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Formation en Grande Ecole : un sésame pour les juristes ?
Parution : samedi 8 avril 2017
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La formation universitaire prépare-t-elle véritablement les futurs juristes d’entreprise ?
Si elle leur apporte les bagages juridiques nécessaires, elle laisse peu ou pas de place à d’autres aspects de la vie en entreprise, dont auront pourtant besoin les anciens étudiants pour débuter leur carrière. Se tourner vers les grandes écoles, pour compléter son parcours, peut alors être un bon moyen de mieux s’armer pour son futur emploi.

Le Village de la Justice s’est entretenu avec Anne-Sophie Cagnard, juriste chez IKEA, qui a obtenu un master spécialisé à l’EM Lyon, et Océane Dubois, juriste chez Unilever France, qui a obtenu son diplôme à l’ESSEC. Une expérience positive pour les deux juristes, satisfaites de leur choix de parcours.

Clarisse Andry : Pourquoi avez-vous suivi cette formation ?

Anne-Sophie Cagnard : Dans le cadre de mon Master 2 en droit des affaires comparé à l’université de Lyon 2, nous avons eu une journée de formation en commun avec les étudiants du master spécialisé de l’EM Lyon, ce qui nous a permis d’échanger, et de m’intéresser à cette formation. Suite à mon stage de Master 2, en cabinet d’avocat, j’ai ressenti que ce métier ne me conviendrait pas, notamment en raison de la relation client/avocat, le fait de facturer les heures, ou de n’être présent que ponctuellement sur des dossiers, sans faire partie de l’entreprise et de sa stratégie globale. J’étais plus tentée par l’aventure en entreprise, et je voyais ce master spécialisé comme le meilleur moyen de répondre clairement à mes objectifs. Je ne me sentais pas non plus tout à faire prête à entrer dans le monde de l’entreprise, et j’avais envie de connaître un peu plus ce à quoi j’allais être confrontée. J’ai donc postulé, les entretiens se sont très bien passés et la formation telle qu’elle m’a été présentée répondait pleinement à mes attentes, ce qui m’a conforté dans mon choix.

Anne-Sophie Cagnard

Océane Dubois : A l’issue de mon Master 2, un choix s’offrait à moi : rentrer directement sur le marché du travail, ou compléter ma formation. A cette époque déjà, le marché de l’emploi était tendu, avec très peu d’offres correspondant à mes aspirations professionnelles, des recruteurs exigeants et la concurrence était rude entre les candidats. Sans diplôme supplémentaire en poche, du type LL.M ou CRFPA/CAPA, j’ai estimé qu’une formation complémentaire renforcerait l’attractivité de mon profil. Par ailleurs, j’avais toujours été attirée par le métier de juriste en entreprise, et c’est pourquoi j’ai naturellement envisagé la formation en école de commerce, beaucoup plus orientée vers le monde de l’entreprise que d’autres diplômes.
Je me suis donc intéressée au diplôme de Mastère Spécialisé en Droit des affaires internationales et management dispensée par l’ESSEC. C’était le seul à proposer une formation en apprentissage, ce qui répondait exactement à mes attentes de l’époque : poursuivre ma formation académique tout en ayant un pied dans l’entreprise. Évidemment, l’ESSEC jouissant d’une forte notoriété, y compris à l’étranger, j’étais convaincue qu’il s’agissait là de la meilleure formation pour moi.

Pourquoi tenter une formation dans une grande école plutôt que de continuer à l’université ?

« Ce master spécialisé nous offrait une immersion dans le monde de l’entreprise. » (A.S. Cagnard)


Anne-Sophie Cagnard : J’ai été satisfaite de mes cinq années de formation à l’université, mais elle ne comportait pas l’aspect pratique et pragmatique nécessaire pour travailler en entreprise. C’était encore très abstrait pour moi, ayant effectué mes précédents stages dans une étude notariale et cabinet d’avocats. Ce master spécialisé nous offrait une immersion dans le monde de l’entreprise, et la possibilité d’appartenir à une école, ce qui inclut un réseau, la rencontre d’autres cursus, avec d’autres profils, … Il comportait en plus six mois de stage, ce qui m’apportait une première expérience professionnelle plus longue que dans un master classique, et qui me paraissait beaucoup plus adapté à mes attentes.

Océane Dubois : Durant mes cinq années de droit, j’ai reçu des enseignements de qualité et j’ai été accompagnée par d’excellents professeurs et intervenants qui m’ont permis d’acquérir de solides connaissances théoriques, mais aussi pratiques. Ce fut en particulier le cas dans le cadre de mon Master 2 – DJCE orienté droit des affaires général. Toutefois, l’intérêt d’être diplômée d’un second master d’université était pour moi limité en considération de mon profil et de mes aspirations. La formation en école de commerce présentait deux avantages : l’environnement d’apprentissage était différent de celui que j’avais connu, et je m’éloignais d’une formation purement juridique avec des cours plus orientés « business ». J’ai pu bénéficier de cours que l’on retrouve moins fréquemment à l’université comme des cours de marketing, de stratégie ou de finance. L’objectif premier n’était pas de nous former pour devenir les entrepreneurs de demain, mais de nous sensibiliser à des questions plus opérationnelles afin de mieux appréhender le milieu de l’entreprise en tant que juriste ou avocat.

