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La restitution par le Procureur de biens saisis dans le cadre d’une procédure pénale. Par Matthieu Hy, Avocat.
Parution : lundi 29 mai 2017
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A l’occasion d’une procédure pénale, les saisies constituent pour les enquêteurs ou pour le juge d’instruction un moyen privilégié de recherche de la vérité et de recueillement de la preuve. La poursuite de ces objectifs conduit à placer indifféremment sous main de justice des biens appartenant à une partie à la procédure, mis en cause ou partie civile, et des biens dont des tiers sont propriétaires. L’article 41-4 du Code de procédure pénale expose la procédure permettant aux propriétaires d’obtenir la restitution de leurs biens auprès du Procureur de la République ou du Procureur général.

Dans quels cas le Ministère public est-il compétent ?

Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 41-4 du Code de procédure pénale, la restitution d’objets placés sous main de justice relève de la compétence du Procureur, « au cours de l’enquête », « lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie » ou « lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets ».

La première hypothèse est compréhensible puisqu’elle renvoie à l’existence d’une procédure dont aucun magistrat du siège n’est saisi, s’agissant d’une enquête préliminaire ou de flagrance.

La deuxième correspond plus spécifiquement au classement sans suite, cas dans lequel aucune juridiction n’a vocation à être saisie par le ministère public.

La troisième hypothèse renvoie au prononcé d’une décision mettant fin à la procédure sans que la juridiction saisie ne se soit prononcée sur le sort des scellés, ce qui est en pratique relativement fréquent. Il s’agira d’une ordonnance de non-lieu ne réglant pas le sort des scellés, d’un jugement ou d’un arrêt de cour d’appel statuant sur l’action publique sans restituer ni confisquer tout ou partie des biens préalablement saisis.

Ainsi, la procédure de l’article 41-4 du Code de procédure pénale n’est pas applicable lorsqu’une juridiction a définitivement décidé de la confiscation du bien (Cass.crim, 8 janvier 2014, n°12-88072 ; exemple d’un véhicule : CA Montpellier, Ch.Instru., 15 octobre 2015, n°15/00540). Elle ne l’est pas davantage pendant la phase d’information judiciaire, la compétence pour statuer sur une restitution relevant alors du juge d’instruction (article 99 du Code de procédure pénale).

Quel magistrat du Parquet faut-il saisir ?

Bien que la formulation de l’article 41-4 du Code de procédure pénale puisse laisser penser que le requérant dispose de la possibilité de saisir, à sa convenance, le Procureur de la République ou le Procureur général, il fait peu de doute que ce dernier ne sera compétent que lorsque la juridiction qui aura omis de statuer sur les objets saisis sera une juridiction de second degré ou la cour d’assises du siège de la Cour d’appel (Rép.Dalloz, Restitution, §63 ; JCl.Procédure pénale, art.30 à 44, Fasc.30, §159).

Par conséquent, toutes les autres situations relèveront du Procureur de la République.

Comment motiver sa demande ?

Hormis le cas où le ministère public statuerait d’office, le propriétaire du bien saisi doit formuler sa demande par voie de requête.

La motivation de la requête répondra à deux exigences. D’une part, il conviendra de démontrer que la propriété du bien n’est pas sérieusement contestable, faute de quoi la saisine préalable d’une juridiction civile pourra se révéler nécessaire (JCl.Procédure pénale, art.30 à 44, Fasc.30, §159). D’autre part, il sera préférable d’expliquer, dans la mesure du possible, en quoi il n’existe pas d’obstacle à la restitution.

Une fois réalisée la démonstration que le requérant est sans conteste le propriétaire du bien revendiqué, l’article 41-4, alinéa 2, du Code de procédure pénale mentionne trois cas dans lesquels le Procureur est fondé à refuser la restitution. Cette liste n’est pas limitative.

En premier lieu, il en va ainsi lorsque la restitution serait « de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ». Le fait par exemple que les objets saisis soient des armes ne justifie pas en soi un refus de restitution, notamment lorsque le requérant dispose des autorisations préfectorales d’acquisition et de détention (Cass.crim, 14 décembre 2016, n°15-87042). A l’inverse, tout bien, même non dangereux, est susceptible de justifier un refus dès lors que les magistrats démontrent en quoi le restitution elle-même pourrait engendrer un danger (Cass.crim, 27 mars 2012, n°11-84396).

En deuxième lieu, un refus peut être opposé au requérant lorsque « le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ». Ce motif est particulièrement contestable en ce qu’il permet à un magistrat du Parquet de se substituer à un magistrat du siège en décidant de ce qui s’apparente à une véritable peine de confiscation (article 131-21 du Code pénal).

En troisième lieu, le refus se trouve justifié « lorsqu’une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice ».

Il convient d’ajouter que lorsque la requête est formulée à un moment où le Procureur n’a pas encore pris de décision sur le déclenchement des poursuites, un refus pourra sans aucun doute être fondé sur des considérations relatives à la manifestation de la vérité ou, plus précisément, à la nécessité de conserver un élément de preuve utile lors de la phase d’instruction ou de jugement. Cependant, dans ce cas, rares seront les requérants capables d’argumenter sur ce point faute d’avoir eu accès au dossier pénal. Tel pourra néanmoins être le cas du suspect qui dispose de la possibilité de consulter le dossier de la procédure un an après avoir fait l’objet d’une mesure de garde à vue (article 77-2 du Code de procédure pénale) en matière d’enquête préliminaire.

Quel délai doit-on respecter pour formuler sa requête ?

L’article 41-4 du Code de procédure pénale prévoit que la requête doit être introduite « dans un délai de 6 mois à compter du classement sans suite ou de la décision par laquelle la dernière juridiction a épuisé sa compétence ». A défaut, le bien devient la propriété de l’État.

Cette disposition ne pose pas de difficulté lorsque le propriétaire du bien a été informé de la décision. Tel est le cas, aux termes de l’article 40 du Code de procédure pénale, de la victime ou du plaignant lors d’un classement sans suite. Tel est également le cas des parties à l’audience pénale valablement avisées du jugement ou de l’arrêt.

Il convient cependant de relever que le délai court à compter de la décision définitive sur l’action publique (Cass.crim, 9 décembre 2014, n°13-86775), peu important qu’un appel ait été interjeté sur les seules dispositions civiles du jugement. En cas de désistement d’appel sur l’action publique, le délai courra à compter de l’arrêt constatant ce désistement (Cass.crim, 13 mars 2012, n°11-85331).

La situation est beaucoup plus délicate pour le mis en cause en cas de classement sans suite ou pour les tiers à l’instance devant la juridiction pénale, qui peuvent n’apprendre l’existence d’une décision que très tardivement et bien souvent à leur initiative.

Afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constitutionnel, dans une décision n°2014-406 QPC du 9 juillet 2014, a estimé que le délai de 6 mois ne commençait à courir qu’à compter de la date à laquelle la décision avait été portée à la connaissance de ceux qui n’en auraient pas été informés dans les conditions posées par le Code de procédure pénale, ce qui peut être le cas du suspect (Cass.crim, QPC, 9 février 2016, n°15-83175).

Il revient au Procureur d’apporter la preuve de la date de notification de la décision, « ce que la seule production d’une extraction de données du bureau d’ordre national informatisé Cassiopée n’établit pas » (Cass.crim, 21 juin 2016, n°15-83175).

Quel recours contre la décision du Procureur ?

Lorsque la restitution a été accordée par le Procureur, l’inertie du requérant ayant eu gain de cause est sanctionnée par la dévolution à l’État du bien non réclamé à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la mise en demeure adressée au domicile du requérant.

Lorsque la requête a fait l’objet d’un refus de restitution de la part du Procureur ou d’une décision d’irrecevabilité, le requérant dispose d’un mois pour déférer la décision à la chambre de l’instruction, saisie par déclaration au greffe ou lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Que le refus soit fondé sur l’un des trois motifs de l’article 41-4, alinéa 2, du Code de procédure pénale, ou qu’il soit justifié par l’expiration du délai de 6 mois, il reviendra à la chambre de l’instruction de contrôler le bien fondé de la décision du Procureur (Cass.crim, 25 avril 2017, n°16-83154).

Que se passe-t-il si le ministère public a déjà fait procéder à la destruction ou à la remise du bien aux fins d’aliénation ?

Il n’est pas impossible, notamment en application de l’article 41-5 du Code de procédure pénale, que le bien soit déjà détruit ou aliéné, sans que le propriétaire n’en ait été informé, au moment de la requête en restitution et ce, alors même que celle-ci aurait été recevable et bien fondée.

En cas de destruction, le propriétaire pourra tenter d’engager la responsabilité de l’État et ainsi obtenir réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice (article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire).

Il conviendra de démontrer l’existence d’une faute lourde, c’est-à-dire d’une « déficience caractérisée traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » (Cass.civ. 1ère, 4 mai 2017, n°16-18751). Il a été jugé que constituait une telle faute le non-respect du délai laissé au propriétaire pour récupérer son bien suite à une mise en demeure (Cass.civ., 1ère, 9 juillet 2008, n°07-18239). En revanche, l’action sera certainement vouée à l’échec si la requête en restitution du bien avait été formulée hors délai, à savoir à une date où l’État était déjà propriétaire du bien revendiqué (par exemple, CA Paris, 1er mars 2011, n°09/23303).

En cas d’aliénation, notamment par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), l’alinéa 2 de l’article 41-5 du Code de procédure pénale prévoit la consignation du produit de la vente du bien afin de pouvoir restituer ce montant en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d’absence de confiscation par la juridiction de jugement.

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [mail->contact@matthieuhy.com]
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