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Hauteur d’une construction et niveau du terrain naturel en droit de l’urbanisme. Par Victor de Chanville, Avocat.
Parution : mercredi 29 mars 2017
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En matière d’urbanisme, la hauteur des constructions est souvent calculée en considération du niveau du terrain naturel. Cette notion n’étant pas traitée par le code de l’urbanisme malgré son importance pratique, il convient de se reporter à la jurisprudence pour en définir la teneur.

Le règlement du plan local d’urbanisme (en son article 10) réglemente la hauteur des constructions pouvant être édifiées dans les différentes zones composant le territoire communal.

S’il arrive que la hauteur soit définie en comparaison avec celle des constructions avoisinantes, notamment dans les centres villageois où le maintien d’une certaine harmonie de volume et d’apparence est recherchée, la plupart du temps la hauteur doit être calculée depuis le sol et plus précisément à partir du « terrain naturel » ; c’est le cas à défaut de précision contraire dans le document d’urbanisme.

Le niveau du terrain en ses différents points est en général reporté sur le plan de masse de la demande de permis de construire, voire sur les plans en coupe, sur le fondement du travail d’un géomètre expert.

L’application de cette règle est importante puisque le respect des règles de hauteur conditionne évidemment la légalité du projet de construction au regard du droit de l’urbanisme et, par voie de conséquence, l’acceptation ou le rejet par l’administration de la demande d’autorisation.

Une irrégularité à cet égard peut également conduire à l’annulation de l’autorisation délivrée.

Il est donc important de bien intégrer les différentes notions en jeu.

1/ Il n’y a pas de difficulté pour déterminer le point haut du bâtiment à prendre en compte pour le calcul de la hauteur depuis le niveau du terrain naturel.

A cet égard, on distingue habituellement, même si d’autres références sont envisageables, entre :
- la hauteur du bâtiment « à l’égout » ou « hauteur de façade », ce qui amène à prendre en compte la hauteur jusqu’à la base de la toiture ou, en présence d’une toiture plate, jusqu’au point le plus haut de la façade,
- la hauteur « au faîtage » du bâtiment ou « hauteur totale », qui conduit à prendre en considération le point le plus élevé de la toiture ou des éléments qui la surplombent en cas de toiture plate.

2/ En revanche, la notion de terrain naturel est plus difficile à déterminer, dans la mesure notamment où elle rarement définie par le plan local d’urbanisme (parfois dans les dispositions générales cependant) et n’est pas traitée par le code de l’urbanisme.

Cela peut poser problème.

Il est donc indispensable de se référer à la jurisprudence afin de déterminer à quoi correspond précisément la notion de terrain naturel à prendre en compte pour mesurer la hauteur de la construction projetée.

La jurisprudence administrative, relativement rare à ce sujet, considère ainsi de manière constante que :
« il convient de mesurer la hauteur des constructions projetées à partir du niveau du sol existant avant tous travaux d’exhaussement ou d’excavation exécutés en vue de la réalisation du projet faisant l’objet d’une demande de permis de construire », tout en précisant que « le dossier de la demande doit contenir les éléments utiles à cette exacte mesure ».

Les termes « niveau du sol existant avant tous travaux d’exhaussement ou d’excavation exécutés en vue de la réalisation du projet » sont essentiels : les juges (et par suite l’administration, du moins en théorie) ne prennent pas en compte les modifications du niveau du terrain intervenues avant le dépôt de la demande de permis et sans lien avec les travaux envisagés, sauf à prouver que d’éventuels aménagements ont été réalisés dans un objectif frauduleux, c’est à dire constituent des manœuvres de nature à induire l’administration en erreur.

A ce titre, le Conseil d’État a eu l’occasion de juger, par un arrêt du 9 juin 2004 que,
si « la cour administrative d’appel de Marseille a estimé qu’il convenait de faire abstraction d’importants mouvements de remblai (...) réalisés trop peu de temps avant le dépôt de la demande de permis de construire pour pouvoir être regardés comme constituant le terrain naturel au sens des dispositions de l’article R. 421-1 précité »,
« en statuant ainsi, sans rechercher si les travaux de remblaiement en cause avaient été exécutés en vue de la réalisation du projet litigieux, la cour a commis une erreur de droit ».

