Village de la Justice www.village-justice.com

Divorce et liquidation de communauté, comment faire la preuve de ses apports personnels ? Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : mardi 28 mars 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Divorce-liquidation-communaute-comment-faire-preuve-ses-apports-personnels,24603.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Au cours du mariage, les époux sont souvent peu attentifs aux termes abscons des actes d’acquisition et à la justification de l’origine des fonds avec lesquels ils financent tel ou tel bien familial.

Au moment de la séparation, les choses sont souvent bien différentes, amnésie de l’un, réclamation de l’autre, c’est l’heure de la preuve et plus le mariage a duré plus la chose est difficile.

Il existe des règles légales qui permettent de régler le problème en amont.

Il s’agit ici de faire le point de la situation en évitant les éventuels soucis aux époux en cours de mariage pour tenter d’aider ceux qui se séparent.

Prenons un exemple, en régime de communauté légale (le plus courant) :
Monsieur Georges et Madame Huguette sont mariés depuis près de 35 ans. Au jour de leur mariage, ils n’avaient quasiment rien de sorte qu’ils n’ont pas jugé utile de faire un contrat de mariage. Ils sont donc mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts. En réalité, au moment du mariage, Madame Huguette avait 100.000 Fr. sur ses comptes bancaires. Ils travaillaient tous les deux.
Un an après le mariage, Madame Huguette attend un heureux événement et cesse de travailler tandis que de son côté, Monsieur Georges trouve un emploi bien rémunéré.
Pour faire face à la nouvelle situation, le couple acquiert un premier appartement pour 200.000 Fr financé grâce à leurs économies ils ont pris un crédit pour le solde.
Les années passent, d’autres enfants naissent, le couple revend son appartement pour 300.000 Fr et part vivre quelques années à l’étranger. Au retour, ils achètent un bel appartement pour 600.000Fr avec l’aide des parents de Monsieur qui versent sur le compte commun 150.000 Fr et partie de la vente du précédent, pour le solde ils prennent un nouveau crédit.
Les enfants grandissent, la carrière de Monsieur George l’amène à changer de ville, sa famille le suit, ils vendent et rachètent des biens successivement, parfois à quelques mois d’intervalle.
En une trentaine d’années, ils ont ainsi déménagé 8 fois et acheté 5 domiciles successivement.
De déménagement en déménagement, les époux n’ont pas conservé leurs relevés bancaires se contentant de garder les documents sur cinq ans. Quant aux actes notariés, ils ont fait confiance aux notaires, sans se poser de question. Enfin, ils n’ont eu pendant toute leur existence maritale qu’un seul compte bancaire, commun.
Vient le temps du divorce et des désaccords.
Madame Huguette se souvient qu’elle avait des économies et que sans elles, ils n’auraient jamais pu acheter le premier appartement qui est la source de leur patrimoine actuel. Monsieur Georges lui a « oublié » les économies qu’avait sa femme avant le mariage.
Monsieur Georges soutient que le cadeau fait par ses parents à la naissance de leur premier enfant était pour lui seul. Madame Huguette est certaine qu’il s’agissait d’un cadeau familial et non spécifique à Monsieur.
Madame Huguette rappelle son héritage qui a permis d’acheter une plus grande maison. Monsieur se souvient bien de cet héritage, mais il est intervenu des mois avant l’achat de la nouvelle maison et pour lui l’argent n’a pas servi à ça. Au contraire Madame l’a utilisé pour s’acheter une belle voiture et des toilettes.

Cette histoire, inventée de toutes pièces, résume à elle seule pour l’intérêt des clauses d’emploi et de remploi et de la conservation ad vitam aeternam des documents bancaires ainsi que de l’intérêt d’avoir des comptes spécifiques pour chaque usage.

En effet, le principe des récompenses est basé sur le fait qu’en communauté de biens l’argent gagné par les époux est commun et donc appartient aux époux (ou plutôt à la communauté) et doit donc être dépensé pour la famille.
Si de l’argent qui appartient à la communauté est dépensé dans l’intérêt propre de l’un des époux, cet époux doit le restituer à la communauté (c’est une récompense) ; de même de l’argent personnel à l’un des époux enrichit la communauté, doit être restitué (c’est aussi une récompense).

