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Réseaux d’avocats : quel avenir à l’ère du numérique ?
Parution : vendredi 12 mai 2017
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Encadré et réglementé, un réseau d’avocats, répondant à des besoins, peut constituer un avantage certain pour le professionnel du droit. Et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui, avec l’accélération du développement numérique et l’arrivée en masse des legaltech. L’avocat va en effet avoir de plus en plus de difficultés à faire face seul à ces multiples changements. Un réseau, s’il prend à cœur et à corps ces problématiques, sera l’un des meilleurs moyens de les affronter.

Plus forts ensemble !

Face à une concurrence renforcée, le premier avantage d’un réseau est évidemment de rassembler les professionnels. Alors qu’il peut être compliqué de trouver des solutions à une échelle individuelle, la structure du réseau offre la mutualisation, comme l’explique Sophie Clanchet, présidente d’Eurojuris France : « Le réseau permet de mutualiser la réflexion. En confrontant nos idées et en rencontrant des prospectivistes, nous avons une vision assez claire des ambitions de la profession et de ce qu’elle doit faire pour s’adapter à l’évolution de la société et des marchés. Et le fait d’être ensemble nous permet de mutualiser la conception et l’acquisition d’outils innovants, à des coûts intéressants pour nos cabinets. »

Sophie Clanchet

Financer ensemble est également un atout certain, voire une opportunité sans comparaison pour les avocats. Surtout face à des structures qui n’ont pas les mêmes limites que les avocats en terme de financements et de levées de fond. Pourtant, pour Gérard Haas, ancien président du réseau Gesica, le message de la mutualisation des coûts reste « compliquée » à faire passer. Et le réseau doit aussi avancer au rythme de ses adhérents. « Notre réseau se pose des questions, a fait beaucoup d’études de marchés, a essayé d’améliorer son site, a créé un intranet, des service d’adjudication... On a des cabinets qui sont innovants, qui créent. Mais un réseau marche aussi à la vitesse de celui qui va le plus lentement. »

Des réseaux avant-gardistes ?

Les réseaux ont pourtant, la plupart du temps, une longueur d’avance en matière de numérique. « Dès 2000, Eurojuris France a pris des décisions concernant le virage numérique, en s’équipant d’une plateforme internet interactive innovante, souligne Sophie Clanchet. Puis nous avons incité les cabinets du réseau à le faire, dans la mesure où leurs sites sont rattachés à cette plateforme. Nous l’avons ensuite ouvert au grand public pour permettre au justiciable de poser des questions et de prendre contact avec des avocats. »
De son côté, le réseau Gesica a également créé sa plateforme. « Nous n’avons pas eu de problème de transition numérique, explique Gérard Haas. Notre question, comme tous les avocats, est aujourd’hui celle de la communication : quel message envoyer à nos clients ? Après avoir bien travaillé les relations B to B, il faut s’attaquer au B to C. C’est la stratégie de Gesica : on a une plateforme qui renvoie sur 200 mini sites, qui s’adressent directement à leurs clients. »

Par ces projets communs, le réseau a donc également pour rôle d’impulser l’innovation et l’évolution de ses membres. « Pour y inciter nos membres, nous expliquons et dédramatisons, comme ça a été le cas lors du dernier congrès, explique Sophie Clanchet. Nous avons expliqué que la profession a évolué, qu’il ne faut pas avoir peur de cette évolution, qu’il faut effectivement envisager son métier autrement et que nous sommes là pour leur donner les outils pour le faire. Nous leur permettons ainsi d’avoir accès à un community manager dont les tarifs ont été négociés au niveau du réseau, et nous discutons avec différents partenaires pour construire des outils qui leur permettront de produire une partie de leurs prestations standards et automatisées, afin de se consacrer à leur plus-value. »

Gérard Haas

Des difficultés subsistent pourtant. « Les professions réglementées, puis les réseaux, ne peuvent pas ignorer ce qui se passe aujourd’hui en matière de nouvelles technologies et des conséquences dans le monde juridique, confirme Gérard Haas. Cela nous contraint à réfléchir et à savoir si nous ne devons pas mettre en place des plateformes de service à disposition des membres de nos réseaux ou de nos ordres. Mais le principal problème reste les coûts importants de développement. »

A chaque réseau sa stratégie face aux legaltech

Appartenir à un réseau permet donc de bénéficier d’une stratégie globale pour l’évolution de la profession d’avocat … Et notamment envers ces nouveaux acteurs, les legaltech. Chacun a alors son approche. « Au delà des phénomènes de mode, j’aimerais qu’on se demande ce qu’est une start-up de droit, souligne Gérard Haas. Pour nous, la seule start-up de droit, c’est le jeune avocat. Ceux que l’on désigne comme « legaltech » sont des entreprises de développement informatique qui voudraient faire du droit, alors que ce sont simplement des vendeurs de leads. Les réseaux, les ordres ou les représentants de nos professions devraient se demander ce qu’il convient de privilégier, les start-up humaines ou les start-up technologiques. D’autant plus que les start-up humaines peuvent nous concurrencer, mais elles ont les diplômes pour cela. »

De son côté, Eurojuris France a opté pour les partenariats, et en a conclu trois depuis l’année dernière, avec Legalstart, eJust, et récemment Rocket Lawyer. « Les prestations qu’offrent les legaltech sont d’abord destinées à une clientèle qui n’allait pas chez l’avocat. Elles sont ensuite fournies à des coûts réduits, et ne peuvent pas être produites par l’avocat. Nous poussons les cabinets à construire le droit de demain avec d’autres partenaires. Je reste également persuadée que permettre la démocratisation de l’accès à la prestation juridique sera bénéfique car elle permet de créer des besoins, et donc des marchés pour nos membres. »

Des politiques différentes donc, selon la philosophie défendue par le réseau. Mais là encore, le collectif demeure le point le plus important, pour défendre la ligne adoptée par chaque réseau. Reste maintenant à déterminer si le concept même de réseau a évolué, avec le développement du numérique.

Réseau : de nouveaux modèles ?

Face aux réseaux traditionnels, de nouvelles entités voient le jour ou sont en cours d’élaboration, adoptant eux aussi le terme de « réseau d’avocats ». Citons pas exemple Mutual Justice, Legalix ou encore AGN Avocats : sur des modèles très variés, ces structures souhaitent construire des réseaux d’avocats, ou mettre les avocats en réseau grâce au numérique. Entraide, partenariats, voire liens capitalistiques … le choix est multiple. Mais est-ce qu’ils ringardisent les réseaux plus anciens ?

Pour Gérard Haas comme pour Sophie Clanchet, ils ne sont pas comparables. « Effectivement, on voit de plus en plus des réseaux d’avocats qui se créent, parce que des confrères ont compris qu’on était plus fort ensemble, mais avec cette volonté de faire des structures quasiment identiques, avec des modes de fonctionnement quasiment identiques, souligne Sophie Clanchet. Chez Eurojuris France, nous avons des cabinets de toutes tailles, avec toutes sortes de spécialités, sur un maillage territorial assez étroit, et notre parti pris était d’aider nos cabinets à pouvoir développer leurs activités dans la modernisation de leur pratique mais en gardant leur propre ADN. Il y a des points communs entre les structures, mais pas d’uniformisation. »
« Un réseau est une association d’avocats qui se regroupent avec des valeurs et un référentiel, insiste Gérard Haas. Il n’y a aucun lien capitalistique entre nous, uniquement une cotisation qui permet de faire vivre l’association. »

Il subsiste également l’un des aspects essentiels du réseau : créer du lien entre les membres. Et le numérique ne remplacera pas les rapports directs et les rencontres. « Nous avons des outils qui font qu’aujourd’hui la partie présentielle est moins nécessaire qu’à une époque, explique Sophie Clanchet. Mais oui, cela reste important de se voir, d’échanger. Et nos membres nous confirment chaque année que ce qu’ils recherchent, c’est aussi la convivialité. »

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice