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Interprofessionnalité : la Société Pluri-professionnelle d’Exercice en marche.
Parution : mercredi 17 mai 2017
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Le 7 mai restera dans les mémoires avec l’élection du plus jeune président de la République française. C’est également le jour de publication de sept décrets consacrés aux Sociétés Pluri-professionnelles d’Exercice (SPE) que le président Macron alors ministre de l’Economie avait créées dans la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dite « loi Macron ».
Cette loi a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures « pour faciliter la création de sociétés objet l’exercice en commun de plusieurs professions réglementées ». C’est l’ordonnance n°2016-394 du 31 mars 2016 qui consacre ainsi plusieurs articles à la SPE ; trois des sept décrets d’application publiés le 7 mai 2017 impactant la profession d’avocat.

Décryptage en 4 questions.

Qu’est-ce qu’une SPE ?

Quel que soit le mode d’exercice de la profession d’avocat (individuel, association, AARPI, société civile professionnelle ou désormais en société commerciale...), il est possible de créer avec d’autres professions du droit et du chiffre (notaires, experts comptables, huisssiers, commissaires-priseurs...) une Société Pluri-professionnelle d’Exercice, afin de proposer aux clients une plus large diversité d’expertises et de prestations.
La SPE se distingue de la Société de Participation Financière d’Exercice Libérale (SPFPL) car cette dernière est, comme son nom l’indique, limitée à l’interprofessionnalité capitalistique.
L’objectif poursuivi par le législateur en créant le SPFPL était de permettre aux professionnels libéraux de pouvoir s’associer au sein de holdings.
La SPE se distingue en ce qu’elle permet l’association de plusieurs professionnels au sein d’une seule et même structure.

Pourquoi une SPE ?

Face à la concurrence exponentielle d’une grande diversité d’acteurs du droit et du chiffre (grandes structures anglo-saxones et leurs offres full services ou start up de la legaltech composées de juristes et d’ingénieurs), la nouvelle entité permettrait de décupler le champ des possibles en dépassant des partenariats ponctuels entre les professions pour proposer une expérience client optimisée.

Dès lors que plusieurs professionnels se connaissant, collaborent d’ores et déjà régulièrement, ils peuvent légitimement associer leurs compétences respectives pour enrichir leur offre. Réfléchir en amont à l’intuitu personae qui les réunira est essentiel.

Ainsi, une visibilité plus forte et une palette de conseil à vision 360 C° pourront attirer particuliers et entreprises, pour peu que la proposition de valeur ajoutée soit bien comprise et accompagnée par une communication efficace.

A noter également que la SPE pourra exercer des activités commerciales à titre accessoire des professions réglementées (formation, édition par exemple..).

La création d’une telle structure, aussi pertinente soit-elle, nécessite de réaliser un audit complet de son activité et bien définir ses objectifs avant d’entamer les échanges avec des partenaires potentiels, de prendre le temps de se connaître de faire le point sur les compétences de chacun autour d’un projet entrepreneurial commun.

Conseils avant de se lancer.

Le décret cadre n° 2017-794 du 5 mai 2017 fixe les règles de création, de fonctionnement et de liquidation des SPE, les dispositions relatives aux nominations et d’inscriptions des membres au sein de ladite société. Le formalisme doit y être rigoureusement respecté.

Le décret n° 2017-795 du 5 mai 2017 précise que la majorité des 3⁄4 des voix des associés de la structure préexistante devra être réunie pour transformer une SCP en SPE ou bien permettre à la SCP de prendre des participations dans la SPE.

Sans détailler l’ensemble des autres règles intégrées dans le décret, on s’intéressera davantage à l’angle « déontologie » du décret n° 2017-794 ; il faut ainsi prévoir les différentes et nombreuses démarches auprès des autorités professionnelles, puisque le texte prévoit un double contrôle : au niveau de la SPE qui devra remplir toutes les conditions nécessaires à son inscription et au niveau de chaque membre qui la compose.

L’obligation d’information intervient chaque stade de la vie de la structure (naissance, changements au cours de la vie de l’entreprise telle l’intégration d’un nouveau professionnel, dissolution..).

Afin de lancer une structure pérenne, il est donc nécessaire de prendre le temps de la réflexion et de rédiger un pacte d’associé qui traduira avec précision l’intuitu personae, fondement de la création de la SPE.

Les associés devront se doter de règles précises sur leurs méthodes de travail en commun, leur déontologie interne, le partage d’information sur leurs relations clients, afin de collaborer avec fluidité et d’écarter tout conflit d’intérêt. Le décret insiste d’ailleurs sur l’importance de l’obligation de l’information vis-à-vis du client.

Le pacte devra également définir un ensemble de règles relatives au mode de rémunération, à l’évaluation et à la cession des parts. A défaut, les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil s’appliqueront (détermination par expert).

Et le client dans tout cela ?

Le décret 2017-794 précité clarifie les relations entre le client et la SPE. Dans un contrat
obligatoirement écrit, le client est informé de la nature des prestations qui lui seront fournies et de la liberté dont il dispose de s’adresser à un ou plusieurs professionnels exerçant au sein de la société.
Ce même contrat liste les professionnels à qui le client confie ses intérêts et les informations qu’il entend partager avec eux. Il est également libre de rompre cet accord à tout moment ou de le modifier.

Cette faculté laissée au client de faire évoluer les modalités d’échanges et de communication ne facilitera pas les relations entre les professionnels au sein de la société.

Un point essentiel qui s’impose à chaque associé dans ses relations avec les autres membres de la société et avec son client : « une déclaration sur l’honneur de chaque associé déjà en exercice attestant de l’absence de conflit d’intérêts entre ses activités en cours et celles des autres associés déjà en exercice ».

La SPE constitue l’un des outils pour inventer l’avenir de l’interprofessionnalité, afin de conquérir de nouveaux marchés et répondre davantage aux attentes des clients. Complémentarité des expertises, montée en puissance du collaboratif pour améliorer la relations clients dans une structure ad hoc... Cette promesse que l’on entrevoit avec les Sociétés Pluri-professionnelles d’Exercice devra être appréhendée et étudiée avec méthode.

Audrey Chemouli, Avocat associée In Extenso Avocats.
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