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Conciliateur et conciliation : mission du Sénat sur le redressement de la justice et évolution vers un juge de paix. Par Christophe M. Courtau, Juriste.
Parution : mercredi 12 avril 2017
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Moderniser l’institution du conciliateur de justice et la conciliation en les « rejuridictionnalisant » par l’institution d’un conciliateur juge de proximité à compétence juridictionnelle limitée, version modernisée du juge de paix de 1790 ou alors disparaître ?

Après le débat ouvert en 2014 sur la modernisation de la justice du XXIème siècle dit J21 ayant donné lieu à loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 portant application des mesures de modernisation de la justice du XXIème siècle et notamment de son article 4 imposant une tentative de conciliation par un conciliateur de justice préalablement à la saisine du tribunal d’instance pour les litiges d’au plus 4000 €, puis le constat dressé par J.J Urvoas, Garde des Sceaux sur « l’état de clochardisation de la justice » , le Parlement s’est, de nouveau, emparé de l’état de crise de notre justice ;

En effet, le 22 juillet 2016, constatant que « la justice va mal et qu’elle est proche de l’embolie malgré l’augmentation de ses crédits »  [1], la commission des lois du sénat a décidé la mise en place d’une mission pluraliste sur le redressement de la justice sous la direction de son président, Philippe Bas, aux fins d’auditer « le malade » et de faire des propositions ;

Après des centaines d’auditions, visites en juridictions, la mission a remis, le 4 avril dernier, son rapport comportant 127 propositions forme d’ultime plan « Marshall » applicable « sur 5 ans pour sauver la justice » [2].

Parmi ces propositions pour le prochain quinquennat dont notamment la fusion des tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance en tribunaux de première instance tout en maintenant tous les lieux de justice (proposition n° 51 ) mais aussi le rétablissement d’un droit au timbre de 20 à 50 € en cas de saisine d’une juridiction (proposition n° 103), 3 concernent plus spécialement la conciliation et le conciliateur de justice, les n° 63, 64 et 65 [3], institutions en constante évolution législative et réglementaire afin de tenter de désengorger les juridictions asphyxiées par un contentieux massif croissant sans moyens suffisants pour y faire face ;

1. Sur la proposition n° 63 : la force exécutoire des constats d’accord issus de la conciliation sans homologation par le juge : une proposition exigeant une réforme du statut actuel des conciliateurs

Cette proposition permettrait un gain de temps pour les justiciables mais aussi les tribunaux d’instance mais suppose une modification du statut du conciliateur de justice issu du décret n°78-381 du 20 mars 1978 pour lui accorder une compétence juridictionnelle limitée au pouvoir d’homologation soit en le dotant du statut de juge non professionnel ou d’officier public, pouvoir dont il ne dispose pas actuellement ;

En outre, accorder à un constat d’accord force exécutoire sans homologation du juge, suppose un contrôle minimum de la conformité de ses clauses aux règles d’ordre public ce qui exige une formation juridique minimale sanctionnée par un diplôme qui n’est pas exigé, à ce jour, pour les conciliateurs ;

De plus, en cas de désaccord des parties, la mission du Sénat propose d’attribuer au conciliateur, le pouvoir de faire au juge, une proposition de règlement amiable du litige (exclusivement en équité ou/et en fait et en droit ?), ce qui va au-delà de sa mission actuelle limitée à la conciliation sauf à le doter d’un statut de conciliateur juge de proximité ;

En outre, en l’état actuel du Code de procédure civile, le juge ne peut statuer en équité qu’avec l’accord express des parties et donc si celles-ci ont préalablement refusé, lors de la conciliation, une proposition amiable fondée aussi sur l’équité, elles réitéreront probablement, devant le juge, leur refus de la proposition du conciliateur ; le juge devra alors statuer en fait et en droit, ce qui allongera les délais de procédure ainsi que le travail des juridictions ;

Nous risquons alors d’assister à une justice à 2 vitesses, l’une expéditive par la voie amiable, sans les garanties de l’état de droit pour « les petits litiges » et l’autre plus respectueuse de l’état de droit, la voie du procès équitable et contradictoire pour « les grands litiges », sauf à reformer en profondeur le statut du conciliateur de justice ;

2. Sur la proposition n° 64 : la campagne de recrutement de conciliateurs et le maintien du bénévolat : une proposition insuffisante face à un statut du conciliateur inadapté aux nouvelles exigences de l’engagement citoyen au service de l’intérêt général

Tous les rapports récents sur la justice ainsi que les travaux des commissions des lois du Parlement relatifs au projet de loi sur la justice du XXIème siècle constatent la difficulté de recrutement des conciliateurs et « l’absence de diversité des profils de ces derniers, quasiment tous les conciliateurs étant retraités, ce mode de recrutement ne favorisant pas une mixité des candidats, alors même que les contentieux exigent des compétences diversifiées. » [4].

Le statut actuel des conciliateurs est pas ou peu compatible avec l’exercice d’une activité professionnelle notamment salariée (à peine 1% des conciliateurs exercent une activité salariée et doivent poser des jours de congés payés pour assurer leur fonction à défaut de crédit d’heures d’absence en entreprise), contrairement au statut des conseillers prud’homaux ou des élus locaux.

