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Le risque juridique social : un risque spécial à manager !
Parution : vendredi 24 mars 2017
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Dans les grands groupes, mais pas seulement, le risque juridique social revêt une importance particulière tant la matière et l’objet auquel il s’applique sont sensibles. Les directions des affaires sociales et juridiques qui sont en charge de la gestion de ce risque doivent donc mettre en place des process et des outils pour le manager au mieux. C’est le cas notamment de Bruno Rocher, responsable des affaires sociales et juridiques du groupe JOA que nous avons interrogé récemment. Nous en avons profité pour qu’il nous livre son retour d’expérience du Prix de l’innovation en management juridique dont il était finaliste en 2015.

Laurine Tavitian : Quelle est la spécificité d’un groupe comme JOA ?

Bruno Rocher : La spécificité du groupe JOA est qu’il compte 1500 salariés répartis sur 22 casinos et un centre de services supports partagés (marketing, RH, financier, comptabilité). Ce sont 22 sociétés juridiquement différentes qui ont un fonctionnement potentiellement autonome avec 22 directeurs de casinos aux personnalités différentes, à conseiller parfois en même temps. Il faut donc s’assurer d’une cohérence d’une société à l’autre mais pas d’une uniformité. Dans un secteur d’activité comme les casinos de jeu ouverts 7j/7 et quasiment 24h/24 avec de fortes plages horaires et donc des supports RH et juridiques sociaux qui ne sont pas forcément disponibles au moment où les problèmes se posent, il est fondamental de favoriser l’autonomie des directeurs. Dans le domaine juridique social, il y a une peur du contentieux Prud’hommes et une croyance qu’il existe un clivage entre l’employeur complétement démuni et le salarié ultra-protégé. Nous avons donc cherché à donner des clés aux casinos pour pouvoir agir de manière efficace et assurée ; et nous servir d’ambassadeur de la matière juridique sociale au quotidien.

A quelles problématiques avez-vous fait face dans le management du risque juridique social ?

« Nous avons toujours cet objectif de garantir non pas une uniformité entre nos 22 sociétés mais une cohérence. »


La première problématique a été de rétablir une relation de confiance avec les opérationnels afin qu’ils n’hésitent plus à solliciter le service juridique en amont et qu’ils nous parlent de leur problématique de manière transparente sans avoir peur d’être jugé. Notre objectif était de passer du statut de juriste censeur à celui de business partner qui propose des solutions et qui est dans une logique d’accompagnement.
La seconde a été de développer l’autonomie de nos opérationnels tout en réduisant leur indépendance. Nous avons beaucoup communiqué sur ce point en leur précisant que c’était bien à eux de prendre des décisions mais pas en indépendance. Pour cela, nous avons déterminé leur besoin et donné des outils au regard des sujets les plus récurrents, tout en étant dans une logique d’amélioration continue. Dès qu’un nouveau problème se pose, nous traitons la réponse par rapport à notre client. Mais, nous en profitons aussi pour capitaliser sur tous les actes qui sont produits afin d’en faire une sorte de procédure (dans tel cas, comment agir) qui est ensuite mise en ligne pour partage avec les autres casinos qui pourraient être confrontés au cas.
Ce travail nous permet de constituer une source de données de benchmark pour savoir quelle problématique s’est posée dans quelle société et quand elle se reproduit de donner à nos clients dans une autre société la vision de ce qu’on fait les autres. Avec toujours cet objectif de garantir non pas une uniformité entre nos 22 sociétés mais une cohérence.

Quels outils avez-vous mis en place pour améliorer la gestion du risque juridique social ?

« La matière juridique sociale n’est pas figée. »


Au-delà de la démarche de conduite du changement et de repositionnement du service en business partner nous avons mis en place deux bases de données.
La première base de donnée est strictement interne au service affaires sociales et juridiques qui compte 4 personnes. L’enjeu en terme de positionnement et de crédibilité est de s’assurer que toutes les réponses qui peuvent être apportées et les positions de principe sont bien répertoriées dans cette base. Cela permet à tous les membres du service de consulter les positions qui ont déjà été prises et de gagner du temps car 1500 salariés avec seulement 4 relais RH/juridique/social c’est compliqué. La matière juridique sociale n’est pas figée. En fonction de la manière dont est posée la question, en fonction du sujet et des positionnements stratégiques et quand il n’y a pas de réponse juridique strictement affirmée, il est possible de différer un peu. Cet outil permet donc d’assurer une certaine cohérence.
La deuxième base de données est la boîte à outils des opérationnels : comment réagir dans telle situation managériale ? Que faire quand j’ai un salarié qui est en état d’ébriété ou en cas de braquage par exemple. Dans cette base, ils trouvent des réponses très pragmatiques avec des conseils sous forme de recommandations. Et à chaque thème sont associés des actes : modèles de lettre, de contrat, descriptif de poste, …

Comment l’innovation que vous avez présentée pour l’édition 2015 du prix de l’innovation en management juridique a-t-elle évoluée ?

« Il y a eu une expansion de nos bonnes pratiques à d’autres services. »


Il a fallu créer la possibilité d’avoir des dossiers partagés avec les sociétés qui sont réparties partout en France en s’assurant d’une certaine confidentialité c’est-à-dire gérer les accès, les zones de confidentialité, l’accès en lecture ou en écriture. Nous avions pensé à l’infrastructure technique afin que ce soit le plus logique pour nos clients internes. Pour réaliser notre projet, nous avons travaillé avec notre service informatique qui a ensuite réutilisé ces outils pour créer d’autres bases de données dans d’autres matières. Il s’est appuyé sur notre retour d’expérience et les premiers outils de suivi que nous avions mis en place strictement sous l’angle technique en matière d’infrastructure.
D’autres services ont donc mis en place de tel mode de fonctionnement en se repositionnant sur la volonté d’accompagner en autonomie les directeurs, et notamment le service paie et le service juridique général droit des affaires. Il y a donc eu une expansion de nos bonnes pratiques à d’autres services.
Par ailleurs, nous avons complété la base de données et nous nous sommes organisés pour les mises à jour en identifiant pour chaque procédure ou acte si ce sont des mises à jour périodiques en fonction d’évènement identifié (ex : la modification du plafond mensuel de la sécurité sociale) ou des mises à jour ponctuelles en fonction du besoin. Chaque document est en train d’être référencé pour savoir quand le mettre à jour.

Que vous a apporté votre candidature au Prix de l’innovation en management juridique ?

« Cette candidature est un projet de service qui a permis de fédérer l’équipe autour d’un projet commun. »


La première chose, c’est que cette candidature est un projet de service qui a permis de fédérer l’équipe autour d’un projet commun. Nous sommes partis du principe que la performance est individuelle au sein du service mais que le succès est collectif. C’est pourquoi, nous étions 3 à porter le sujet lors du grand Oral et ensuite. Le Prix a renforcé les liens au sein du service.
Ensuite, participer au Prix signifie ne plus avoir le choix pour concrétiser un projet. Cette candidature nous a permis d’accélérer la production des livrables, de faciliter leur déploiement.
Enfin, le Prix est une opportunité de rendre visible des services qui ne sont pas forcément populaires au sein des entreprises, comme le service juridique social. Il n’y a pas que la relation-client qui est importante pour un groupe, il y a aussi le marketing personnel d’un service qui permet d’avancer.
Dès le début de notre participation, nous avons eu des retours positifs : nos opérationnels ont été intéressés de lire les publications et d’avoir des nouvelles par rapport à ce prix. Puis, nous avons eu des félicitations suite à des publications dans la presse. Et pour certains directeurs, le Prix a été l’occasion de nous dire que notre outil était vraiment bien et qu’ils n’avaient jamais eu un tel accompagnement : nous avons recruté nos ambassadeurs parmi des opérationnels.
Depuis le Prix, nous avons étoffé le fonctionnement et nous avons de plus en plus ce type de retours positifs.

Cette interview est parue initialement dans le Journal du Management Juridique n°55.

Propos recueillis par Laurine Tavitian Rédaction du Village de la Justice
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