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Une société de portage salarial ne peut pas porter valablement des intermittents du spectacle (TGI Paris 7 mars 2017). Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : mardi 2 mai 2017
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Dans un article publié le 2 avril 2013 sur le site du Village de la Justice, nous nous interrogions sur la possibilité pour les entreprises de portage salarial d’employer des intermittents du spectacle.
Un arrêt inédit de la première chambre du tribunal de grande instance de Paris du 7 mars 2017 a confirmé la radiation par Pôle Emploi Services du compte Employeur Annexes 8/10 au motif qu’une société de portage ne remplissait pas les conditions lui permettant de bénéficier des annexes 8 et 10 au règlement d’assurance qui institue un régime dérogatoire d’indemnisation de ouvriers et techniciens.

Cet arrêt a pour conséquence que la société de portage concernée ne peut plus porter des salariés intermittents du spectacle puisque Pôle Emploi a radié le compte Annexe 8/10 de la société de portage qui lui permettait de porter des intermittents du spectacle.

Suite à ce jugement, il est possible que Pôle Emploi engage un contrôle de l’ensemble des sociétés de portage pour vérifier s’is emploient des intermittents du spectacle et sur la base de cette jurisprudence, ils remettront en cause les heures cotisées par les intermittents du spectacle à Pôle Emploi pour des sociétés de portage.

Ce jugement du tribunal de grande instance de Paris intervient alors qu’une convention collective a été signée entre le PEPS et 5 organisations syndicales de salariés, le 16 mars 2017 dans le portage salarial et qui doit entrer en application après son extension par le ministre du Travail.

1) Les faits : une société de portage conteste la radiation de son compte Annexe 8/10 employeur par Pôle Emploi qui lui permettait de « porter » des intermittents du spectacle

La société X a pour activité le portage salarial ; en sa qualité d’employeur, elle a, dès sa création, cotisé sous un numéro d’affiliation auprès du centre de recouvrement Cinéma Spectacle de Pôle Emploi Services, compétent pour affilier et recouvrer les contributions des employeurs et salariés qui relèvent des dispositions dérogatoires des annexes VIII (ouvriers et techniciens du spectacle) et X (artistes) au règlement général annexé à la convention relative à l’indemnisation du chômage.

Estimant, après une étude de sa situation, que l’activité réelle de l’entreprise ne relevait pas de la production audiovisuelle, Pôle Emploi Services a, après un échange de courriers débuté le 24 février 2014, prononcé la radiation de son compte employeur du centre de recouvrement à effet du 31 juillet 2015.

Contestant cette décision et dénonçant la mise en péril de la poursuite de son activité, elle a fait assigner Pôle Emploi devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnance du 30 juillet 2015, a ordonné la suspension de la décision de radiation jusqu’à ce que le juge du fond, saisi par la partie la plus diligente, se soit prononcé

Suivant acte d’huissier du 25 novembre 2015, la société X a fait assigner Pôle Emploi devant le tribunal de grande instance de Paris :
- dire et juger, qu’ elle est bien fondée à disposer d’un compte employeur auprès de Pôle Emploi Services, Centre de Recouvrement Cinéma Spectacle et à cotiser dans le cadre des annexes VIII et X pour ses salariés intervenant en qualité de technicien ou artiste du spectacle ;
- annuler avec toutes ses conséquences de droit, la décision prise par Madame X, informant de la décision de radiation de son compte employeur au 31 juillet 2015 ;

2) Jugement du 7 mars 2017 du tribunal de grande instance de Paris

2.1) Argumentaire de la société de Portage

La société de portage conteste la décision prise par le centre de recouvrement Cinéma Spectacle de Pôle Emploi Services de radier son compte employeur à effet du 31 juillet 2015 au motif qu’elle ne remplirait pas les conditions lui permettant de bénéficier des annexes VIII et X au règlement général annexé à la convention relative à l’indemnisation du chômage, qui instituent un régime dérogatoire d’indemnisation chômage pour les ouvriers - techniciens et les artistes du spectacle.

Le tribunal relève que « sont applicables au présent litige les dispositions du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage, la décision de radiation critiquée datant du 31 juillet 2015 ».

