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L’entreprise peut-elle consulter et utiliser les fichiers et mails des salariés sans leur accord ? Par Stéphane Friedmann, Avocat.
Parution : jeudi 23 mars 2017
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L’entreprise peut-elle considérer qu’elle dispose d’un droit de contrôle de l’activité des salariés en prenant connaissance des données contenues dans le disque dur de leur ordinateur ou encore dans leur messagerie professionnelle ou personnelle ?

La Cour de cassation a tout d’abord considéré, dans un célèbre arrêt du 2 octobre 2001 (arrêt Nikon n°99-42.942), que le salarié avait droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée et que celle-ci impliquait en particulier le respect du secret des correspondances.

Depuis lors, ce principe a été de plus en plus réduit et les entreprises disposent aujourd’hui d’une liberté d’accès beaucoup plus grande.

I/ Les données contenues dans le disque dur des ordinateurs

Le principe posé par les juridictions sociales depuis de nombreuses années, consiste à considérer que les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail, sont présumés avoir un caractère professionnel. Ce qui signifie que l’employeur est en droit de les ouvrir, même en dehors de la présence du salarié, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels.

La chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juillet 2012 (n°11-12.502) a précisé :
« Attendu que si les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir en dehors de sa présence, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels, la dénomination donnée au disque dur lui-même ne peut conférer un caractère personnel à l’intégralité des données qu’il contient. »

La Cour de cassation a également précisé dans ce même arrêt que l’abus de l’utilisation du matériel informatique à des fins personnelles était également répréhensible :
« Attendu que la cour d’appel qui a relevé que le salarié avait stocké 1.562 fichiers à caractère pornographique représentant un volume de 787 Méga octets sur une période de 4 années et qu’il avait également utilisé son ordinateur professionnel pour confectionner de fausses attestations, a justement retenu que cet usage abusif est contraire aux règles en vigueur au sein de la SNCF de son instrument de travail, constitue un manquement à ses obligations contractuelles ».

Il ne s’agit d’ailleurs que d’une confirmation de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation qui, dès le 8 décembre 2009 (Cass.Soc. 8 décembre 2009 n°08-42.097) a considéré que dès lors que l’utilisation de l’ordinateur à des fins personnelles devenait déraisonnable, cela constituait un manquement du salarié aux obligations de son contrat de travail.
La Cour de cassation a même considéré dans un arrêt du 12 février 2013 n°11-28.649, qu’une entreprise pouvait prendre connaissance des données contenues dans une clé USB, qu’elle soit personnelle ou professionnelle, dès lors que celle-ci était connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur, la clé USB étant alors présumée utilisée à des fins professionnelles.

L’employeur a donc la liberté, d’accéder à cette clé et d’ouvrir les fichiers, dès lors qu’ils ne sont pas identifiés comme étant personnels. Il est de la même manière possible de considérer, qu’une entreprise peut également consulter le contenu de la clé USB même si celle-ci n’est pas connectée à l’ordinateur dans la mesure où une clé USB trouvée dans un bureau bénéficie d’une présomption de professionnalité.

La chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 octobre 2016 (n°4-48.025) avait déjà décidé que l’employeur pouvait accéder librement aux documents se trouvant dans le tiroir du bureau d’un salarié, sauf s’ils étaient identifiés comme étant personnels.

A contrario, lorsqu’une clé USB, un disque dur externe ou encore un téléphone portable sont clairement identifiés comme étant des objets personnels, il faut alors appliquer la jurisprudence classique sur la fouille des effets personnels du salarié qui ne peut être effectuée en dehors de la présence de celui-ci ou le salarié dûment appelé.

Cette solution traditionnelle est pourtant de moins en moins certaine, la Cour de cassation consacrant de plus en plus le principe du contrôle de l’employeur sur les matériels utilisés par les salariés à l’occasion de leur travail et trouvés sur le lieu de celui-ci.

Ainsi, dans un arrêt du 23 mai 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré qu’un employeur pouvait procéder à l’écoute des enregistrements réalisés par une salariée sur son dictaphone personnel dès lors que celle-ci était présente ou dûment appelée (Cass.Soc. 23 mai 2012 n°10-23.521).