Toutefois pour qu’il puisse y avoir récompense, il faut prouver qu’il y avait de l’argent, à qui appartenait cet argent, à quoi il a servi.
Il faut tout d’abord prouver l’existence même de l’argent, ainsi dans notre exemple, Madame Huguette va devoir prouver qu’à la date du mariage elle avait bien 100.000 Fr. sur ses comptes. La chose n’est pas si simple à moins qu’elle ait conservé ses relevés bancaires datant de juste avant le mariage.
Il faut ensuite déterminer à qui appartenait l’argent. Dans notre exemple, dans le cas de la donation faite par les parents de Monsieur Georges, cela ne pourra être prouvé à la condition qu’il y ait un élément justificatif.
Il faut enfin rapporter la preuve de l’utilisation de cet argent pour l’achat du bien immobilier. En effet si l’on prouve que l’argent a servi à acquérir un bien immobilier, ou tout autre bien prenant de la valeur, l’argent apporté à la communauté sera alors réévalué en fonction du prix de vente du bien ou de sa valeur à la date du partage. Ainsi dans notre exemple, si Madame Huguette parvient à prouver qu’elle avait bien 100.000 Fr au moment du mariage, il lui reste à rapporter la preuve qu’ils ont servi à l’achat du bien immobilier. Si elle n’y parvient pas, elle percevra au moment du divorce l’exacte contrevaleur en euros des 100.000 Fr d’origine. Si elle y parvient, elle percevra alors la plus-value faite sur son apport soit 50% (puisque le bien acquis 200.000 Fr s’est vendu 300.000 Fr). Et si elle parvient à poursuivre le raisonnement et à prouver que l’argent a servi à l’acquisition du bien suivant (et ainsi de suite) elle pourra alors percevoir la totalité des plus-value cumulées…

Cependant, l’argent étant par nature fongible, lorsque de l’argent personnel est déposé sur un compte bancaire commun sur lequel se trouve aussi de l’argent commun, il devient impossible de savoir quel était l’argent commun et quel était l’argent personnel.
C’est là tout l’intérêt des déclarations d’emploi ou de remploi qui doivent être faites au moment de l’acquisition. Le principe en est simple, lorsque l’on achète un bien, par exemple immobilier, il est possible de préciser dans l’acte d’acquisition les modalités de financement en indiquant que l’on utilise de l’argent personnel issu par exemple d’un héritage ou d’économies faites avant le mariage (c’est la déclaration d’emploi) ou que l’on réutilise de l’argent issu d’un précédent emploi à la suite par exemple d’une succession de vente et d’achat (c’est la déclaration de remploi). Ainsi dans notre exemple, Madame Huguette aurait pu lors de l’acquisition du premier bien immobilier demander au notaire de préciser dans l’acte que pour l’acquisition de ce bien elle employait 100 000 Fr. qui lui étaient personnels. De même pour la seconde acquisition elle pouvait préciser qu’elle faisait un apport de 150 000 Fr s’agissant du remploi suite à la vente du bien précédent, et ainsi de suite. Cette déclaration d’emploi de remploi est une preuve notariée et permet sans aucune difficulté de confirmer l’origine des fonds et les récompenses.

À défaut de déclaration d’emploi ou de remploi, la preuve est libre et ce sont les juges du fond doivent déterminer au vu de la situation précise si une récompense est due et si son montant doit ou non être réactualisé.

Dans notre exemple les parents de Monsieur Georges peuvent attester que lorsqu’ils ont fait une donation c’était pour leur fils et non pour la famille, c’est une preuve recevable qui peut permettre à Monsieur Georges de faire valoir son droit à récompense pour les 150.000 Fr. Si en outre ils ont conservé leurs relevés bancaires et peuvent prouver une très grande corrélation entre la date à laquelle ils ont versé l’argent et la date d’acquisition du bien, la jurisprudence considère que c’est un élément factuel de nature à justifier que la somme a servi à l’acquisition du bien immobilier ce qui permet d’en tirer les conséquences à savoir la réévaluation des sommes versées au prorata de la plus-value du bien immobilier.
En revanche s’il s’est écoulé une période relativement longue entre la perception des fonds personnels et l’acquisition du bien immobilier et que ces fonds ont été versés sur le compte commun du couple, il sera quasiment impossible de prouver que ces fonds ont été utilisés pour l’acquisition du bien immobilier. La récompense sera alors au nominal de la somme d’origine. La situation est la même si l’argent a été versé pour le compte personnel de l’un des époux et que ses revenus sont versés sur le même compte.

Rappelons en effet qu’en régime de communauté les revenus sont communs par nature donc l’effet de la fongibilité a les mêmes conséquences.
Et dans le cas où l’argent est versé sur un compte séparé, qu’il soit bloqué ou non, sur lequel aucune autre somme n’est versée sauf éventuellement des fonds propres, et si l’on peut prouver que l’argent de l’acquisition a été payé avec ce compte, alors l’origine des fonds est prouvée.

Dès lors, comment faire pour éviter ces écueils ? Il convient tout simplement pendant tout le mariage de conserver la totalité des relevés bancaires, de n’user du compte commun que pour les dépenses et revenus communs, d’avoir un compte bancaire spécifique de chaque époux pour ses biens propres.
Attention les revenus des biens propres ne doivent pas être déposés sur le compte personnel car il s’agit de revenus communs.
Enfin, pour chaque donation le donateur doit préciser quel est le donataire et pour chaque achat, il convient de demander au notaire la clause d’emploi ou de remploi correspondant à la réalité de la situation.
Ces éléments permettent à peu de frais de se garantir des preuves et d’éviter des discussions qui peuvent s’avérer sans fin.

Bien entendu, il existe des solutions spécifiques dans certains cas mais elles demandent des recherches, du temps, un avocat spécialisé et le plus souvent une procédure longue et incertaine.

Alors sachons raison garder, il vaut mieux prévenir que guérir.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com
Comentaires: