté contractuelle. Le contrat n’est pas seulement la loi des parties, il est aussi « leur chose ». Cette phrase a néanmoins son utilité puisque la demande marque le point de départ de la procédure de renégociation mise en place par le Code civil.

L’article prend le soin de préciser que la partie lésée par le changement imprévisible de circonstances sera tenue de continuer à exécuter ses obligations. Cette précaution a évidemment pour but d’éviter les contestations dilatoires d’un contractant de mauvaise foi [5], qui souhaiterait profiter des mécanismes légaux pour suspendre l’exécution du contrat. Paradoxalement, mais inévitablement, cette règle permet à la partie à laquelle est soumise la demande d’accepter la renégociation pour mieux la faire traîner en longueur. Celle-ci s’exposera toutefois à un risque de sanction sur le fondement du nouvel article 1104 du Code civil, imposant que les contrats soient négociés, formés mais également exécutés de bonne foi.

Afin de mobiliser efficacement l’article et de se prémunir contre la mauvaise foi de son partenaire, la partie souhaitant la rectification de la convention devra évidemment se constituer les preuves de cette demande, idéalement par envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception. Elle devra aussi réunir tous les éléments permettant d’attester le refus ou l’acceptation de la renégociation et, le cas échéant, son échec ou sa réussite (notamment courriers, courriels et comptes rendus de réunions). En cas de refus ou d’échec, ces preuves permettront de saisir le juge et d’éviter que ce dernier n’oppose une fin de non-recevoir à sa saisine.

2° Seconde phase : la résolution ou la demande conjointe d’adaptation judiciaire.

Au cas où l’une des parties refuse la renégociation ou que l’ensemble des parties ne parviennent pas à trouver un accord, elles peuvent conjointement décider de résoudre le contrat « à la date et aux conditions qu’elles déterminent ». Alternativement, l’article autorise les contractants à demander au juge, d’un commun accord, de le réviser. En tout état de cause, cet accord sur la résolution ou la saisine du juge doit intervenir dans un délai raisonnable.

Selon le professeur Barthelemy Mercadal, cette demande pourra prendre la forme d’une requête conjointe telle que visée à l’article 57-1 du Code de procédure civile, qui dispose que les parties peuvent soit : « conférer au juge la mission de statuer comme amiable compositeur », soit « le lier par les qualifications et points de droits auxquelles elles entendent le limiter » [6]. En d’autres termes, elle offrira aux contractants la possibilité d’encadrer strictement les pouvoirs du tribunal afin que ce dernier ne révise pas le contrat dans des proportions qui excèderaient leurs souhaits.

A ce stade, les parties conservent encore le contrôle de leur convention, ce qui ne sera plus le cas si le désaccord persiste…

3° Troisième phase : la saisine unilatérale du juge.

La dernière section de l’article 1195 du Code civil reconnait aux parties le droit de saisir unilatéralement le juge, dès lors que celles-ci ne parviennent pas à se mettre d’accord dans un délai raisonnable sur : (i) les conditions de résolution conventionnelle du contrat, ou (ii) la saisine conjointe du juge aux fins d’adaptation de l’accord. Le contractant souhaitant saisir le juge devra donc se constituer les preuves nécessaires que ce délai a été respecté et si possible l’encadrer à l’occasion de ses communications avec son partenaire en lui demandant, par exemple, de se prononcer avant une date déterminée.

Suite à cette saisine unilatérale, le juge peut : « réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». Cette courte phrase est source de nombreuses incertitudes : Quel est le juge compétent ? Le pouvoir du juge est-il lié par la demande qui le saisit ? [7] La juridiction peut-elle discrétionnairement choisir le remède (résolution ou modification du contrat), même si ce dernier est contraire à celui souhaité par la partie demanderesse ? En cas de révision, quelle est la limite à l’immiscion du juge dans la loi des parties ?

Cette dernière interrogation est particulièrement préoccupante au regard du principe de liberté contractuelle, faisant dire à certains auteurs que le juge serait devenu « la troisième partie au contrat » [8]. D’autres encore s’inquiètent de la compatibilité de cette disposition aux droits fondamentaux [9]. Une chose est, en tout cas, certaine : comment peut-on attendre du juge qu’il révise efficacement les conventions complexes ? Fera-t-il appel à des tiers sachant pour l’épauler dans cette tâche difficile ? Comment pourra-t-il mener à bien sa quête dans un contexte de saturation des juridictions ? Autant d’éléments qui pourraient faire craindre des procédures particulièrement longues.

