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Clause d’échelle mobile et loyer plancher : l’impossible renonciation du preneur à agir. Par Frédéric Guillaumond, Juriste.
Parution : jeudi 25 mai 2017
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Un arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 30 mars 2017 (n° de pourvoi 16-13914) constitue une nouvelle illustration de la tentative d’un bailleur, lors de la conclusion d’un contrat de bail commercial, de bénéficier d’une clause d’échelle mobile en l’encadrant contractuellement à son profit.

On sait, depuis un arrêt du 14 janvier 2016 de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation, qu’il n’est pas possible de stipuler une clause d’échelle mobile dans un bail commercial en excluant toute variation à la baisse du loyer.
La Cour de cassation avait validé le raisonnement de la cour d’appel au motif notamment que cette interdiction était conforme à l’esprit d’une clause d’échelle mobile, ressortant de l’article L 145-39 du Code de commerce, dans la mesure où par définition, le loyer doit, du fait de cette clause, pouvoir soit baisser, soit augmenter, en fonction de la variation de l’indice de référence.

Dans l’espèce objet du présent article, le bail contenait une clause d’échelle mobile, assortie d’une clause prévoyant que le preneur renonçait pendant toute la durée bail à faire fixer judiciairement le loyer à une somme inférieure au loyer contractuel défini dans le bail, même dans le cas où la valeur locative se révélerait inférieure au loyer contractuel.
La notion de valeur locative est pourtant la clé de voute de la construction intellectuelle des dispositions relative au loyer des baux commerciaux, que l’on retrouve notamment dans les articles L 145-33 ou L 145-38 du Code de commerce.

S’agissant d’un bail avec une clause d’échelle mobile, c’est sur le fondement de l’article L 145-39, qui se réfère au loyer fixé contractuellement ou judiciairement, que le preneur avait sollicité la révision du loyer à la baisse et sa fixation à la valeur locative.
L’article L 145-39, qui a vocation à s’appliquer lorsque le bail contient une clause d’échelle mobile, prévoit en effet « en outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. »
Se fondant sur les dispositions contractuelles, le bailleur s’était opposé à cette demande et le litige fut tranché par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 20 janvier 2016, qui retint que le loyer révisé devait être fixé au montant du loyer contractuel initial.
La cour d’appel avait estimé que la clause du bail ci-dessus relatée ne faisait pas échec aux dispositions de l’article L 145-39 du Code de commerce « dès lors qu’elle permet au preneur, une fois remplies les conditions de la demande en révision, d’obtenir une fixation à la baisse du loyer du bail révisé mais dans la limite du loyer « plancher » convenu ».
La limitation recherchée par le bailleur était ainsi plus subtile que dans l’espèce du 14 janvier 2016.

Néanmoins, se fondant sur la règle générale selon laquelle on ne peut valablement renoncer qu’à un droit déjà né, la Cour de cassation a considéré que la clause « avait pour effet de faire échec au réajustement du loyer en vigueur à la valeur locative et que la renonciation par le preneur à son droit d’obtenir la révision ne pouvait valablement intervenir qu’une fois ce droit acquis, soit après le constat d’une augmentation du loyer de plus d’un quart par le jeu de la clause d’échelle mobile. »
A contrario, une fois ce droit acquis, le preneur pourrait valablement renoncer à son droit à agir… on voit toutefois mal quel serait alors son intérêt…
Il convient enfin de souligner que la cour d’appel de Paris avait considéré qu’il résultait de la clause litigieuse que le preneur avait renoncé à demander la fixation judiciaire du prix du bail révisé à une somme inférieure au loyer contractuel initial, et ce, que la demande de révision soit fondée sur l’article L. 145-38 du Code de commerce ou sur l’article L. 145-39 du même Code ; la juridiction d’appel avait ainsi estimé que les parties n’avaient pas entendu distinguer selon que la demande en révision était fondée sur L 145-38 ou sur L 145-39.

Ceci est l’occasion de procéder à deux rappels :
- les articles L 145-37 à L 145-41 se rapportant au loyer sont d’ordre public, ainsi que cela résulte de l’article L 145-15 du Code de commerce, ce qui constituait un des moyens du pourvoi,
- une confusion est parfois faite dans la mise en œuvre des dispositions précitées. Les arrêts rendus dans trois espèces concernant la SNCF par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 2015 (n° de pourvoi 13-27366, 13-27367, 13-27368) avaient été l’occasion de préciser que l’article L 145-39 n’exclut par l’article L 145-38 mais que leur application est alternative. La demande de la SNCF de voir fixer son loyer à la valeur locative qui était inférieure à son loyer acquitté avait en outre été rejetée car elle n’apportait pas la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité entraînant une variation de plus de 10 % de la valeur locative (article L 145-38) ni la preuve d’une variation de plus de 25 % du loyer (article L 145-39).

Frédéric Guillaumond Avocat inscrit au Barreau de Lyon www.avocat-guillaumond.fr