Au soutien de sa demande d’annulation de cette décision et de rétablissement corrélative dans ses droits, la société de portage se prévaut tout d’abord du code NAF (Nomenclature d’activités française) qui lui a été attribué par l’INSEE et qui figure dans la liste de l’annexe VIII.

Elle soutient, en l’absence de code spécifique relatif à l’activité de portage salarial et de convention collective afférente, qu’il convient de se reporter à la nature des prestations qu’elle propose.

Or, elle souligne fournir, par le biais de ses salariés qui ont tous le statut d’intermittents du spectacle, des prestations dans le domaine de la production audiovisuelle conformes à son code NAF, lui permettant ainsi d’être soumise aux dispositions de cette annexe.

2.2) Argumentaire de Pôle Emploi

Pôle Emploi soutient que la société de portage a pour activité réelle le portage salarial (pouvant correspondre au code NAF 78 30 Z) et non la production de films ou de programmes et que le code qui lui a été attribué et dont elle se prévaut pour prétendre bénéficier des avantages de l’annexe VIII au règlement d’assurance chômage ne correspond pas à son activité réelle qui doit être recherchée.

Elle dénonce la création d’une apparence de conformité destinée à la tromper.

L’annexe VIII au règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage s’applique aux employeurs relevant des articles L. 5422-13 ou L. 5424-1 à L. 5424-3 du Code du travail, exerçant leur activité dans les secteurs de l’édition d’enregistrement sonore, de la production cinématographique et audiovisuelle, de la diffusion de programmes de télévision ou de la radio, ainsi que de la production de spectacles vivants ou de la réalisation de prestations techniques pour la création de spectacles vivants dans les domaines d’activité définis ci-après et répertoriés par un code de la Nomenclature d’activités française.

L’article 1’ de l’annexe VIII, et la liste relative au champ d’application de l’annexe VIII à laquelle elle renvoie expressément, précisent en effet qu’elle "s’applique aux ouvriers et techniciens engagés par des employeurs relevant de l’article L. 5422-13 ou L. 5424-3 du code du travail dans les domaines d’activité définis ci-après et répertoriés par les codes NAF
59.11 A, 59.11 B, 59.11 C, 59.20 Z, 59.11 C, 59.12 Z, 59.20 Z, 90.02 Z, 59.20 Z, 60.10 Z,
90.01, 60.20 A, 60.20 B, 59.11 A, 59.11 B, 59.11 C, 59.12 Z, 59 11 A.

2.3) Motivation du jugement du TGI de Paris du 7 mars 2017

La société de portage, qui ne le conteste pas, exerce en réalité une activité principale de portage salarial, définie à l’article L1251-64 du Code du travail comme un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage.

Or, une telle activité doit être exercée, selon les dispositions qui la régissent et notamment l’accord national interprofessionnel du 24 juin 2010 qui a fait l’objet d’un arrêté d’extension du 24 mai 2013, de manière exclusive, sous un code NAF spécifique. Il importe peu, dès lors, que les prestations fournies par les salariés portés relèvent de la production audiovisuelle.

Il est de même indifférent qu’il n’existe pas encore de code NAF expressément intitulé « portage salarial ».

L’activité de la société de portage ne relève manifestement pas d’une activité de production artistique, mais bien exclusivement du domaine des ressources humaines.

Au surplus, si, en application de l’accord du 28 avril 2016 relatif à l’indemnisation chômage dans les branches du spectacle et de son avenant d’interprétation du 23 mai 2016, la référence aux codes NAF doit être supprimée au plus tard le 1er mai 2017, étant notamment remplacée par des numéros d’identifiant des conventions collectives (IDCC) compris dans la liste relative au champ d’application de l’annexe VIII, les secteurs d’activités concernés demeurent ceux de la production cinématographique, de l’audiovisuel et du spectacle vivant.

Le tribunal affirme que «  la société de portage ne peut donc prétendre entrer dans le champ d’application des dispositions de l’annexe VIII au règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage  ».

S’agissant ensuite de l’application de l’annexe X, la société de portage considère que rien ne s’oppose à ce qu’elle recrute des artistes, la référence à la présomption de contrat de travail n’étant selon elle pas pertinente. Pôle Emploi indique au contraire que c’est l’entreprise organisatrice du spectacle qui bénéficie de la présomption de contrat de travail avec l’artiste, ce mécanisme étant incompatible avec l’interposition d’un tiers dans le cadre du portage salarial.

L’article 1er de l’annexe X au règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage, précise que les bénéficiaires sont les artistes tels qu’ils sont définis aux articles L7121-2, L7221-3, L7121-4, L7221-6 et L7121-7 du Code du travail engagés au titre d’un contrat de travail à durée déterminée par des employeurs relevant de l’article L. 5422-13 ou des articles L. 5424-1 à L.5424-5 dudit code.

En d’autres termes, le travail intermittent doit s’exercer dans le cadre de fonctions artistiques au sens des articles L. 7121-2 à L. 7121-4, et L. 7121-6 à L.37121-7 du Code du travail.

Or, l’article L. 7121-3 dispose que tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.

Outre le fait que la société de portage ne dispose plus de licence de spectacle vivant, elle n’est pas l’organisatrice du spectacle, et le contrat de travail est présumé exister, à défaut de renversement de la présomption, entre l’artiste et l’entreprise de spectacle, sans interposition de la société de portage.

Le tribunal considère que la société de portage n’apparaît donc pas entrer dans le champ d’application de l’annexe X au règlement général annexé à la convention relative à l’assurance chômage.

Elle soutient enfin que l’ordonnance du 2 avril 2015 n’a pas exclu les activités du spectacle du mécanisme du portage salarial et que la position de Pôle Emploi porte atteinte au principe de la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre.

Cependant, le seul fait qu’elle ne puisse pas cotiser dans le cadre des annexes VIII et X au règlement général annexé à la convention relative à l’assurance chômage ne constitue pas une atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre dans la mesure où le régime du portage salarial prévoit que le salarié porté peut relever du champs d’application de l’assurance chômage de droit commun dès lors que les conditions d’exercice de l’activité sont respectées.

Le tribunal conclut que c’est à bon droit que Pôle Emploi Services a procédé à la radiation de son compte employeur auprès du centre de recouvrement à compter du 31 juillet 2015.

La société de portage souligne que depuis l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris le 30 juillet 2015, la décision de radiation prise par Pôle Emploi a été suspendue si bien qu’elle a continué à cotiser pour ses salariés dans le cadre des annexes VIII et X. Elle demande, à titre subsidiaire, à ce que la décision ne prenne effet qu’à la date du jugement.

Cependant, le tribunal ne fait que confirmer une décision prise par Pôle Emploi le 31 juillet 2015, si bien que son effet ne peut être différé à la date de la décision.

Dès lors, le tribunal confirme la radiation du compte employeur Annexe 8/10 de la société de portage par Pôle Emploi qui lui permettait de « porter » des intermittents du spectacle.

3) Notre analyse du jugement : les sociétés de portage ne peuvent plus porter valablement des salariés intermittents du spectacle

Selon nous, ce jugement du TGI de Paris signe la fin de la pratique pour les sociétés de portage de porter des intermittents du spectacle.

Il est vraisemblable que Pôle Emploi va radier un à un les comptes Annexes 8/10 des sociétés de portage qui pratiquent le portage salarial d’intermittents du spectacle.

Pour les intermittents du spectacle, nous déconseillons qu’ils soient employés par une société de portage, sauf à risquer la non prise en compte des heures travaillées pour les sociétés de portage.

En effet, ce jugement a pour conséquence, que Pôle Emploi peut potentiellement remettre en cause, les heures déclarées par les intermittents du spectacle via des sociétés de portage.
Ceci peut avoir des conséquences désastreuses pour les intermittents du spectacle sachant que beaucoup d’intermittents du spectacle arrivent tout juste à faire les 507 heures, nécessaires pour obtenir le chômage des annexes 8 et 10.

Comme nous le préconisions dans notre article publié le 2 avril 2013, seule une intervention législative permettrait de « légaliser » le portage de salariés intermittents du spectacle par des sociétés de portage salarial.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum