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L’application du principe de la bonne foi objectif dans les contrats à partir de l’affaire « Ryan Lochte ». Par Martinho Neves Miranda, Avocat.
Parution : vendredi 7 avril 2017
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Le cas du nageur américain fait ressortir l’amplitude des devoirs entre les parties contractantes.

Et Ryan ... lost !

Le nageur Ryan Lochte a perdu plusieurs de ses sponsors après avoir été impliqué dans une controverse pour avoir fait une déclaration fausse de crime auprès de la police brésilienne, dans une tentative de dissimuler les dégâts qui ont été commis par lui et quelques collègues à une station-service à Rio de Janeiro pendant les Jeux Olympiques de 2016.

La question fait apparaître une discussion importante sur les obligations légales découlant d’un contrat de sponsoring.

Les devoirs essentiels des parties découlant de ce type de contrat sont fixés, par rapport au sponsor, à payer le montant accordé pour l’utilisation de l’image de l’athlète, tandis que celui-ci doit faire partie des activités promotionnelles prévues dans le contrat, comme utiliser la marque du sponsor dans les compétitions, participer à des entretiens, être présent à des événements promus par le sponsor, ... tout comme prévu dans l’accord.

Mais le cas de Ryan Lochte est emblématique, puisque ses sponsors ont mis fin au contrat de sponsoring qu’ils avaient avec le nageur, sans que l’athlète ait fait quoi que ce soit directement contre eux.

Cette situation soulève la question suivante : les sponsors peuvent-ils mettre fin aux contrats en raison de comportements adoptés par les sponsorisés dans leur vie privée ?

Pour commencer à répondre à cette question, il est essentiel de travailler avec la notion de bonne foi, qui intègre tous les contrats qui doivent être conclus aussi bien en France qu’aux États-Unis, pays d’origine du grand nageur olympique.

Le principe de la bonne foi et son contenu

En effet, bien qu’il y ait beaucoup de différences entre les systèmes juridiques de France et des États-Unis d’Amérique, il y a un point en commun entre eux : le principe de la bonne foi.

En France, l’article 1104 du Code civil français prévoit que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, et dit aussi que cette disposition est d’ordre public, à savoir, même si les parties veulent prévoir quelque chose à l’effet contraire, ils ne peuvent pas le faire, puisque l’article 1102 du même Code dit que la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent à l’ordre public.

Il est important de souligner que les dispositions d’ordre public sont celles qui visent à protéger l’intérêt général. Il est tout à fait interdit de contrevenir à une telle disposition. On ne peut pas y déroger par une clause contraire dans un contrat.

Aux États-Unis aussi, ce principe dérive de prévision juridique expresse dans l‘UNIFORM COMMERCIAL CODE, dont le paragraphe 1-304, dit que « tout contrat ou obligation relevant du Code de commerce uniforme, impose une obligation de bonne foi, aussi bien dans sa constitution que dans son accomplissement ».

À son tour, le paragraphe 1-201 conceptualise la bonne foi (good faith) comme l’honnêteté dans la manière d’agir et le respect des normes commerciales raisonnables d’opération et négociation.

Sous le prisme juridique, la bonne foi a deux sens : le subjectif et l’objectif. Le sens subjectif traite de l’état psychologique de la personne qui croit erronément en l’existence d’une situation juridique alors que la réalité est tout autre.

Autrement dit, l’agent, pris par certaines circonstances, ignore l’irrégularité d’un acte ou d’une situation juridique.

Ainsi, par exemple, le possesseur qui pensait qu’il avait acquis le domaine de la chose qu’il possède, quand il ignorait le fait qu’il l’avait achetée à quelqu’un qui n’était pas le véritable propriétaire.

Le sens objectif de la bonne foi, qui est ce qui nous intéresse ici, ce sont des normes de conduite requises par la société par rapport au contractant dans l’exécution d’une obligation.

Voilà pourquoi ce genre de bonne foi est appelé « objective » une fois qu’il s’agit de modèles de comportement qui sont requis de toute personne, sans prendre en compte l’état psychologique du sujet au moment où il a commis l’acte passible de récrimination.

Au contraire, les normes de conduite avaient été créées ayant pour paramètre l’homme « moyen » et toutes les parties contractantes sont censées les respecter, quelle que soit leur intention.

Ces normes représentent plusieurs obligations implicites qui découlent automatiquement de la conclusion d’un contrat. Elles sont appelées « devoirs accessoires », qui sont des obligations contractuelles implicites présentes dans toute relation contractuelle, peu importe son contenu.

En général, on peut distinguer quatre espèces de devoirs accessoires - obligation d’information, obligation de sécurité, obligation de loyauté et obligation de coopération - que les parties doivent avoir entre elles, afin que les deux puissent atteindre ensemble les objectifs que chacune a défini en signant le contrat.

L’obligation d’information indique qu’il existe un devoir réciproque d’information entre les parties du contrat.

L’article 1112-1 du Code civil français prévoit d’ailleurs, que celle des parties qui a une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Ainsi, par exemple, si un joueur utilise un médicament sans l’autorisation du service médical, il doit informer le médecin de l’équipe, parce que le produit peut contenir une substance de dopage et dans ce cas, son utilisation peut apporter d’énormes pertes au club.