Ne seront pas davantage pris en compte les remblaiements « réalisés plusieurs années avant le dépôt de la demande de permis » ou encore les « importants remblais et de dépôts de terre effectués au cours des années précédant la demande de permis de construire », sauf ici encore à démontrer une volonté de frauder (voir en ce sens les arrêts de la Cour administrative d’appel de Lyon du 23 juillet 2013 et de la Cour administrative d’appel de Marseille du 24 novembre 2005).

Autrement dit, il est admis que le niveau du terrain naturel pris en compte pour mesurer la hauteur du bâtiment en projet puisse avoir été modifié quelques années ou même quelques mois avant le dépôt de la demande, à condition que cette modification ne soit pas en lien avec les travaux autorisés, ce qui ouvre des perspectives à un pétitionnaire prévoyant.

En effet, à partir du moment où l’évolution du niveau du terrain naturel est assez éloignée de la demande d’autorisation, les juges auront tendance à retenir l’absence de lien avec les travaux prévus par ladite autorisation.

3/ L’existence d’une fraude constitue néanmoins une véritable limite aux possibilités évoquées ci-avant.

A ce titre, la jurisprudence sanctionne la « manœuvre destinée à fausser l’appréciation de l’administration sur la conformité de la construction projetée à la réglementation d’urbanisme applicable à la zone », ce qui implique d’établir sans équivoque l’existence de manœuvres volontaires et, en quelques sortes, l’intention malhonnête de l’auteur de la fraude.

En ce sens, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré, dans une décision du 27 novembre 2007, que la mention volontaire sur les plans de la demande de permis de construire d’un niveau erroné du terrain naturel constitue une fraude :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le niveau du sol indiqué sur les plans de coupe joints à la demande de permis de construire ne correspondaient pas au niveau existant à la date du dépôt de cette demande mais était plus élevé de 3,50 m ; qu’en outre, la côte des faîtages portée au plan de coupe excède la côte altimétrique maximale autorisée de 56.00, pour atteindre celle de 59.40 ; que si M. Y soutient que les requérants auraient présenté le niveau le plus bas des décaissements effectués pour les travaux comme étant le niveau naturel du sol, cette allégation n’est pas confirmée par les éléments du dossier ; que la mention inexacte de la hauteur du sol naturel portée sur les plans ne procède pas d’une erreur commise de bonne foi par le pétitionnaire mais d’une manœuvre destinée à fausser l’appréciation de l’administration sur la conformité de la construction projetée à la réglementation d’urbanisme applicable à la zone ; qu’en considérant, tant pour ce motif qu’à raison du dépassement de la côte altimétrique maximale autorisée, que le permis délivré méconnaissait les dispositions de l’article précité du règlement du lotissement, le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion a fait une exacte appréciation des faits de la cause ».

Il ressort du même arrêt qu’au contraire l’« erreur commise de bonne foi » doit être distinguée de la fraude.

Précisions que la fraude en tant que telle ne constitue pas un moyen d’annulation du permis de construire mais permet de solliciter, sans condition de délai, le retrait de la décision, et de contester en justice un éventuel refus, ce qui peut permettre d’obtenir l’annulation d’un permis bien après l’expiration des délais de recours.

Il faudra pour obtenir une telle annulation que la fraude ait eu pour effet, par exemple, de dissimuler une méconnaissance par le projet des règles d’urbanisme applicable, comme cela ressort de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux précité du 27 novembre 2007.

En effet, il est certain qu’en majorant artificiellement le niveau du terrain naturel il est possible de bâtir un bâtiment d’une hauteur supérieure à celle mesurée au regard du véritable terrain naturel.

4/ En conclusion, le niveau du terrain naturel retenu dans le cadre d’un projet de construction sera en général celui existant à la date de dépôt de la demande, sauf si des exhaussements ou excavations ont été au préalable exécutés :
- en vue de la réalisation du projet, auquel cas le niveau antérieur du sol devra être retenu,
- afin d’induire l’administration en erreur sur la conformité de la construction projetée à la réglementation d’urbanisme applicable, dans le cadre d’une intention frauduleuse.

Maître Victor de CHANVILLE Avocat au Barreau de Marseille www.dechanville-avocat.fr
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