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Un directeur de magasin d’Auchan France qui participe à la direction de l’entreprise est cadre dirigeant. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 27 mars 2017
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C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation statuait sur la qualité de cadre dirigeant de directeur de magasin d’un grand groupe agroalimentaire mondial (Auchan en l’occurrence).

(C. cass. 8 mars 2017)

Le statut de cadre dirigeant est réservé aux salariés les plus élevés dans la hiérarchie qui respectent les 4 conditions visées à l’article L. 3111-2 du Code du travail.
S’ils ne respectent pas ces 4 conditions, les « faux » cadres dirigeants peuvent contester leur statut de cadre dirigeant car la durée du travail qui leur sera applicable sera alors de 35 heures.

Les « faux » cadres dirigeants peuvent obtenir le paiement des heures supplémentaires sous réserve, bien évidemment, de pouvoir les justifier.

La preuve peut se faire par la remise d’un agenda avec un détail quotidien et hebdomadaire des heures travaillées, des emails, des attestations, tout écrit probant, etc.

L’enjeu financier est souvent très important (tant pour le salarié, que pour l’entreprise) puisque les « faux » cadres dirigeants travaillent souvent beaucoup et ont des salaires élevés, ce qui renchérit le coût des heures supplémentaires en cas de condamnation.

1) Les 4 conditions pour être cadre dirigeant au sens de l’article L. 3111-2 du Code du travail

Pour rappel, l’article L. 3111-2 du Code du travail définit les cadres dirigeants comme les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps (1), qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome (2) et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement (3).
La Cour de cassation précise quant à elle, par une jurisprudence désormais constante, que la qualité de cadre dirigeant suppose la participation du salarié à la direction de l’entreprise (4).

Le Code du travail exclut les cadres dirigeants de la durée du travail et des repos.

On comprend l’intérêt de ce statut de cadre dirigeant pour les employeurs qui peuvent faire travailler les salariés sans aucune limite.

En revanche, dans le cadre de la loi Travail / El Khomri n°2016-1088 du 8 août 2016 (article 55), ils bénéficient du droit à la déconnexion (article L. 2242-8 7°).

2) Un directeur de magasin d’Auchan France qui participe à la direction de l’entreprise est cadre dirigeant (c. cass. 8 mars 2017, n°15-24117)

Engagé le 16 mai 1988, Monsieur X exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur de magasin.
Il a été licencié pour faute grave le 16 novembre 2011 pour des violations graves et répétées de ses obligations légales et contractuelles caractérisées par des méthodes de management inacceptables dans un contexte d’abus d’autorité.

Contestant le bien-fondé de son licenciement et sa qualité de cadre dirigeant, le salarié a saisi la juridiction prud’homale.

La cour d’appel de Toulouse a considéré que le salarié était cadre dirigeant au sein de l’article L. 3111-2 du Code du travail et le salarié s’est pourvu en cassation.

La Cour de cassation se range dans le même sens que la cour d’appel et rejette le pourvoi du salarié.

2.1) Le moyen du directeur de magasin d’Auchan France devant la Cour de cassation

Le salarié plaidait :
- que sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ;
- que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise ;
- qu’en se déterminant aux termes de motifs inopérants, pris des pouvoirs, de l’autonomie ou de la rémunération consentis à M. X..., salarié de la société Auchan France, dans le seul cadre du "magasin" qu’il dirigeait, sans caractériser la participation de M. X... à la direction de l’entreprise, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 3111-2 du code du travail.

2.2) Le directeur de magasin d’Auchan France appartient à la direction de l’entreprise

La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié.

Pour considérer que le salarié d’Auchan France relève de la catégorie des cadres dirigeants, la cour de cassation relève dans son arrêt du 8 mars 2016 (n°15-24117) que :
- le salarié, directeur du magasin, présidait le comité de direction du magasin, le comité d’établissement et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail,
- qu’il bénéficiait d’une très large délégation de pouvoir dans tous les secteurs, notamment la gestion de la conclusion, l’exécution et la rupture des contrats de travail,
- qu’il participait à la définition de la politique de l’entreprise et siégeait au conseil de surveillance de Val Auchan, qu’il pouvait engager seul des dépenses dans la limite de 100 000 euros et engager des dépenses dans la limite de 200 000 euros en accord avec le contrôleur de gestion, qu’il bénéficiait d’une totale indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et
- percevait une rémunération forfaitaire sans référence à un nombre de jours ou d’heures travaillées, qu’il bénéficiait du statut cadre de niveau 9, niveau le plus élevé de la classification de la convention collective applicable et percevait la rémunération la plus élevée du magasin.

Le directeur de magasin était, en l’occurrence, un « vrai » cadre dirigeant car il participait effectivement à la direction de l’entreprise : participation aux comité d’établissement et au CHSCT, il possédait une délégation de pouvoirs large et siégeait au Conseil de surveillance.

Il faut relever que la Cour de cassation a apprécié le critère de rémunération du salarié au niveau du magasin et non du groupe Auchan.

Bien évidemment, cela ne signifie pas que tous les directeurs de magasins sont des cadres dirigeants ; les juges doivent apprécier in concreto si le salarié remplit (ou non) les 4 conditions strictes définies par l’article L. 3111-2 Code du travail.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum