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Le droit à la déconnexion, mythe ou réalité ? Par Marianne Lecot, Avocat.
Parution : lundi 20 mars 2017
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A l’ère du digital, le développement des outils numériques présente moult avantages : réactivité, disponibilité, flexibilité.

Revers de la médaille : dans un univers hyperconnecté où les salariés, qu’ils soient cadres, commerciaux ou télétravailleurs, consultent, répondent, trient leurs emails professionnels à toute heure de la journée, y compris le week-end ; dans un monde envahi par les nouvelles technologies où les salariés décrochent leur smartphone à tout moment, y compris pendant leurs congés, les situations de stress, de burn out et de risques psycho sociaux se multiplient.

Impression de surcharge de travail, sentiment d’urgence, d’isolement, les salariés abreuvés d’emails, peuvent rapidement se sentir incapable de rattraper ou de gérer ce flot d’informations en continue, tandis que d’autres perçoivent les nouvelles technologies comme un moyen de contrôle de la performance.

Côté employeur, la connexion permanente et la sursollicitation numérique des salariés peuvent également s’avérer néfastes. Des réunions où les participants sont scotchés à leur smartphone, des salariés sans cesse interrompus par des notifications d’emails, un déficit de concentration, des collaborateurs sollicités de manière excessive par leurs managers et en définitive, des salariés qui accumulent du retard dans leur travail, une perte d’efficacité et des acteurs moins performants.

Sans compter le risque de contentieux lié au non-paiement des heures supplémentaires, au non-respect des heures de repos, à la réparation des préjudices résultant de faits de harcèlement moral et d’une manière générale à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Il était donc plus que jamais nécessaire d’encadrer l’utilisation des outils numériques pour éviter une dégradation des conditions de travail et limiter les désagréments possibles sur la vie personnelle des salariés.

- Un droit reconnu par la jurisprudence

Le droit à la déconnexion, la Cour de cassation l’avait déjà consacré dans un arrêt du 17 février 2014 (n°01-45889) : « le fait de n’avoir pu être joint en dehors de ses horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire pour faute grave ».

- Un droit introduit dans le Code du travail

Depuis le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion a surtout fait son entrée dans le Code du travail, dont le nouvel article L. 2242-8 prévoit que les entreprises de plus de 50 salariés, sont désormais tenues dans le cadre de leur négociation annuelle « égalité professionnelle et qualité de vie », de traiter du droit à la déconnexion.

Une première mondiale !

Si la loi ne donne aucune définition claire et précise du droit à la déconnexion et laisse aux entreprises le soin d’en définir les contours dans un accord collectif, ou à défaut, dans une charte, il ne s’agit pas, bien évidemment, d’interdire l’usage des emails en entreprise, mais d’en finir avec l’ère du courriel roi.

- L’absence de mode d’emploi précis

Pas de mode d’emploi précis et aux entreprises de trouver des solutions sur mesure, parmi lesquelles en premier lieu des instruments de régulation purement techniques :
- la mise en place de plages de déconnexion la semaine et le week-end,
- l’utilisation de fenêtres d’alerte (pop-up automatiques ou à paramétrer par le salarié, par l’employeur),
- l’envoi différé des emails tardifs et de leur(s) réponse(s),
- le contrôle des connexions à distance,
- le paramétrage des smartphones professionnels sur le mode « ne pas déranger » pendant les plages de déconnexion la semaine et le week-end,
- le fait de bloquer les serveurs informatiques pendant les plages de déconnexion,
- la restitution des ordinateurs et téléphones portables professionnels pendant les congés.

Cependant, imposer une gestion de la messagerie électronique sans accompagnement des salariés serait contre-productif. Former les salariés aux bonnes pratiques, faire appliquer les règles de savoir vivre, de courtoisie et de bon sens, renforcer la communication. Quoi de plus simple, en somme que :
- d’inviter les salariés à ne pas activer ou à désactiver les alertes sonores ou visuelles d’arrivée d’un nouveau message,
- d’inciter les salariés à désactiver la fonction « répondre à tous » et à utiliser le mode « envoi différé » pour des e-mails non urgents,
- de rappeler aux salariés qu’ils ne sont pas tenus de consulter leurs boites emails professionnelles en dehors de leurs horaires de travail et de répondre, sur l’instant, aux emails reçus tardivement,
- d’encourager les salariés à privilégier une communication et des échanges directs entre eux,
- de sensibiliser les managers en les incitant à l’exemplarité.

Pourquoi pas même, repenser, si nécessaire et si possible, la relation avec les clients de l’entreprise, qui exigent bien souvent une réponse immédiate et auxquels il est finalement aisé de faire comprendre qu’un travail de qualité mérite parfois des délais de réflexion et de traitement minimums.

- Un droit, et non un devoir

La déconnexion est un droit, et non un devoir, et l’absence de sanctions pourrait dissuader certaines d’entreprises d’engager des négociations sur ce terrain ou de rédiger une charte.

En revanche, si jamais un salarié intente un procès à son entreprise pour « burn out » et qu’elle n’a établi aucune politique de prévention visant à réguler les outils numériques, elle sera en très mauvaise posture devant le juge.

Exit le mythe du droit à la déconnexion. Ce droit est dorénavant une réalité.

- Un sillage à tracer

Consacré par certaines convention collectives, dont SYNTEC, et appliqué par plusieurs grandes entreprises à l’instar d’Orange qui a demandé à ses salariés de prévoir des temps de non-utilisation de la messagerie électronique, de Michelin qui a instauré « un contrôle des connexions à distance » pour ses cadres autonomes itinérants, ou encore de Volkswagen qui a fait le choix de couper, pour des milliers de salariés, ses serveurs entre 18 h 15 et 7 heures le lendemain matin, le sillage est tracé.

Marianne LECOT Avocat au Barreau de Paris LECOT Avocats www.lecotavocats.com