Concrètement, la formation que vous avez suivie vous est utile au quotidien ?

Océane Dubois

Anne-Sophie Cagnard : Oui, surtout au début de ma carrière. Pendant les six mois de cours que j’ai suivis à l’EM Lyon, des professeurs professionnels nous ont parlé des différents départements qui peuvent composer une entreprise, de négociation, de comptabilité, de finance, de marketing, de management. Ces matières m’ont permises d’arriver avec un œil plus pragmatique en entreprise, sans rester figée sur le droit, ce qui est essentiel car on demande aux juristes d’être très business oriented. Comme il s’agissait d’un master international, nous avons également abordé les questions d’interculturalité, car il faut être conscient des différences qui peuvent exister d’un pays et d’une culture à l’autre, notamment lors de négociations. Une bonne partie des cours était également en anglais, ce dont on ne peut plus se passer aujourd’hui en entreprise.

Océane Dubois : Que ce soit en termes d’enseignements, de rencontres et d’environnement de travail, la formation que j’ai suivie m’a permis de finaliser la réflexion que je menais sur mes aspirations professionnelles en confirmant mon envie d’exercer en tant que juriste en entreprise. J’ai été sensibilisée au monde de l’entrepreneuriat en partie grâce aux intervenants qui dispensaient les cours à l’ESSEC. La formation du MS DAIM m’a permis de me construire professionnellement, et d’être la juriste que je suis aujourd’hui.

Avec le recul, l’investissement, en terme de temps et de coût financier, en valait-il la peine ?

Anne-Sophie Cagnard : En ce qui me concerne, oui. J’ai fait un prêt décalé pour pouvoir financer cette année à l’EM Lyon, que je ne remboursais que deux ans après. J’ai trouvé mon stage dans le cadre de forums entreprises au sein de l’école, et j’ai été embauchée dans cette même entreprise. C’est donc avec l’école que j’ai débuté ma carrière, ce qui m’a permis de rembourser mon prêt. Et le fait d’avoir fait cette formation est resté un argument fort au cours de ma vie en entreprise, notamment pour négocier mon salaire ou mes augmentations.

Océane Dubois : Dans mon cas également. J’ai eu la chance de signer un contrat d’apprentissage avec Unilever France qui m’a formée en alternance de mes cours à l’ESSEC. Les coûts de formation d’école sont donc pris en charge par l’entreprise, et l’apprenti est rémunéré pour le travail effectué. J’ai donc pu bénéficier des enseignements de l’ESSEC, tout en étant formée au quotidien au métier de juriste chez Unilever. J’ai ensuite été embauchée, et cela fait maintenant plus de quatre ans que j’évolue au sein du service juridique d’Unilever France.

Ce type de formation ouvre-t-il plus de portes ? Est-ce un profil qui intéresse plus les recruteurs ?

« Ce qui compte, c’est la cohérence de parcours et son adéquation au poste ou au métier recherché. » (O. Dubois)

Anne-Sophie Cagnard : Oui, tout à fait. Que ce soit dans l’entreprise dans laquelle j’étais ou lorsque j’ai passé des entretiens, cela a toujours été un plus. C’est un élément qui intéresse les recruteurs, et qui fait clairement la différence avec d’autres candidats. L’expérience va jouer, mais si l’on n’a pas fait de master spécialisé, il faudra compenser avec plus d’expérience. La difficulté, lorsque l’on sort de la faculté, est de mettre le pied à l’étrier. Ce n’est pas facile de trouver du travail aujourd’hui, et autour de moi, les personnes qui n’avaient pas fait de master spécialisé ont en moyenne mis plus de temps à trouver un CDI que les autres.

Océane Dubois : Les formations en école de commerce renforcent indéniablement l’attractivité d’un profil et sont grandement appréciées de certains recruteurs. On voit d’ailleurs de plus en plus d’offres d’emploi qui exigent une formation complémentaire comme celles dispensées en école de commerce. Pour certains, il s’agit d’un gage de qualité en termes d’enseignements, et de motivation du candidat. Toutefois, ce n’est pas un passage obligé, certains recruteurs y sont moins sensibles. A mon sens, ce qui compte, c’est la cohérence de parcours et son adéquation au poste ou au métier recherché. Ce n’est pas la formation en école de commerce, prise isolément, qui va permettre d’ouvrir plus de portes, mais c’est un avantage supplémentaire qui peut valoriser un profil.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice