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Suite à des actes de harcèlement moral, un directeur salarié du CRE RATP obtient la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 10 avril 2017
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Le Comité Régie d’Entreprise de la RATP (CRE-RATP), créé en 1947, est une institution représentative des salariés.
Monsieur X a été engagé par le CRE-RATP, à compter du 15 janvier 1990, suivant contrat à durée indéterminée, en qualité de Directeur de la Communication, statut Cadre.

(CA Paris 6-4, 14 mars 2017)

A ce titre, il était en charge de la Communication externe et interne du CRE-RATP et notamment, de la gestion du magazine Fréquence (mensuel des agents RATP) et du site Internet du CRE-RATP.

En mai 2013 une rupture conventionnelle est envisagée. Le 19 octobre 2013 le salarié fait l’objet d’une sanction disciplinaire consistant en un déplacement d’office à un poste de chargé de mission.

Le 20 novembre 2013, Monsieur X conteste cette sanction devant le Conseil de Prud’hommes et sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, les indemnités subséquentes et des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Le 21 février 2014 Monsieur X est convoqué à un entretien préalable pour le 4 mars
2014, entendu par la Commission paritaire disciplinaire le 20 mars 2014, et licencié pour faute grave par lettre du 31 mars 2014, notifiée le 2 avril 2014.

Par jugement du 24 juin 2015, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny, section encadrement, a :
- Dit non fondée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;
- Dit le licenciement pour faute grave de Monsieur X infondé, et requalifié la rupture en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
- Condamné le comité d’entreprise CRE - RATP à verser à Monsieur X les sommes suivantes :

Monsieur X a interjeté appel le 16 juillet 2015.

1) Sur la sanction disciplinaire : pas de propos diffamants du directeur de la communication = annulation de la sanction disciplinaire

Par courrier du 8 novembre 2013 Monsieur X s’est vu notifié une sanction disciplinaire consistant à le décharger de son poste de directeur de la communication, en le déplaçant d’office sur un poste de chargé de mission.
Aux termes de ce courrier il lui est reproché d’avoir tenu des propos gratuits et diffamants, dénigrant la direction générale et des élus dans une note du 18 septembre 2013, largement diffusée.

A la lecture de la note litigieuse Monsieur X se contente de contester les conditions dans lesquelles la communication interne lui a été retirée, et d’exprimer son désaccord avec la façon de travailler de la directrice générale sans tenir aucun propos diffamant et en adoptant un ton qui demeure toujours courtois.

La cour d’appel observe « qu’il n’a fait que dénoncer une atteinte à ses conditions de travail et un mode de gouvernance, sans aucune intention de nuire et sans aller au-delà de sa liberté d’expression et qu’en réalité cette note n’a été diffusée qu’à la Directrice Générale, au secrétariat général et à la Directrice des ressources humaines, personnels directement concernés par la sujet évoqué ».

Au vu de ces éléments, en l’absence de toute faute imputable au salarié, la sanction disciplinaire du 8 novembre 2013 est annulée.

2) Sur la résiliation judiciaire : la cour d’appel prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail du fait des actes de harcèlement subis par le directeur de la communication

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.

C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Monsieur X sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en invoquant le harcèlement moral managérial dont il a été victime de la part de son employeur.

3) La cour d’appel reconnaît les actes de harcèlement moral subi par le directeur de la com

Le salarié dénonce un certain nombre de manquements de son employeur qu’il considère comme constituant des faits de harcèlement moral, à savoir :
- un retrait de prérogatives et une mise à l’écart ;
- une tentative de lui faire accepter une rupture conventionnelle ;
- une mise à pied et une sanction disciplinaire injustifiée ;
- la suppression de son accès à son ancien poste de travail ;
- le non respect des préconisations du médecin du travail et le refus de lui fournir du travail ;
- la mise en œuvre d’une procédure de licenciement malgré les conclusions du CHSCT ;
- la préexistence de risques psycho sociaux dénoncés par la Direction Départementale du travail, la Cour des Comptes et les représentants du personnel ;
- la dégradation de son état de santé.

Du fait de sa nature le CRE-RATP est gouverné à la fois par une direction élue issue du résultat des élections professionnelles de l’entreprise et une direction salariée, gérant les services mettant en œuvre les décisions des élus.

Le présent litige intervient suite à la nomination d’une nouvelle directrice administrative et financière devenue par la suite directrice générale, choisie par les élus dans un contexte de dysfonctionnements régulièrement dénoncés dès 2011par la Cour des Comptes et conduisant à la mise à l’écart des directeurs salariés.

