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Contrefaçon de droits d’auteur : la société de Jeff Koons condamnée. Par Alexandre Blondieau, Avocat.
Parution : vendredi 14 avril 2017
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L’oeuvre « Naked », sculpture en porcelaine d’ 1,15 m de Jeff Koons, s’inspirait trop fortement d’une photographie réalisée par le photographe français Jean-François Bauret en 1970, selon les héritiers de ce dernier. La venue de l’oeuvre au Centre Pompidou prévue pour la rétrospective consacrée à l’artiste américain fut l’occasion du litige.

Jean-François Bauret, décédé en 2014, était un photographe professionnel réputé pour son travail relatif au portrait nu. En 1970, il réalisa une photographie en noir et blanc sous le titre « Enfants » représentant deux enfants nus se tenant mutuellement par l’épaule.

Jeff Koons, artiste plasticien américain très côté sur le marché mondial de l’art contemporain est l’auteur d’une sculpture nommée « Naked », en porcelaine (1,15 m de hauteur) réalisée en 1988.

Du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015, se tenait à Paris, au Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou, une exposition intitulée « Jeff Koons, la rétrospective » où devait être exposée la sculpture « Naked ».

Estimant que la sculpture contrefaisait la photographie de Jean-François Bauret, ses héritiers ont mis en demeure la société Jeff Koons de s’abstenir d’exposer l’œuvre.

Celle-ci a officiellement été retirée de l’exposition pour des raisons liées à un endommagement pendant le transport, version contestée par les héritiers du photographe. Elle figurait néanmoins dans le catalogue de l’exposition.

Les héritiers ont alors agi en contrefaçon de droits d’auteur contre Jeff Koons, sa société éponyme et le Centre Pompidou. Ils demandaient leur condamnation à la somme d’1.500.000 euros pour le préjudice patrimonial et à la somme d’ 1.000.000 d’euros pour l’atteinte au droit moral (soit 800.000 euros au titre de l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre et 200.000 euros au titre de l’atteinte à la paternité de l’œuvre).

Ils demandaient également que le Centre Pompidou soit condamné solidairement avec Jeff Koons et sa société à hauteur de moitié de ces montants.

La société Jeff Koons et le Centre Pompidou contestaient l’originalité de la photographie, mettant en avant le caractère banal et naturel de la pose des deux enfants nus se tenant la main. Mais la société Jeff Koons ne contestait pas expressément que la photographie ait servi de point de départ à l’œuvre « Naked », indiquant que l’artiste l’avait transformée en une œuvre nouvelle et indépendante qui s’en éloignait fortement et qui portait l’empreinte de sa personnalité.

Dans son jugement du 9 mars 2017, le tribunal retient que si le statut d’œuvre de l’esprit de la sculpture « Naked » n’est pas discuté, Jeff Koons a clairement dicté à son studio la reprise des enfants du portrait pour les transposer sous la forme d’une statue en porcelaine kitch qui figure la découverte de la sexualité dans un sens propre à l’artiste.

Selon le tribunal, il s’agit bien d’une contrefaçon car l’artiste a délibérément incorporé dans son œuvre nouvelle les composantes de la photographie constituant ainsi une œuvre composite qui ne pouvait se faire qu’avec l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante.

Bien qu’étant l’auteur de l’œuvre litigieuse, Jeff Koons est néanmoins mis hors de cause à titre personnel par le tribunal. La sculpture ayant été réalisée en 1988 aux États-Unis, c’est un fait qui échappe à la compétence de la juridiction française : seuls les faits d’exploitation de l’œuvre en France étant susceptibles de poursuites. Et ceux-ci ne sont pas si importants puisque l’œuvre elle-même n’a pas été exposée en France : le tribunal ne peut donc prendre en compte que les reproductions via les ouvrages de l’exposition et le site internet.

La société Jeff Koons est condamnée à verser aux héritiers la somme de 10.000 euros au titre de leur préjudice patrimonial et celle de 10.000 euros au titre de l’atteinte portée au droit moral, le Centre Pompidou étant tenu solidairement à la moitié de ces montants.

La société Jeff Koons est encore condamnée à verser la somme de 4.000 euros pour la publication de l’œuvre sur son site internet et à la somme de 20.000 euros pour le remboursement des frais (article 700 du Code de procédure civile).

Nous ignorons si la cour d’appel aura à connaître de cette affaire.

Alexandre BLONDIEAU Avocat à la Cour www.blondieau-avocats.com