II/ La messagerie professionnelle

Depuis un arrêt du 15 décembre 2010 n°08-42.486, la Cour de cassation considère que les courriers adressés par un salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail, sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir même si le salarié n’est pas présent, sauf si celui-ci les a identifiés comme étant personnels.

Si néanmoins, ouvrant un message l’employeur se rend compte que celui-ci relève de la sphère privée, il ne peut alors l’utiliser à l’encontre du salarié même s’il avait le droit de l’ouvrir (Cass. Soc. 5 juillet 2011 n°10-17.284).

La Haute Juridiction récemment saisie d’un dossier relatif aux sms, a considéré que les messages envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’entreprise pour les besoins de son travail, sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que comme pour les mails l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé (Cass. Com. ,10 février 2015 n°13-14.779).

Le raisonnement est d’ailleurs identique pour les messages vocaux laissés sur un téléphone portable qui peuvent être utilisés de la même manière par l’entreprise (Cass. Soc. ,6 février 2013).

III/ La messagerie personnelle

La Cour de cassation vient de rappeler, dans un arrêt du 26 janvier 2016 n°14-15.360, que les mails provenant de la messagerie personnelle d’un salarié, distincte de la messagerie professionnelle, ne pouvaient pas être utilisés par l’employeur, s’appuyant sur le principe du secret des correspondances.

Cette décision est évidemment logique car la messagerie personnelle n’est pas un outil de travail.

Cette solution a été adoptée par la Cour de cassation, y compris lorsque la consultation des messages permet de démontrer une activité répréhensible du salarié.

Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 16 avril 2013 n°12-15.657 a écarté des débats un message reçu par un salarié sur une adresse personnelle alors que celui-ci, selon l’employeur, démontrait l’existence d’actes de concurrence déloyale.

De son côté, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 janvier 2012 n°11-10.189, avait également écarté des débats un mail qu’un salarié avait adressé à l’un de ses collègues dans lequel il dénigrait sa hiérarchie.

Le destinataire du mail avait alors transféré le message à un autre collègue qui l’avait remis à l’entreprise.

La Cour de cassation considère que « l’envoi du courrier litigieux par le salarié de sa messagerie personnelle et en dehors du temps et du lieu de travail à l’adresse électronique personnelle d’un collègue de travail, ce qui conférait à ce message un caractère purement privé, ne constituait pas un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur ».

Par contre, à partir du moment où le salarié intègre des mails dans le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition par l’employeur, si ceux-ci ne sont pas identifiés comme personnels, l’entreprise peut alors les ouvrir (Cass. Soc. ,19 juin 2013 12-12.138).

Ainsi, l’évolution de cette jurisprudence confrontée à la modification des moyens de communication, permet de dégager une ligne plutôt claire et pour une fois favorable aux entreprises ce qui n’est pas si fréquent en droit du travail : le salarié doit utiliser les outils mis à sa disposition dans un but professionnel et l’employeur a le droit de vérifier que celui-ci exécute correctement son travail en vérifiant la bonne utilisation des outils qui lui sont confiés.

Par contre, la Cour de cassation rappelle de manière constante, que l’employeur ne peut pas utiliser une preuve qui serait considérée comme étant illicite.

Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 2014 n°13-14.991 a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait retenu comme moyen de preuve un dispositif de contrôle individuel de l’importance et des flux des messageries électroniques à l’encontre d’une salariée licenciée pour utilisation excessive de sa messagerie à des fins personnelles, alors que le système n’avait pas encore été déclaré à la CNIL.

La Cour de cassation, quant à elle, dans deux attendus lapidaires considère :
« Attendu cependant que constituent un moyen de preuve illicite les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles avant sa déclaration à la CNIL ;
Qu’en statuant, comme elle l’a fait, en se fondant uniquement sur des éléments de preuve obtenus à l’aide d’un système de traitement automatisé d’informations personnelles avant qu’il ne soit déclaré à la CNIL, alors que l’illicéité d’un moyen de preuve doit entraîner son rejet des débats, la cour d’appel a violé les textes susvisés »
.

L’entreprise, quel que soit le moyen utilisé, doit donc toujours garder à l’esprit qu’elle ne peut utiliser que des moyens de preuve licites.

Stéphane Friedmann Avocat au Barreau de Paris
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