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Les juristes d’entreprise, des « alliés nécessaires » aux avocats.
Parution : mardi 11 avril 2017
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Pour la première fois, l’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) a décidé en 2017 d’interpeler les candidats à la présidentielle, sur les questions touchant de près les juristes d’aujourd’hui et de demain. Organisées en quatre axes, ses propositions abordaient évidemment le legal privilege, mais aussi les problématiques liées à la fabrique du droit, l’organisation de la justice ou encore l’harmonisation des professions du droit. L’association milite avant tout pour des mesures qui favoriseraient l’attractivité de la France et de ses entreprises, ainsi que l’employabilité des juristes.

Le Village de la Justice s’est entretenu avec Stéphanie Fougou, Présidente de l’AFJE, afin de revenir plus en détails sur ces propositions, et sa vision de l’avenir des professions du droit.

Clarisse Andry : C’est la première fois que l’AFJE interpelle les candidats à la présidentielle : pourquoi avez-vous lancé cette initiative ?

Stéphanie Fougou  : Nous représentons quelques milliers de juristes d’entreprise et avons une connaissance intime des enjeux des entreprises françaises. Il est naturel et professionnel de proposer des suggestions dans notre domaine à nos candidats ; nous sommes convaincus que les enjeux que nous soulevons sont urgents à traiter et doivent permettre d’aider notre pays à améliorer son attractivité et sa compétitivité, ce qui en soi, sont des objectifs de nos candidats.

Les propositions font plusieurs fois référence au rapport « L’avenir de la profession d’avocat » : c’est donc pour vous un projet qui va dans le bon sens, pour les professions du droit ?

C’est un rapport qui fait d’abord preuve de beaucoup de fraicheur et de professionnalisme, car le groupe de travail a fait appel à de nombreux représentants du droit, mais aussi hors du droit, afin de comprendre l’environnement dans lequel nous vivons et ne pas s’isoler dans un monde avocat. Il est également sincère et honnête, car il comporte de nombreux éléments chiffrés et factuels, sur des situations qui étaient mal connues ou qui n’avaient pas été formalisées, comme les possibilités d’évolution des chiffres d’affaires des avocats, les formations de l’école du barreau considérées comme inadéquates ou encore les questions de diversité aux sein de la profession. C’est aussi un travail positif, car il regarde l’avenir et aborde des sujets contemporains et réels. Ce rapport parle véritablement aux jeunes, étudie l’employabilité réelle et les opportunités qui leur permettront d’être encore plus fiers d’appartenir à cette profession.
Par ailleurs, concernant plus précisément le métier de juriste d’entreprise, il reconnaît une fois de plus le besoin urgent d’octroyer la confidentialité aux avis de juristes d’entreprise.

Concernant justement la confidentialité des avis des juristes, pensez-vous que cela va être enfin adopté ? Vous y croyez pour ce quinquennat ?

« Nous avons besoin de protéger nos entreprises, de les rendre plus attractives. »


Oui, complètement ! J’y crois d’abord parce qu’en 2015, nous n’avons pas été loin de l’obtenir. La réalité concrète du quotidien est en train de rattraper tous ceux qui y étaient opposés, par principe ou par crainte irrationnelle. Car l’internationalisation est bien là ! Depuis cinq ans, nous voyons que toutes les entreprises, y compris les PME, y sont confrontées et voient ce qu’il se passe dans d’autres pays. Certaines de nos lois, comme la loi Sapin II, sont d’ailleurs calquées sur des régimes qui existent ailleurs. Leurs objectifs sont très louables, mais pour qu’ils soient réalisables, il faut donner aux entreprises les moyens de s’organiser et d’avoir une protection dans la manière de sensibiliser les gens, de prendre en charge ces questions de risques et de pouvoir y remédier le cas échéant. Dans les entreprises en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne ou ailleurs, ces lois existent, mais les entreprises disposent des moyens nécessaires.
Aujourd’hui, cette réalité a rattrapé tout le monde, et je pense que les avocats qui sont honnêtes avec eux-mêmes se rendent compte que leurs problématiques sont plutôt liées à la digitalisation, à l’évolution de la demande et des attentes des clients ; qu’in fine les juristes d’entreprise sont des alliés dont ils ont besoin ; et que l’important est d’œuvrer pour un objectif commun : œuvrer pour le droit, plus simple, plus attractif en France. Nous avons besoin de protéger nos entreprises, de les rendre plus attractives, de permettre qu’il y ait de l’emploi en France, que notre pays soit vu comme un endroit protecteur, et cela devient une évidence pour tous. Je veux également croire que nous avons de l’ambition pour nos professions et que nous allons penser à l’avenir de nos jeunes, en leur proposant des emplois plus flexibles et en leur démontrant que le droit est une valeur ajoutée dans nos entreprises.
Je crois que toutes les conditions sont réunies, et que les gens sont maintenant prêts. Il y aura toujours des réticents, mais c’est aussi pour cette raison que nous faisons appel aux candidats : face à certaines instances représentatives qui nous démontrent qu’elles ont déjà du mal à transformer leur propre profession, il faut une intervention politique.

