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Reconstruction d’une clôture dans un espace remarquable. Par Pierre Jean-Meire, Avocat.
Parution : mardi 28 mars 2017
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Un peu moins d’une année après que la jurisprudence SARL Mericea du Conseil d’Etat ait ouvert la voie à l’implantation de clôtures dans les espaces remarquables, alors même qu’il ne s’agit pas d’un aménagement léger prévu par les articles L. 121-24 et R. 121-5 du Code de l’urbanisme, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient de rendre une décision amenant à tempérer la portée de cette évolution jurisprudentielle.

CAA Bordeaux 5ème Chambre 14 mars 2017 n° 15BX01157

1. Etait en cause dans cette jurisprudence, la société Bush Holding, qui a acquis la propriété d’une parcelle le long du chemin rural Barognenia sur la commune de Bidart.

A la suite de l’effondrement définitif du mur clôturant sa propriété en 2010, cette société a déposé, le 19 juin 2013, une déclaration préalable aux fins de reconstruction d’un mur semblable à celui qui avait été édifié dans les années 1930.

L’architecte des bâtiments de France avait alors émis un avis favorable sous réserve de « restituer un mur de clôture en maçonnerie de pierres locales, assisées, hourdées au mortier de chaux, à joint beurré ».

Toutefois, le maire de la commune de Bidart s’est opposé, par un arrêté du 7 août 2013, à cette déclaration de travaux aux motifs que le mur initial dont la reconstruction était demandée n’avait pas été régulièrement édifié, et que sa construction en pierre était contraire aux dispositions de l’article Ner 11 du règlement du plan local d’urbanisme.

Par un jugement du 27 janvier 2015 le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de la société Bush Holding tendant à l’annulation de cet arrêté.

Si ce tribunal avait retenu l’illégalité de ces deux motifs, il a justifié la légalité de cet arrêté en faisant droit à la demande de substitution de motifs que lui avait présentée la commune de Bidart, en estimant que la construction d’une clôture sur un linéaire d’une vingtaine de mètres et une hauteur de 1,83 mètre ne pouvait être regardée comme un aménagement léger nécessaire à la gestion de la pittoresque plage de Parlementa ou à sa mise en valeur, notamment économique, et qu’ainsi, ce projet méconnaissait les dispositions de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme.

La société Bush Holding a fait appel de ce jugement.

C’est cet appel qui a été rejeté par la cour administrative d’appel de Bordeaux dans cette décision du 14 mars 2017 ici commentée.

2. Le principe d’inconstructibilité des espaces remarquables (L. 121-23 du Code de l’urbanisme), fait l’objet de plusieurs dérogations.

En effet, le Code de l’urbanisme autorise expressément des aménagements ayant pour objet, l’atterrage des canalisations du réseau public de transport et de distribution d’électricité et leurs jonctions (L. 121-25 du Code de l’urbanisme), la réalisation de travaux ayant pour objet la conservation ou la protection de ces espaces et milieux, après enquête publique (L. 121-26 du Code de l’urbanisme), ou encore les « aménagements légers » (L. 212-24 du Code de l’urbanisme).

Cette dernière catégorie a donné lieu à un décret ayant pour objet de préciser cette notion d’aménagement léger (R. 121-5 du Code de l’urbanisme).

Il s’agit par exemple des aires de stationnement (R. 121-5 2° du Code de l’urbanisme) ou encore des aménagements nécessaires à la gestion et à la remise en état d’éléments de patrimoine bâti classé (R. 121-5 5° du Code de l’urbanisme).

La question s’est posée de savoir si cette liste des aménagements légers était exhaustive, ou si d’autres formes d’aménagements et de travaux pouvaient être autorisées ?

La jurisprudence administrative a semblé, dans un premier temps, s’orienter vers une forme de rigorisme en refusant les aménagements et travaux, autres que ceux expressément énumérés par le Code de l’urbanisme, conférant ainsi un caractère limitatif à cette liste (V. CE 20 octobre 1995 n° 151282 BJDU n° 5/95 p. 365 pour une aire de jeux ; CE 27 juin 2005 conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres n° 256668, s’agissant d’une aire de stationnement avant son ajout à la liste ; CE 13 février 2009 Communauté de communes du canton de Saint-Malo de la Lande n° 295885, s’agissant d’une cale d’accès à la mer).

La jurisprudence s’est par la suite assouplie.

Le Conseil d’Etat a donné un premier infléchissement à l’occasion d’une demande d’autorisation d’abattage d’arbres en vue de l’aménagement d’un chemin.