De même, le club qui transfère un joueur à un autre club, a le devoir d’informer si l’athlète a une sorte de problème médical.

En ce qui concerne l’obligation de sécurité, il appartient aux parties d’assurer l’intégrité des biens et des droits de l’autre, même si elle n’est pas la propriétaire de ces biens et droits.
Le locataire d’une salle de sport, par exemple, doit prévenir le propriétaire de tout problème structurel qui existe dans la propriété.

Au regard de l’obligation de loyauté, il convient de noter que chacune des parties ne doit pas agir de manière à causer des dommages à l’autre, à savoir, un partie au contrat ne peut inutilement aggraver la situation de l’autre partie.

Il ne suffit pas que le contrat soit strictement respecté. Il est nécessaire d’adopter le comportement qui réponde le mieux aux intérêts communs des deux parties contractantes.
Un entraîneur qui a indiqué l’embauche d’un joueur juste parce qu’il est son ami, ou parce qu’il veut payer une dette qu’il a avec lui, ne respecte pas son devoir de loyauté envers son employeur, puisque l’indication d’un joueur doit être faite dans le seul et unique intérêt du club et non pour servir les intérêts égoïstes dudit entraîneur.

Enfin, l’obligation de coopération représente la collaboration qu’il devrait y avoir entre les parties afin que les deux puissent atteindre les fins du contrat, augmentant les chances de l’achèvement de la production de tous les effets conçus lors de la signature du contrat.

En effet, le devoir de coopération implique l’obligation pour chaque partie de faciliter l’exécution du contrat à son partenaire. Chaque partie ne doit pas voir dans l’autre un adversaire mais plutôt un partenaire, qui devrait être protégé en vertu de cette obligation de coopération.

Autrement dit, en vertu de l’obligation de coopération, le contractant ne doit pas seulement se préoccuper avec son propre intérêt, mais il doit agir de manière à permettre que l’autre partie bénéficient également de la conclusion du contrat.

L’obligation de coopération entre les parties contractantes : un devoir fondamental dans les contrats de sponsoring

Et dans le contrat de sponsoring, comment est-ce que l’athlète doit agir pour collaborer avec son sponsor ?

Pour ce faire, nous devons examiner les objectifs poursuivis par les parties dans un ajustement de cette nature.

En ce qui concerne le sponsorisé, la conclusion d’un tel contrat a pour but de recevoir une payement à la suite du transfert d’image. Le contrat de sponsoring constitue l’un des principaux moyens de subsistance pour les athlètes qui n’exercent pas leur fonction sous l’égide d’un contrat de travail.

Quant au sponsor, le recrutement d’athlètes en qualité de garçons d’affiche vise l’utilisation de leur image comme un moyen d’augmenter les ventes, de valoriser institutionnellement la marque et d’améliorer la communication avec les clients.

En fait, le sponsoring est un mécanisme plus facile pour l’accès à l’esprit du consommateur qu’on veut conquérir, en associant le produit à un personnage vainqueur aimé et respecté par le public.
Il convient de noter que le contrat de sponsoring est fait en tenant compte non seulement de la compétence et l’habileté, mais aussi de la réputation et l’honneur d’une personne en particulier.

Ça fait ressortir une caractéristique unique présente dans le contrat de sponsoring qui est le fait que c’est un contrat intuitu personnae, à savoir, un contrat conclu essentiellement en raison des qualités personnelles de celui avec qui il a été passé, ainsi que le contrat de travail, le mandat, etc.

Donc, pour que le contrat réponde aux attentes du sponsor, il y a deux facteurs que l’athlète devrait prendre en considération : se battre pour les meilleurs résultats sportifs possibles et préserver son image.

Alors que la première tâche à accomplir est une obligation de moyens, dans laquelle l’athlète ne peut pas garantir l’obtention de résultats sportifs favorables, car la victoire ne dépend pas seulement de son propre effort, mais aussi en raison de facteurs externes tels que la performance des adversaires, les conditions météorologiques, ... la deuxième obligation est une chose qui dépend uniquement du comportement du sponsorisé.

Et si le contrat a été conclu selon les attributs apparents de la personnalité de l’athlète au moment de l’embauche, il appartient au sportif l’obligation de maintenir un comportement conforme aux normes requis d’une figure publique vénérée de tous.

Ainsi, l’obligation accessoire de collaboration impose au sportif de préserver son image afin de contribuer aux objectifs de son partenaire contractuel, une fois que l’image de l’athlète est un élément essentiel dans l’exploitation de la publicité par le sponsor.

Pour avoir pratiqué des actes de vandalisme et porté plainte d’un faux crime auprès de la police brésilienne, Ryan Lochte a oublié son obligation implicite de coopérer avec ses sponsors, même s’il n’avait pas eu l’intention par son acte de leur porter dommage.
Et ce devoir était précisément celui de préserver son image, parce que c’est grâce à elle que ses sponsors seraient en mesure d’atteindre les objectifs poursuivis dans un contrat de sponsoring : augmenter la vente de leurs produits par la sympathie des clients à un idole.

Mais cet oubli lui a coûté cher.
Très cher.

Martinho Neves Miranda
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