Comment voyez-vous cette grande profession du droit qui est évoquée dans les revendications de l’AFJE ?

« Il est nécessaire, pour les jeunes de demain, de travailler sur la flexibilité des métiers du droit. »


Nous proposons en effet un grenelle des professions du droit, dont l’objectif est de favoriser l’employabilité. L’idée est que nous avons des personnes qui ont été formées sur les bancs de l’université et qui travaillent en tant que juristes, avocats, magistrats ou universitaires, dans tous les domaines du droit, avec des objectifs et des approches différents. Et nous estimons qu’il est nécessaire, pour les jeunes de demain, de travailler sur la flexibilité de ces environnements, car aujourd’hui, nous n’exerçons pas obligatoirement le même métier toute notre vie. Tous ces métiers sont fondés sur des compétences communes, sur des fondamentaux qui sont ceux du droit et de la matière que vous connaissez. Nous souhaitons donc améliorer les formations initiales afin que l’arrivée en entreprise se passe mieux, grâce à des connaissances en langues étrangères, en économie, en finances, en digital, ou encore sur la manière de s’exprimer ou de travailler en groupe projet, ce que savent très peu faire encore nos jeunes juristes quand ils sortent de l’université. Mais nous voulons aussi renforcer les passerelles entre les professions tout au long de la carrière, et les mettre en réseau qu’elles se connaissent mieux, qu’elles discutent ensemble et fassent valoir chacune de leur vision. Tous ces métiers doivent être accessibles, afin de permettre plus d’opportunités d’emploi. Enfin, la question de l’égalité et de la diversité, qu’elle soit de genre, d’origine sociale, ou encore géographique, est également très importante.

A quelles difficultés sont confrontés les juristes face à ce problème de fabrique du droit ?

« Certaines propositions faciliteraient la sécurité de l’entreprise dans son environnement de travail »


Le problème principal, et bien connu, est celui de l’insécurité juridique, qui vient du fait qu’il y a pléthore de normes. Des normes qui pendant un même quinquennat peuvent être remises en cause plusieurs fois, ou qui sont rédigées de telle manière que nous faisons face à des périodes d’incertitude qui ne sont pas agréables pour les entreprises. Nous nous sommes donc demandés quelles seraient nos suggestions pour faire évoluer les choses, et nous proposons par exemple qu’il ne soit pas possible de légiférer sur un même sujet durant un quinquennat, en tout cas pas sans étude d’impact. Il faudrait en effet évaluer le coût consécutif à une législation : on ne peut pas légiférer dans un sens, et trois ans après demander aux entreprises de réinvestir pour mettre en œuvre quelque chose de différent.
Nous suggérons également d’utiliser le droit à l’expérimentation, qui permettrait d’avoir des propositions mises à l’essai. Il est utilisé dans les mondes nouveaux comme le monde digital, et nous l’avons même évoqué pour le legal privilege.
Je pense que certaines propositions faciliteraient la sécurité de l’entreprise dans son environnement de travail et renforceraient l’attractivité de la France. Notre pays est un État stable, avec un monde judiciaire et des compétences reconnues. Mais quand vous négociez à l’international, le fait d’avoir des lois rétroactives, des changements de régimes fiscaux tous les deux ans, que vous avez des lois qui s’accumulent, fait peur aux autres parties.

Suite à cette interpellation, deux candidats ont répondu aux propositions de l’AFJE. Retrouvez ici les réponses d’Emmanuel Macron et François Fillon.

Propos recueillis par Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice
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