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L’interprétation discutable de la notion de décimale. Par Benjamin Blanc, Avocat.
Parution : mercredi 22 mars 2017
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Par un arrêt du 25 janvier 2017, cette fois-ci destiné à la publication, la Cour de cassation est venue assoir sa jurisprudence antérieure sur l’erreur acceptée de l’écart entre le TEG annoncé et le TEG réel (Cass. Civ. 1ère, 25.01.17, n°15-25607).
La Cour de cassation casse ainsi l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 30 juin 2015 (Grenoble 1ère Ch. Civ., 30.06.2015, RG 13/01071).

Alors que l’arrêt du 26 novembre 2014 n’était pas destiné à la publication, les Magistrats du Quai de l’Horloge entendent donner à cet arrêt, une audience élargie en le publiant au Bulletin.
Le principe ainsi posé par la Cour de cassation n’est cependant pas exempt de tout reproche.

La Cour fonde en effet sa décision sur les articles 1907 du Code civil, R.313-1 du Code de la consommation et sur l’article R.313-1 du Code de la consommation dans sa rédaction issue du décret n°2002927 du 10.06.2002.

Ainsi que l’un des commentateurs de cet arrêt l’a exprimé (https://www.village-justice.com/articles/TEG-des-credits-immobiliers-arrondi-une-decimale-erreur-Cour-cassation,24448.html), la référence à l’article L.313-1 du Code de la consommation n’est pas forcément des plus pertinentes et ce d’autant plus que la Cour de cassation rejette la demande de question préjudicielle.

La Cour aurait en effet été plus inspirée en visant spécialement l’annexe à l’article R.313-1, remarque d).
Ces dispositions résultent la transposition de la directive 98/7/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 1998.

Pour mémoire cette directive vient modifier la directive 87/102/CEE, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation.

Cette règle a été reprise par la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 qui vient abroger la directive 87/102/CEE du Conseil.

Celle-ci dispose pour mémoire que :
« Le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale.
Si le chiffre de la décimale suivante est supérieur ou égale à 5, le chiffre de la première décimale sera augmenté de 1. »

Enfin, la directive 2014/17/UE du 4 février 2014, relative aux contrats de crédits aux consommateurs qui concernent les biens immobiliers, reprend les mêmes termes.

Afin d’avoir une vision pratique de ces dispositions, il convient de se rapporter aux annexes I et II desdites directives.

La question finalement posée est une question de vocabulaire.

Qu’est-ce qu’une décimale ?
La décimale est le chiffre qui figure après la virgule.

Qu’est-ce que l’exactitude ?
Le meilleur moyen de comprendre le sens de ce mot est d’en trouver un synonyme, qui pourrait être la précision.

Selon la Cour de cassation, ces dispositions signifieraient que seule la première décimale est obligatoire et que les autres ne seraient en réalité que superflues.

Or les textes précités visent une exactitude d’au moins une décimale, ce qui signifie que si le prêteur précise le Taux Effectif Global avec deux décimales, la deuxième peut être arrondie en fonction de la valeur de la troisième.

Il apparait donc que les termes « exactitude » et « décimale » ne sont pas correctement compris, si ce n’est à tout le moins appliqués par la Cour de cassation.

L’interprétation faite par la Cour de cassation semble bien maladroite et contraire à la sécurité à laquelle les consommateurs ont droit dans le cadre des contrats de crédit.

En effet, cette mésinterprétation produit directement des conséquences mathématiques.

Ainsi l’emprunteur qui voudra par la suite contester le Taux Effectif Global se verra débouté au motif que l’écart ne représente pas 0,1 % de la valeur.

En réalité, l’emprunteur aura choisi une banque qui lui semblait moins chère, alors qu’en réalité le taux pratiqué par la première banque est identique à celui de la deuxième pourtant non choisie.

Face à cette incompréhension juridique et cette imprécision mathématique, peut-être que la Cour de cassation aurait été inspirée en faisant droit à cette question préjudicielle, afin de permettre à la Cour de Justice de Communauté Européenne de faire valoir son interprétation sur la règle qui a été édictée.

Cela est désormais corrigé.

Le Tribunal d’Instance de Limoges a renvoyé à la CJUE la question préjudicielle suivante :
« Le taux annuel effectif global d’un crédit étant de 6,75772 %, la règle issue des directives 98/7/CE du 16 février 1998 et 2008/48/CE du 23 avril 2008, selon laquelle, dans la version française, « Le résultat du calcul exprimé avec une exactitude d’au moins une décimale. Si le chiffre de la décimale suivante est supérieur ou égal à 5, le chiffre de la première décimale sera augmenté de 1 », permet-elle de tenir pour exact un TAEG indiqué de 6,75 % ? » (TI Limoges, 1er février 2017, RG n°16-000784).

Compte-tenu des délais actuellement pratiqués, il faudrait s’armer de patience pendant au moins 12 mois.

Benjamin BLANC Avocat au Barreau de Bordeaux bblanc-avocat.fr
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