La cour d’appel de Paris constate qu’il résulte clairement des pièces du dossier que :
- dès septembre 2012 il a été décidé de retirer la charge de la communication interne à Monsieur X et de la confier à la Direction générale et ce sans consultation préalable ;
- de même, le 19 octobre 2012 la gestion du site internet a été retirée à la Direction de la Communication au bénéfice de la Direction des Affaires Administratives et Financières ;
- dès avril 2013, la rupture conventionnelle du contrat de travail de Monsieur X a été envisagée par l’employeur , mais les pourparlers ont échoué ;
- la sanction disciplinaire du 8 novembre 2013 annulée par la Cour a entraîné une mise à l’écart du salarié qui a perdu et son bureau et l’accès à son ancienne boîte mail ; ;
- ce processus disciplinaire a été dénoncé dans un courrier du 1 er octobre 2013, par l’ensemble des Directeurs Salariés qui évoquent "le dénigrement des directions et le passage en force" comme mode de gouvernance ;
- la dénonciation parle salarié d’une situation de harcèlement moral managériale a provoqué la suspension de son activité et la saisine du CHSCT ;
- la lettre de licenciement vise expressément la dénonciation de fait de harcèlement moral ;
- l’évolution de sa situation professionnelle a eu un impact sur la santé du salarié entraînant un syndrome dépressif.

Les faits dénoncés par le salarié sont établis et sont étayés dans leurs conséquences par la production d’un arrêt de travail et par le courrier adressé par le médecin du travail au CRE-RATP, et l’invitant à prendre toutes les dispositions nécessaires afin de permettre à Monsieur X de poursuivre son activité professionnelle dans des conditions permettant la préservation de son état de santé.

Eu égard au contexte général de risques psycho sociaux et de pratiques managériales dénoncées depuis 2011, par la Cour des comptes, par les syndicats, par le CHSCT, par la médecine du travail, et par l’Inspection du travail, l’ensemble des faits dénoncés permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

L’employeur qui ne s’explique pas sur les pratiques de management qui lui sont reprochées, ne justifie absolument pas des raisons objectives l’ayant conduit sans aucune concertation préalable, à décharger Monsieur X de sa mission de communication interne puis de la gestion du site internet, alors qu’il avait donné satisfaction pendant plus de 20 ans.

Par ailleurs, il s’abstient de produire le rapport du CHSCT, seul élément qui aurait pu mettre en cause la pertinence du document produit par le salarié et dont il ressort que le CHSCT a conclu à la réintégration de Monsieur X à son poste de directeur de la communication et à la saisine de l’inspection du travail sur le harcèlement moral.

Au vu de ces éléments l’employeur échoue à démontrer que les agissements qui lui sont imputables ne constituent pas des faits de harcèlement moral.

Il convient donc d’infirmer le jugement, de constater l’existence de faits de harcèlement justifiant le prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur avec effet au 31 mars 2014, date de notification du licenciement.

4) Sur les conséquences indemnitaires de la rupture

Au vu des pièces produites, de l’ancienneté du salarié, et des dispositions de la convention d’entreprise, la cour d’appel de Paris (Pole 6 Chambre 4) dans son arrêt du 14 mars 2017 :
- condamne le CRE RATP à payer à Monsieur X les sommes de 8.005 € à titre de rappel de salaire au titre de sa mise à pied à titre conservatoire, de 800,50 € au titre des congés payés afférents et de 667,08€ au titre du rappel de 13ième mois afférent étant précisé qu’il s’agit d’une demande nouvelle ;
- confirme le jugement qui a alloué à Monsieur X les sommes suivantes :

5) Sur la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et de la violation par l’employeur de son obligation de prévention du harcèlement moral

L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment de harcèlement moral.

En l’espèce, l’employeur en procédant au licenciement du salarié notamment en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral, et en ne tenant pas compte des conclusions du CHSCT, n’a pas respecté son obligation de sécurité. Cependant le salarié ne justifie en l’espèce d’aucun préjudice distinct de celui déjà réparé par l’octroi d’une indemnité réparatrice dans le cadre du prononcé de la résiliation judiciaire.

De même la Cour ne dispose d’aucun élément permettant d’établir que l’existence même du harcèlement moral a causé au salarié un préjudice distinct de celui déjà réparé par les dommages et intérêts alloués pour licenciement nul.

Il convient donc par substitution de motifs, de confirmer le jugement qui a débouté le salarié de ses demandes de ce chef.

Au total, le salarié obtient 229.358 euros bruts.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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