Village de la Justice www.village-justice.com

Coût du repas des dirigeants des hôtels, cafés et restaurants : l’addition salée de l’Urssaf. Par Fabien Desmazure, Avocat.
Parution : mardi 28 mars 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Cout-repas-des-dirigeants-des-hotels-cafes-restaurants-addition-salee-Urssaf,24599.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans le secteur des Hôtels, Cafés et Restaurants, le repas fourni aux salariés est évalué forfaitairement par l’Urssaf (3,54 € en 2017). Pour les dirigeants mandataires des établissements, l’Urssaf évalue le prix du repas sur la base du menu le moins cher proposé. Une méthode d’évaluation contestée qui entraîne de nombreux redressements.

La fourniture de repas par une entreprise à ses salariés ou à ses dirigeants est considérée en droit de la sécurité sociale comme un avantage en nature soumis à cotisations sociales (art. L.242-1 du Code de la sécurité sociale) et à l’impôt (Art.82 du code général des impôts).

L’évaluation de l’avantage que représente la mise à disposition de repas par les hôtels, cafés et restaurants (CHR) à leurs dirigeants est rendue complexe par une réglementation qui manque de précision. C’est dans ce contexte que l’Urssaf a adopté une méthode d’évaluation contestée qui aboutit à un grand nombre de redressements.

Une évaluation forfaitaire pour les salariés

Pour les salariés appartenant à la branche des Hôtels, Cafés, Restaurants, l’avantage résultant de la mise à disposition de repas à titre gratuit est évalué de manière forfaitaire. Il est ainsi fixé à 3,54 euros par repas pour l’année 2017, et ce, quelle que soit la rémunération versée au salarié. Le montant forfaitaire journalier de l’avantage en nature « nourriture » des salariés des autres branches pour l’année 2017 est au minimum de 4,75 euros pour un repas et de 9,50 euros pour deux repas.

Une évaluation "au réel" pour les mandataires sociaux

A l’inverse, pour les dirigeants qui ne disposent pas d’un contrat de travail, l’évaluation de l’avantage en nature nourriture ne peut être opérée de manière forfaitaire et doit s’effectuer « d’après sa valeur réelle » (arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l’évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale, JORF n°301 du 27 décembre 2002 page 21750, texte n° 40).

Selon la Direction de la Sécurité Sociale, la valeur réelle peut prendre en compte « le prix payé par l’employeur » ou « les justificatifs de facture payée » (Circulaire DSS/SDFSS/5B/N°2003/07 du 7 janvier 2003, point 2-2-6 relatif aux avantages en nature des mandataires sociaux). Or, ce texte est difficile à mettre en œuvre, particulièrement s’agissant d’entreprises qui ont pour activité la préparation et la fourniture de repas. L’Urssaf a d’abord souhaité ajouter au coût des ingrédients nécessaires à la réalisation des repas le coût de l’énergie nécessaire à leur confection, ainsi que celui de la main d’œuvre voire d’une partie du loyer payé par l’entreprise, et même de majorer la somme de ces coûts de la TVA applicable et de la marge réalisée par l’entreprise.

En pratique l’Urssaf retient la valeur du menu le moins cher proposé

Face aux difficultés d’évaluation de la valeur réelle des repas pris par les mandataires sociaux des CHR, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (l’Accos) a proposé de retenir comme assiette de calcul le menu le moins cher proposé par l’établissement. Les Urssaf ont, depuis lors, mis en pratique cette instruction et redressé de nombreuses entreprises sur cette base, sans le moindre discernement.

Des restaurants gastronomiques ou pratiquant un menu unique, pouvant atteindre ou dépasser plusieurs dizaines d’euros, ont ainsi été redressés au titre des repas pris par leurs dirigeants dont l’avantage en résultant a été apprécié de manière identique à celui de leur clientèle. L’Urssaf retient ainsi pour les dirigeants un niveau de valorisation des repas pour des montants sans commune mesure avec celui, forfaitaire, de 3,54 € fixé pour les salariés.

En adoptant comme base d’évaluation le menu le moins cher, l’Urssaf pratique une forme d’évaluation « forfaitaire » contraire aux textes réglementaires qui font référence à une valorisation « au réel ».

Cette situation née de l’incertitude réglementaire a été dénoncée devant la représentation nationale à plusieurs reprises, sans qu’aucune réponse n’ait toutefois été apportée à ce jour. [1]

Les conditions de prise de leurs repas par les restaurateurs, souvent entre deux services, qui sont très éloignées de celles de la clientèle, devraient pourtant justifier que l’Urssaf fasse preuve de discernement à leur égard.

La valeur réelle devrait être appréciée de manière restrictive

L’Urssaf a obtenu des décisions qui lui ont été favorables lors de contentieux engagés par des restaurateurs. Selon une jurisprudence récente, approuvée par la Cour de cassation, l’avantage en nature nourriture peut correspondre au prix du menu le moins cher proposé au public. [2]

Dans d’autres décisions, les magistrats ont pourtant fort justement relevé que la valeur réelle d’un avantage en nature nourriture ne doit pas s’apprécier par rapport au coût d’un repas pris au restaurant mais par rapport au coût d’un repas pris à domicile (Notamment, cour d’appel de Besançon, chambre social, 20 février 2009, n°09/122, URSSAF du Jura c/ SARL Hôtel Restaurant de la Tour).

Il conviendrait donc de prendre en compte le coût des denrées alimentaires, justifiées le cas échéant en cas de contrôle par la production de factures, et de l’énergie nécessaires à la confection d’un repas, ce dernier étant bien souvent réalisé par l’intéressé lui-même. Cette somme pourrait éventuellement être majorée du taux de TVA applicable dans la restauration. Cette appréciation restrictive de ce que peut recouvrir l’avantage en nature nourriture des dirigeants reviendrait, ce faisant, à se conformer aux textes réglementaires applicables.

Une précision parlementaire ou administrative sur ce point de discorde entre l’Urssaf et les dirigeants restaurateurs est donc indispensable compte tenu du nombre de redressements opérés et des contestations légitimes qui en résultent.

Fabien Desmazure, Avocat au Barreau de Paris www.fde-avocat.com info@fde-avocat.com

[1Question n°8305 de M. Jean-Marie Sermier publiée au JO le 23/10/2007, page 6432, retirée le 19/06/2012. Bien que fixée à l’agenda, cette question n’a malheureusement jamais été posée et a été retirée le 19 juin 2012 pour cause de fin de mandat. Question n°97121 de M. Daniel Fasquelle publiée au JO le 28/06/2016, page 5895. Question écrite n° 24246 de M. Daniel Gremillet publiée dans le JO Sénat du 08/12/2016 - page 5251

[2Cour d’appel de Paris, 24 mai 2012, Pôle 6 Chambre 12, n°10/03221, URSSAF de Paris c/ SARL Le Canal ; Cour d’appel de Nancy, Chambre sociale, 14 octobre 2015, n°14/01208, URSSAF de Lorraine c/ SARL Les Nouveaux Abattoirs, Cour de Cassation, Civ. 2e, 26 novembre 2015, n°14-26353 D