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Produire et financer une web série. Par Sébastien Lachaussée, Avocat, et Dominique Bougerol.
Parution : lundi 10 avril 2017
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Difficile d’échapper au succès croissant des web séries ! Celles-ci totalisent aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de vues sur internet, tant sur les principales plateformes de partage vidéos (Youtube, Dailymotion, Viméo…) que sur des sites internet de certaines chaînes de télévision (France 4, Arte…) ou des sites dédiées (Frenchnerd, noob-tv…). Elles figurent d’ailleurs désormais, en bonne place aux palmarès de festivals de télévision (Luchon, La Rochelle…) au côté des catégories traditionnelles des fictions audiovisuelles et des documentaires de création, signes de leur visibilité artistique accrue.

I. Produire une web série

Les nouveaux formats audiovisuels que constituent les web séries se caractérisent avant tout par la brièveté de leurs épisodes (généralement d’une durée inférieure à 10 minutes) et par la nécessité, pour leurs concepteurs, de se constituer une communauté conséquentes d’internautes, fidèles à la série.

De nombreuses séries sont réalisées en auto-production. Si la plupart sont de facture très amateurs, il en existe toutefois qui se distinguent par leur professionnalisme. Cette qualité dans la production entraîne alors nécessairement un coût minimal. C’est ainsi que Gwendal Biscueil et Arnaud D’Ancona indiquent avoir réalisé leur série « Gabriel » en cinq épisodes pour une somme de 7 000 €, nécessaires pour couvrir essentiellement les frais de post-production, d’effets spéciaux et de marketing. Pour le tournage, ils ont sollicité l’aide bénévole d’amis issus de leur propre école de cinéma et déjà engagés dans la vie professionnelle.

Vue sous l’angle juridique, toute production, même fondée sur l’amitié et l’entraide, doit être prise en charge par une société de production audiovisuelle en charge de l’organisation matérielle des phases de tournage et de montage, et respecter les règles juridiques et sociales en vigueur dans notre pays. Cela est particulièrement important pour le développement des séries mais est surtout nécessaire pour sécuriser la production et l’exploitation de la série.

A titre d’exemple, la série « Mortus Corporatus » (10 épisodes – saison 1), a été produite par la société aveyronnaise AnderAnderA, et tournée avec des comédiens professionnels pour une somme de 30 000 €. Pour pouvoir faire aboutir ce projet, une recherche très extensive de partenariats locaux a été nécessaire afin de réduire tous les coûts de réalisation (gratuité de l’hébergement, restauration, lieux de tournage…) en plus d’un appel à des subventions publiques et des apports privés.

II. Financer une web série

Grâce au succès grandissant des web séries, de nouvelles opportunités de financement, tant publiques que privées, s’offrent à leurs concepteurs.

A. Les aides publiques

Très réactives sur ce front, les chaînes de télévision publiques développent, sur des sites internet dédiés, des espaces de diffusion de web série qu’elles financent. Il en va ainsi des sites France TV Nouvelles écritures et Studio 4, pour le groupe France Télévisions, et de Arte Créative, pour la chaîne franco-allemande éponyme. Ces dernières lancent, non seulement des appels à projet, mais peuvent également recevoir des propositions de web série (avec cependant parfois l’obligation de s’intégrer dans un projet dit « transmédia », c’est-à-dire pensé simultanément pour plusieurs médias).

Du côté des pouvoirs publics, un décret n˚ 2012-269 du 24 février 2012 prévoit désormais l’attribution :
- d’aides à la préparation et à la production d’œuvres spécifiquement destinées aux nouveaux médias (internet, écrans mobiles) ;
- ainsi que d’aides à la préparation d’œuvres destinées à une exploitation à la fois sur les médias traditionnels, comme la télévision, et sur les nouveaux médias, dès lors que ces œuvres « transmédia », forment bien un univers narratif global et cohérent.

Les auteurs ou les producteurs peuvent déposer à cet effet une demande d’aide aux projets nouveaux médias auprès du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui statue 4 fois par an. Cette aide comprend deux volets permettant d’accompagner les producteurs de web séries : une aide à l’écriture et au développement (plafonnée à 50% du budget d’écriture et de développement et à 20 000 €) et une aide à la production (plafonnée à 50% du budget de production et à 100 000 €). On notera cependant que cette aide à la production est incompatible avec d’autres aides de la part du CNC, notamment avec le web Cosip.

En effet, pour soutenir la production de web séries le CNC a également mis en place un web Cosip, dont le modèle est calqué sur le fonds de soutien cinéma. Ainsi ce web Cosip permet d’une part le réinvestissement par les producteurs de leur fonds de soutien dans des créations web et d’autres part de générer du fonds de soutien en fonction du temps de web séries produit.

En marge de ce dispositif, on peut également mentionner un autre mécanisme spécifique de soutien financier du CNC, consacré, lui, aux œuvres expérimentales, aux écritures novatrices faisant spécifiquement appel à l’utilisation de technologies multimédias et numériques. Ce dispositif pour la création artistique multimédia et numérique (DICRéAM) s’adresse aux auteurs qui souhaitent financer la phase de développement de leurs projets, ainsi qu’aux producteurs pour la phase de réalisation proprement dite.

Certaines collectivités territoriales ne sont pas en reste. On peut ainsi signaler l’initiative de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui propose un appel à projets « Fonds de soutien à la création artistique numérique » (SCAN), au profit des auteurs et producteurs installés sur son territoire. Plus généralement, la production de web série peut également bénéficier d’aides au tournage (parfois sous forme de prestation en nature avec mise à disposition gracieuse de lieux de tournage) que proposent de nombreuses régions.

B. Les aides privées

De son côté, la Société des auteurs et compositeurs dramatique (SACD) a mis en place, depuis 2015, un fonds « Web Séries » qui succède au fonds « Fiction 2.0 » et qui est doté d’une somme de 100 000 € à répartir entre 15 à 20 projets. L’intérêt de cet appel annuel à projets est d’être exclusivement réservé au financement d’une saison complète (regroupant au moins 6 épisodes), que ce soit dans le cadre d’un projet de création ou d’un projet de continuation d’une web série existante.

Toujours dans le giron de cette société d’auteurs, existe aussi une session annuelle de demandes de « bourses #transmédia », qui succède à la précédente formule de bourses « Orange Formats innovants », octroyées par l’Association Beaumarchais, la SACD et la société Orange. Cette allocation d’un montant de 7 000 € nets est destinée à accompagner l’écriture d’œuvres véritablement transmédia (excluant ainsi les web série diffusés sur un seul médium). Elle est cependant réservée aux seuls auteurs, personnes physiques. Son montant est complété par un dispositif d’accompagnement personnalisé sous la forme de soutien dans les démarches, de promotion de l’œuvre auprès des professionnels ou d’aides complémentaires accessibles sous conditions.

Last, mais peut-être également least, certaines plates-formes internet de crowdfunding (touscoprod, Ullule, Kiss Kiss Bank Bank..) mettent leur savoir-faire à disposition des concepteurs et producteurs de web série. Au vu des chiffres, les sommes récoltées semblent, en général, modestes, entre 5 000 et 10 000 euros et donc souvent insuffisantes pour permettre de financer intégralement la production des épisodes. Ce mode de financement semble par ailleurs mieux convenir aux web séries déjà existantes dès lors qu’elles ont déjà fédéré autour d’elles une véritable communauté de sympathisants motivés pour que l’aventure continue ! On peut alors citer l’incroyable exemple de la web série Noob dont les producteurs ont récolté 680 000 € via la plateforme Ulule, après en avoir demandé 35 000 €.

III. La rémunération des auteurs

Sauf hypothèse d’œuvres produites par le biais de société de production telles que Studio 4, Arte interactive, Canal OTT ou GM6, qui sont les filiales ou les divisions internet de grands groupes de communication audiovisuelle, la rémunération des créateurs de web série s’effectuent essentiellement par le reversement de recettes publicitaires perçues par les plates-formes de partage (YouTube, Daily Motion…) et, depuis quelques années, par la perception de redevances d’auteur versées la SACD, la Scam ou la Sacem.

Selon les informations qui circulent dans la presse et par les YouTubers eux-mêmes, les reversements de recettes publicitaires seraient compris entre 80 centimes d’euros et un euro pour 1 000 vues. Quant aux droits d’auteur, les montants ne sont pas communiqués par les sociétés d’auteurs. Selon les propos tenus par certains créateurs web sur la toile, ce montant serait de 1,50 euros pour 1000 vues. On notera que, en ce qui concerne, la diffusion des web documentaires interactifs, un accord a été conclu entre la Scam et Arte, France Télévision et Radio-France. Les auteurs perçoivent une rémunération fixe (indépendante du nombre de vues ou de la longueur de la consultation) allant d’environ 300 € à 500 € selon le type de diffuseur (chiffres 2013).

Il faut également souligner que même dans le cadre de production de web séries par les chaines de télévision tel que Arte ou Canal +, pour lesquelles les budgets peuvent avoisiner le million d’euros, les minima garantis versés aux auteurs sont généralement compris entre 5000 euros et 10 000 euros par auteur. Ces chiffres bien plus faibles que sur les projets traditionnels s’expliquent en partie par le nombre important d’auteurs qui collaborent sur ces projets, mais pas seulement. Les budgets mis en place restent en réalité faibles au vu des exigences de tournage ambitieuses requises, et régulièrement grévés par le nombre d’intermédiaires par exemple : Canal OTT / Studio + / Société de production TV traditionnelle / Nouvelle société de production digitale. Ceci explique que pour le moment les usages ne s’établissent pas en faveur des auteurs. Au surplus on notera que le protocole d’accord sur les pratiques contractuelles entre auteurs scénaristes et producteurs de fiction introduit en 2013 ne protège pas les formats courts. Ainsi la prime d’inédit n’est pas obligatoire pour les séries de format court produites sous la forme d’épisodes d’une durée respective inférieure ou égale à cinq minutes. Toutefois de nombreuses web séries privilégient des durées d’épisodes supérieures à 5 minutes

En conclusion, les initiateurs de web séries ont désormais à leur disposition tout un panel d’aides financières et suscitent un intérêt certain des chaînes de télévisions. Toutefois afin d’éviter toutes déconvenues judiciaires, ces initiateurs doivent se professionnaliser rapidement et prendre conseil afin d’organiser au mieux leur production dans le cadre légal applicable.

Sébastien Lachaussée, Avocat Dominique Bougerol, Lachaussée Avocat est un cabinet d'avocat dédié au secteur des médias et des nouvelles technologies. _ [->sl@avocatl.com] _ www.avocatl.com