II - L’incidence limitée de la théorie de l’imprévision en matière d’ingénierie contractuelle.

En dépit des nombreuses interrogations posées par l’article 1195 du Code civil, ses conséquences pratiques pourraient êtres mineures pour les entreprises les mieux averties. La disposition semble en effet supplétive de volonté, ce qui laisse aux parties le droit de l’exclure ou de l’aménager à leur guise (A). La consécration de la théorie de l’imprévision pose également la question de l’intérêt des solutions contractuelles jusqu’alors utilisées par les agents économiques pour palier à son absence, notamment des clauses d’indexation automatique et de hardship (B).

A - Le droit d’exclure ou d’aménager l’article 1195 du Code civil.

Bien que cette question fasse l’objet d’un vif débat, il semble que l’article 1195 soit supplétif de volonté, autorisant les parties à l’exclure librement (1°). En tout état cause, l’obscurité de la théorie de l’imprévision telle que transcrite dans le Code civil rend son aménagement nécessaire, notamment afin de baliser ses conditions d’applications et modalités de renégociation (2°).

1° Une exclusion de l’article 1195 autorisée par son caractère supplétif de volonté.

L’article 1195 du Code civil est-il d’ordre public ou supplétif de volonté ? Cette interrogation n’est pas anodine puisqu’elle détermine la capacité pour les entreprises d’écarter le régime légal de l’imprévision lors de la rédaction de leurs contrats. Comme il l’a été mentionné précédemment, la doctrine majoritaire semble partir du postulat qu’il est tout à fait loisible aux parties d’exclure totalement ou partiellement la disposition. Cette position doit être soutenue pour trois raisons au moins :

D’une part, les articles de l’ordonnance que la Chancellerie a souhaité rendre d’ordre public sont systématiquement signalés par le biais de diverses expressions. Il est ainsi précisé que le devoir contractuel de bonne foi de l’article 1104 du Code civil est une « disposition d’ordre public » ou encore que les parties ne peuvent « ni limiter, ni exclure » le devoir général d’information de l’article 1112-1. De telles expressions ne sont jamais employées concernant la théorie de l’imprévision.

Enfin, ledit rapport signale explicitement que la rédaction de l’article 1195 implique que le texte revêt un caractère supplétif, et que les parties peuvent convenir à l’avance de l’écarter pour choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances, qui viendraient bouleverser l’économie du contrat. Sur ce dernier point, il est vrai que l’article conditionne sa mobilisation au fait que la partie victime de l’imprévision n’ait pas accepté d’assumer le risque d’un changement imprévisible de circonstances. Dés lors, il semble possible pour les parties d’inclure une clause « d’acceptation du risque d’imprévision » afin d’écarter purement et simplement l’application de l’article 1195 du Code civil. Cette clause doit être rédigée, à notre sens, de manière non équivoque.

Exemple de clause d’acceptation du risque d’imprévision :

Les Parties sont pleinement informées des droits que leur octroie l’article 1195 du Code civil. Elles acceptent d’assumer le risque lié à un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du Contrat et renoncent expressément à l’entièreté des droits découlant dudit article, dans les limites autorisées par la législation française.

Mais attention ! L’article 1195 du Code civil pourrait n’être supplétif que dans les contrats de gré-à-gré (négociés librement entre les parties). Dans les contrats d’adhésion, le contractant auquel la convention a été imposée (l’adhérent), pourrait invoquer le fait que la clause d’acceptation du risque crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, et que celle-ci doit, en conséquence, être réputée non écrite…

Dernier point mais non des moindres, il est à noter que le caractère d’ordre public d’une règle de droit peut être librement déduit par le juge dans le silence du texte, il s’agit peut-être là de l’une des manifestations les plus flamboyantes de son pouvoir d’interprétation. Les juridictions usent cependant de cette capacité avec parcimonie et se livrent fréquemment à une interprétation téléologique des textes (analyse de la finalité recherchée par le législateur), qui conduirait en l’espèce à rejeter le caractère d’ordre public de la disposition, explicitement décrite comme supplétive dans le rapport au Président de la République.

2° Un aménagement possible des conditions et modalités de la renégociation.

Comme il l’a été démontré en première partie de cette analyse, les pièges posés par l’article 1195 du Code civil sont nombreux.

D’une part, les conditions d’application du régime légal de l’imprévision sont démesurément floues. Il est en effet exigé que la partie victime d’un évènement démontre son caractère imprévisible et excessivement onéreux. Or, ces deux conditions sont éminemment subjectives et il est certain que les parties se déchireront sur le caractère prévisible ou non d’un évènement, ainsi que sur l’onérosité de l’exécution contractuelle. En cas de désaccord entre elles, c’est au juge qu’il reviendra de trancher le litige, avec le risque potentiel que celui-ci ne s’ingère de manière excessive dans la loi des parties.

D’autre part, la chronologie de renégociation établie par le Code civil est pour le moins trouble. Combien de temps la renégociation « amiable » (phase 1) doit-elle durer ? Quelle est la longue minimale du « délai raisonnable » laissé aux parties pour convenir de la résolution de leur convention, ou de sa présentation au juge (phase 2) ?

Pour éviter d’être piégées dans ce véritable champ de mines, les entreprises pourront utilement : (1) baliser les modalités de renégociation prévues par le Code civil en les enfermant dans des délais fixes, (2) tenter d’encadrer l’objet de la saisine unilatérale du juge ou tout simplement supprimer cette possibilité, (3) définir à l’intérieur même du contrat ce qu’il faut entendre par « exécution excessivement onéreuse », voire même (4) lister précisément les évènements qui viendraient bouleverser l’économie du contrat mais que les parties accepteraient malgré tout de supporter (une sorte de clause d’acceptation du risque d’imprévision limitée à quelques hypothèses).

Au cas où la disposition serait considérée par les juges comme n’étant pas supplétive de volonté, ce travail d’aménagement restera possible mais sera évidemment limité par les frontières de l’ordre public [10]. En d’autres termes, les parties pourront amender le texte tant qu’elles ne remettent pas en cause le droit de la partie victime de l’imprévision de bénéficier pleinement des dispositions de l’article 1195 du Code civil…

B - L’effet de la réforme sur les clauses de révision.

Le refus des juridictions civiles de reconnaître la théorie de l’imprévision a conduit les opérateurs à prévoir dans leurs conventions des mécanismes permettant de répondre aux modifications substantielles de l’équilibre contractuel voulu par les parties. Désignées sous le vocable commun de « clauses de révision » ces solutions contractuelles sont abondantes. Aussi, la consécration par le Code civil de la théorie de l’imprévision, qui vise également à l’adaptation d’un contrat en cas de survenance d’un évènement imprévisible, pourrait poser la question de l’intérêt de ces mécanismes. Afin d’apporter une réponse claire à cette interrogation, il convient de diviser ces clauses de révision en deux grandes catégories : celles visant à l’indexation automatique d’une valeur du contrat sur un élément extérieur (1°) et celles menant à sa renégociation (2°).

1° Une réforme sans incidence sur les clauses d’indexation automatique.

La clause d’indexation, également appelée clause d’échelle mobile, permet de faire varier le prix du contrat en fonction d’un indice de référence (ex : prix du blé, de la farine…). Cette variation du prix est automatique, les parties n’ont besoin ni d’engager de négociations, ni de modifier le contrat par avenant. Afin d’être efficace, elle doit prévoir la fréquence à laquelle la révision du prix sera effectuée (hebdomadaire, mensuelle, semestrielle, annuelle etc.). Ces clauses ont strictement été encadrées par le législateur [11]. L’article L.112-2 du Code monétaire et financier interdit ainsi toute disposition prévoyant des indexations fondées sur des indices généraux, ainsi que sur des produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet de l’opération.

Avec la réforme, les clauses d’indexation conservent toute leur utilité. L’évolution du prix se fait de manière automatique, sans que les parties aient besoin de renégocier le contrat. L’article 1195 du Code civil, s’il n’est pas écarté par les contractants ne s’appliquera donc que si la clause d’échelle mobile se révèle insuffisante pour affronter le bouleversement de l’équilibre contractuel causé par la survenance d’un évènement imprévisible [12].

2° L’articulation des clauses de hardship avec l’article 1195 du Code civil.

La clause de « hardship » (terme signifiant « épreuve » en anglais), parfois appelée clause de sauvegarde ou d’imprévision a également pour objet d’appréhender un évènement venant modifier l’équilibre du contrat. A la différence de la clause d’indexation, qui entraine une modification automatique du prix, la clause de hardship implique une renégociation du contenu même de la convention.

Bien évidement, toute clause d’imprévision doit exposer les évènements propres à l’activer. Cet événement peut être précis, telle l’augmentation du coût d’une matière première ; ou générique, comme par exemple un « changement imprévisible de circonstances » [13]. Les parties doivent ensuite déterminer les proportions dans lesquelles l’événement doit modifier l’équilibre contractuel pour que le mécanisme s’amorce. Le déclenchement de cette clause entraîne enfin la naissance d’une obligation de renégociation. Bien entendu, les parties peuvent déterminer ce qu’il adviendra du contrat en cas d’échec de la renégociation : maintien de la convention ou résiliation unilatérale.

L’impact du régime légal de l’imprévision sur la clause de hardship dépend en réalité de la manière dont celle-ci est rédigée, de la présence ou non d’une clause « d’acceptation du risque d’imprévision » (ci-après dénommée clause d’exclusion) et enfin, du caractère supplétif ou d’ordre public de l’article 1195. A ce titre, au moins quatre hypothèses doivent être distinguées :

  1. Si le contrat comprend une clause d’exclusion de l’article 1195 et n’intègre aucune clause de hardship, la jurisprudence Huard précédemment évoquée continue de s’appliquer, la partie refusant la renégociation prêtant alors son flanc à une condamnation pour absence de bonne foi.
  2. Si le contrat comprend une clause d’exclusion de l’article 1195 et intègre une clause de hardship (générique ou spécifique), celle-ci s’applique en lieu et place du régime légal.
  3. Si le contrat n’exclut pas l’article 1195 et intègre une clause de hardship dont l’activation dépend de la survenance d’un évènement générique (tel qu’un changement imprévisible de circonstances) et/ou prévoit une procédure de renégociation dérogeant de manière importante à celle du Code civil, cette dite clause se substitue en réalité à l’article 1195 et le vide de toute sa substance (application du principe de liberté contractuelle). Un tel mécanisme contractuel est valable, dans la seule hypothèse ou l’article est supplétif de volonté.
  4. Si le contrat n’exclut pas l’article 1195 et intègre une clause de hardship dont l’activation dépend de la survenance d’un évènement spécifique et/ou prévoit une procédure de renégociation dérogeant de manière importante à celle du Code civil, cette dite clause se substitue à l’article 1195 pour les seules hypothèses qu’elle vise.

Toutefois, afin d’éviter toute mauvaise surprise et dans l’attente d’une jurisprudence claire en la matière, il est vivement recommandé aux entreprises de ne pas « jouer » avec cette articulation et de toujours intégrer une clause d’acceptation du risque d’imprévision si la volonté des parties est bien d’exclure l’application du régime légal.

Lucas ÉTIENNE - Juriste d\\\'entreprise (en recherche d\\\'emploi). www.linkedin/in/lucasetienne

[1D. PLANUTIS, « Le déséquilibre contractuel dû au changement imprévisible des circonstances et ses remèdes », Mémoire de recherche, Université Panthéon-Assas, 2012.

[2B. OPPETIT, « L’Adaptation des Contrats Internationaux aux Changements de Circonstances : La Clause de Hardship », Clunet 101 : 794, at 800 et seq.

[3A. TUNC, « Force majeure et absence de faute en matière délictuelle », RTD Civ., 1946, p. 187.

[4B. MERCADAL, « Réforme du droit des contrats », Éditions Francis Lefebvre, 2016, p. 172.

[5H. MARIN-SISTERON, « Le spectre du gouvernement des juges », LesEchos.fr, 5 avril 2016.

[6B. MERCADAL, op. cit., p. 175.

[7A. ADELINE, « L’introduction en droit privé français du principe de révision des contrats pour imprévision », LA REVUE, 19 juillet 2016.

[8J. VOGEL, « Réforme du droit des contrats : Le juge devient une troisième partie au contrat », ActueL, Direction Juridique, Éditions Législatives, février 2016.

[9B. MERCADAL, op. cit., p. 170.

[10B. MERCADAL, Ibid, p. 169.

[11J.-L. FOURGOUX, « La clause de révision de prix dans les contrats d’affaires », AJ Contrats d’affaires, n°1, avril 2014, p. 24.

[12B. MERCADAL, op. cit., p. 169.

[13J. MESTRES (dir.) et J.-C. RODA (dir.), dans « Les principales clauses des contrats d’affaires », Lextenso éditions, 3ème édition, 2011, p. 473.