Ce statut actuel incompatible avec l’exercice d’une activité salariée ou indépendante, prive notre institution notamment de juristes salariés, candidats de valeur souhaitant s’engager au sein de la justice de proximité citoyenne mais sous condition de bénéficier d’un statut protecteur et attractif.

Le bénévolat et la bonne volonté liés au statut de 1978 du conciliateur, s’ils répondaient aux exigences de la société et des justiciables de cette époque, n’y répondent plus aujourd’hui totalement, les attentes des justiciables s’étant renforcées et l’engagement citoyen au service de l’intérêt général demandant garantie et protection.

3. Sur la proposition n° 65 : l’institution de délégués du juge chargé des litiges de proximité auxquels serait déléguée la conciliation : pourquoi ne pas mieux utiliser le conciliateur en créant un conciliateur juge de paix à compétence juridictionnelle limitée ?

Il s’agit de permettre aux juges chargés des contentieux de proximité d’être assistés de « délégués du juge », recrutés sous le statut de juristes assistants ou issus du corps des greffiers, auxquels ils pourraient déléguer leur mission de conciliation et, en cas d’échec de celle-ci, se verraient attribuer le pouvoir de rédiger un projet de jugement ;

Mais ne serait-il pas plus efficace d’instituer un conciliateur juge de proximité ou de paix exclusivement compétent pour les conciliations judiciaires déléguées et doté de compétences juridictionnelles limitées (pouvoir d’homologation des constats d’accord et de dresser procès verbal de non conciliation, pouvoir d’injonction de faire et de payer) et d’un statut protecteur permettant ainsi :
- De résoudre cette difficulté récurrente de recrutement de conciliateurs par un statut plus attractif ouvert aux candidats en activité professionnelle,
- De mettre un terme à la confusion entre conciliation et médiation conventionnelles en attribuant aux seuls médiateurs, les procédures de conciliation/médiation conventionnelles, leur régime juridique et le rôle des tiers intervenants (conciliateur et médiateur) étant quasi identiques ainsi que leur accès gratuit (médiateur consommation, commission départementale de conciliation litiges entre locataires et propriétaires, médiation communale, association agrée de médiation aux tarifs adaptés…),
- De renforcer le lien nécessaire entre citoyenneté et justice,
- De répondre aux nouvelles exigences de l’engagement citoyen du XXIème siècle par un statut adapté et compatible avec l’exercice d’une activité professionnelle.

4. Enfin, sur la dépendance des conciliateurs pour l’exercice de leur mission, des associations près les cours d’appel : l’indigence des moyens issus du ministère de la Justice

Le conciliateur, auxiliaire de justice nommé et contrôlé par l’institution judiciaire, n’est pas un auxiliaire de justice indépendant soumis à un ordre professionnel comme les professionnels du droit réglementé mais dépend directement du ministère de la justice.

Or, quasiment l’intégralité des faibles moyens mis à sa disposition pour l’exercice de sa mission de service public le sont non pas par son ministère de tutelle, le ministère de la Justice mais par les mairies et les associations de conciliateurs instituées auprès de chaque cour d’appel qui ne regroupent pas la totalité des conciliateurs mais environ les 2 tiers ;

Est-il normal que la mise en œuvre de sa formation dépende de ces associations et ne soit pas dispensée pour tous les conciliateurs et de manière obligatoire, directement par l’École Nationale de la Magistrature et les universités ?
Que son assurance responsabilité civile professionnelle soit payée par le conciliateur via des associations et non par le ministère de la justice ;
Que ses lieux de permanence dépendent du bon vouloir et des moyens souvent modestes des mairies alors qu’il n’est pas nommé par le maire, autorité administrative ;
Que le conciliateur ne dispose pas d’une adresse mail @justice.fr pour tous, qu’il ne soit pas doté d’un signe distinctif du ministère de la justice dans l’exercice de ses fonctions mais d’une médaille non officielle émanant d’associations et qu’enfin, sa saisine en ligne se face via une plate-forme privée et non un site officiel mise en place par leur ministère de tutelle ?

L’évolution vers une justice de paix citoyenne de la conciliation et du conciliateur de justice, 2 institutions spécifiques anciennes, enracinées dans notre histoire judiciaire, nos territoires et à forte utilité sociale, se poursuit, voir s’accélère sous la pression d’une situation gravissime du service public de la justice, ce qui devrait conduire, à bref délai, à leur modernisation afin qu’elles retrouvent, enfin, leur juste place au sein de notre système judiciaire en complémentarité et non en concurrence des autres modes amiables comme la médiation.

Christophe M. COURTAU - Juriste - Diplômé d'études supérieures en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

[1Dossier de presse relatif à la mission d’information sur le redressement de la justice, du 4 avril 2017 (page 12) in http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/lois/Dossier_de_presse.pdf

[2Dossier précité page 34

[3Dossier précité page 38

[4Etude d’impact du projet de loi n° 661 portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle in www.senat.fr