S’agissant d’un chemin d’accès à des bâtiments pour permettre l’intervention des véhicules de lutte contre l’incendie, la Haute juridiction administrative a jugé que « si les dispositions de l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme [désormais R. 121-5] ne mentionnent pas les aménagements nécessaires à la lutte contre l’incendie, elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire la réalisation de tels aménagements sur des espaces protégés, à la condition qu’il s’agisse d’aménagements légers strictement nécessaires à cette fin » (CE 6 février 2013 Commune de Gassin n° 348278, BJDU n° 3/2013 p. 177).

L’aménagement d’une clôture a été l’occasion pour les juges du Palais Royal de préciser plus amplement le cas des aménagements et travaux autres que ceux autorisés par l’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme.

Selon le Conseil d’Etat : « L’article L. 146-6 [désormais L. 121-23 et suivants] du code de l’urbanisme, en vertu duquel les décisions relatives à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, ne s’oppose pas à ce que, eu égard à leur objet et à leur nature, des travaux d’édification et de réfection de clôtures, qui doivent faire l’objet d’une déclaration préalable dans les espaces remarquables en application des articles L. 421-4 et R. 421-12 du même code, soient autorisés dans ces espaces, alors même qu’ils ne sont pas mentionnés au nombre des aménagements légers prévus à l’article R. 146-2 [R. 121-5] du code. Il résulte seulement des articles L. 146-6, L. 421-4 et R. 421-12 du code de l’urbanisme qu’il appartient à l’autorité administrative saisie d’une déclaration préalable d’apprécier si ces travaux ne dénaturent pas le caractère du site protégé, ne compromettent pas sa qualité architecturale et paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux » (CE 4 mai 2016 SARL Mericea n° 376049 BJDU 6/2016 p. 406).

Ainsi, il en résulte que le Conseil d’Etat autorise que d’autres aménagements que ceux expressément autorisés par le Code de l’urbanisme puissent être réalisés, sous réserve qu’ils respectent les mêmes critères de qualification que les aménagements légers.

Dans cette affaire, l’appréciation de ces critères avait été renvoyée aux juges du fond.

Afin de connaître la portée de cette veine jurisprudentielle, il convenait donc d’attendre la réception qu’en feraient ces juges.

3. Dans l’affaire de la société Bush Holding, la cour administrative d’appel a jugé que « le projet qui porte sur l’édification d’une clôture en pierre sur un linéaire d’une vingtaine de mètres et d’une hauteur de 1,83 mètre, ne saurait être regardé, compte tenu de sa nature, de sa dimension et de sa finalité, comme constituant un aménagement léger nécessaire la gestion de ce site, à sa mise en valeur notamment économique et à son ouverture au public. De plus, eu égard à ses caractéristiques, la clôture projetée serait de nature à compromettre la qualité paysagère du site protégé. Par suite, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le maire de Bidart aurait pu s’opposer à la déclaration de travaux en litige au motif que ce projet méconnaissait les dispositions précitées de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme ».

Cette première position jurisprudentielle des juges du fond suite à la jurisprudence SARL Mericea semble faire preuve d’une certaine rigueur, classique en matière d’application de la Loi Littoral.

Elle laisse présager que la porte ouverte par le Conseil d’Etat ne sera pas facilement actionnable.

En outre, il est difficile de comprendre pourquoi les juges de bordeaux ont ajouté comme critère le fait que cet aménagement doive être « nécessaire la gestion de ce site, à sa mise en valeur notamment économique et à son ouverture au public ».

Ces critères liés aux finalités de l’aménagement, et qui font références aux dispositions de l’article L. 121-24 du Code de l’urbanisme, n’ont absolument pas été repris par le Conseil d’Etat qui semble avoir consacré l’existence d’une catégorie d’aménagements autonomes, ne figurant pas dans ces dispositions, mais devant en respecter les critères uniquement s’agissant des caractéristiques permettant de les qualifier de léger.

En l’espèce, l’édification d’une clôture vise principalement à satisfaire au besoin de clore sa propriété. Il s’agit d’un droit figurant à l’article 647 du Code civil.

L’implantation d’une clôture ne peut donc qu’indirectement et dans des circonstances très particulières être « nécessaire à la gestion de ce site, à sa mise en valeur notamment économique et à son ouverture au public ».

Ce type d’aménagement, à l’évidence purement privé, ne pourra dès lors que très difficilement satisfaire à ces critères, sauf à adopter une conception extensive de la notion de « gestion ».

En conclusion, cette jurisprudence laisse présager que le juge administratif fera preuve de sévérité dans l’appréciation à laquelle il se livrera pour autoriser les clôtures dans les espaces remarquables.

Cabinet d\'avocat OLEX - Maître Pierre JEAN-MEIRE Avocat au Barreau de Nantes www.olex-avocat.com https://twitter.com/MeJEANMEIRE
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