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La question de la sécurité à l’hôpital : la place centrale du directeur d’établissement. Par Marc Lecacheux, Avocat.
Parution : vendredi 2 juin 2017
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Récemment, un homme de 26 ans atteint de troubles psychiatriques a violemment agressé une infirmière au CHU de NANTES. Ce drame met encore une nouvelle fois en lumière, la problématique de la sécurité à l’hôpital.

En effet, le dernier rapport de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) en 2014 a révélé que le nombre des déclarations de violences étaient en hausse soit 14 502 signalements d’atteintes aux personnes émanant de 337 établissements sanitaires et médico-sociaux. Le constat est donc malheureusement implacable, il existe d’innombrables actes de violences (injures, violences physiques) à l’encontre des soignants c’est-à-dire des personnels médicaux et paramédicaux, actes qui sont d’ailleurs répertoriés pudiquement comme évènements indésirables alors que tout acte de violence est injustifiable et inqualifiable.

Il ne s’agit pas de simples faits divers ayant pour seule et unique fonction de remplir les colonnes de journaux mais bel et bien un défi pour l’administration hospitalière puisque l’insécurité est génératrice d’absentéisme, d’arrêts maladie voire de l’usage de plus en plus fréquent du droit de retrait par le personnel soignant ou administratif. C’est donc un véritable enjeu pour l’administration hospitalière qui doit assurer dans la mission de service public qui est la sienne, la continuité et la sécurité des soins.

Tout ceci nécessite la mise en place de méthodes de prévention au sein des établissements publics et privés de santé face à la violence pour éviter une banalisation de ces actes. C’est-à-dire, concrètement, mettre en place une politique de gestion des risques (ex : vigiles, porte anti-intrusion etc..) voire dans l’urgence immédiate de l’agression réagir avec toute la promptitude nécessaire (ex : un système d’alerte immédiate des forces de l’ordre). D’emblée, les principaux écueils à éviter sont d’une part une dérive sécuritaire alors qu’il s’agit d’un lieu de soin et d’autre part la banalisation de cette violence au nom d’un fatalisme sociétal.

En outre, il s’agit de déterminer les différents intervenants et acteurs impliqués sur cette question, le personnel soignant et médecins ainsi que l’administration incluant évidement le Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) en vue de la mise en place d’une politique de gestion des risques. A défaut d’une telle politique, il est à prévoir un découragement, un épuisement physique et psychique des équipes voire l’usage le personnel du droit de retrait.

I) Les principaux acteurs intervenant dans la question de la sécurité dans les établissements publics de santé

Il s’agit principalement des acteurs externes tels que la police et la justice par le biais de signalement au procureur où d’un dépôt de plainte dans les cas les plus graves et les plus urgents. A titre d’exemple, dans un CHS, la survenue d’une agression sexuelle sur une patiente vulnérable par un patient d’un autre service. Pour ce qui concerne des acteurs internes, le service de sécurité et la direction de l’établissement sont des acteurs incontournables.

Ainsi, ces deux acteurs doivent se compléter dans la mise en place effective d’un protocole interne définissant le rôle de chacun de ces intervenants police, justice, directeur, service de sécurité. Il conviendra tout d’abord de déterminer juridiquement le rôle du directeur de l’établissement.

I-1) Le rôle cardinal du directeur

L’article L 6143-7 du Code de la santé publique énonce que le directeur assure la gestion et la conduite générale de l’établissement et à l’autorité compétente pour assurer la police générale de l’établissement (CE 17 nov. 1997 n°168606 CHS de Rennes).

Les affaires et incidents concernant le fonctionnement où la bonne marche de l’hôpital est de la responsabilité de ce dernier, il a donc le garant de la police général de l’établissement et donc de la protection de l’intérêt des patients et de leurs santé en faisant respecter les principes de continuité et de neutralité du service publique.

Dès lors, le fonctionnement défectueux de l’établissement peut lui être reproché en cas de litige.

I-2) L’interférence entre le pouvoir du directeur et celui du médecin

En effet, se pose l’épineux problème juridique de la distinction entre le pouvoir de police général du directeur et la responsabilité du médecin dans l’administration des soins. Force est de constater qu’il peut exister dans la vie d’un établissement des interpénétrations entre les deux fonctions, car conformément à l’article L 6143-7 du Code, le directeur exerce son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques qui sont les leurs dans l’administration des soins : il peut par exemple suspendre en urgence hors du cadre disciplinaire un praticien hospitalier de ses activités cliniques dès lors que ce dernier compromet la sérénité des soins et le fonctionnement du service (Art R 6152-28 du CSP et CE 1er mars 2006 n°279822 CE 15 dec 2000 Mr V et syndicat des professeurs hospitalo-universitaires).

De même, il est possible au directeur de muter un praticien à titre provisoire et à titre exceptionnelle, dans un pôle d’activité, sans en référé au chef de pôle dès lors que cette mutation est nécessaire pour la sécurité des malades et la continuité des soins (CE 7 décembre 2011 CHI Eure-Seine n°337972).

Dès lors, ce n’est pas le lieu ou la localisation de l’incident qui va déterminer la compétence mais le critère fonctionnel, c’est-à-dire déterminer ce qui relève de la responsabilité des soignants dans l’administration des soins de ce qui relève de la stricte sécurité intérieure. Néanmoins il peut exister une interférence entre les pouvoirs du chef de pôle et le pouvoir de police du directeur.

Cette distinction byzantine qu’il est nécessaire d’éclairer par les textes règlementaires et la jurisprudence. Ainsi, le pouvoir général de police de l’établissement trouve sa traduction concrète lorsque ce dernier interdit le droit de visite d’un patient par un membre de sa famille (TA de Versailles 25 janvier 2012 n°1000323).

Pour autant, force est de constater que le directeur doit s’effacer devant des décisions qui relèveraient en apparence de son pouvoir mais qui sont des décisions thérapeutiques stricto sensu.

Ainsi, à titre d’exemple et conformément à l’avis récent de la Haute autorité de Santé (HAS) de février 2017, la mise en place d’un protocole de contention pour les patients dans les établissements publics spécialisés relève exclusivement du pouvoir du psychiatre (isolement et contention en psychiatrie, recommandations et bonnes pratiques).

Dans ce cas précis, le rôle du directeur se bornerait à la bonne tenue du registre de signalement de ces mesures (article 72 de la loi de 2016). Par contre, la sécurité intérieure de son établissement dépend entièrement de la responsabilité du directeur d’établissement (ex : fugue de patients, intrusions de personnes extérieures).

Pour autant, cette interférence peut devenir une complémentarité dès lors qu’elle permet d’assurer la sérénité des soins face à des demandes de patients pouvant perturber la continuité des soins.

En effet, lorsque l’équipe soignante est confrontée à des demandes d’examens ou de soins urgents devant être uniquement réalisés par du personnel soignant féminin, le directeur doit faire respecter le principe de laïcité ainsi que la charte de laïcité dans les établissements publics et assurer ainsi le bon ordre et la tranquillité des soignants et des autres patients. Ainsi, comme le rappelle utilement la circulaire N°2005-57 DHOS/G/2005 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé concernant la liberté de choix du praticien par le patient :

« (…..) Enfin, ce libre choix du malade ne permet pas que la personne prise en charge puisse s’opposer à ce qu’un membre de l’équipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier (…) »

Ceci afin d’éviter des drames humains (voir article sur arrêt CAA de Lyon 10 juin 2008 n°05LY01218 enfant né avec un grave handicap du fait de l’opposition du père à l’intervention en urgence d’un obstétricien homme).

II) Sur rôle de l’administration dans l’ouverture des droits à la protection fonctionnelle des agents

Pour parachever notre propos, il conviendra de rappeler le rôle de l’administration et notamment du directeur dans l’ouverture du droit à la protection fonctionnelle pour les agents.

Ainsi, selon l’article 11 du titre I du statut général : « Les fonctionnaires et les agents non titulaires ont droit à une protection et le cas échéant à une réparation lorsqu’ils ont fait l’objet, à l’occasion de leurs fonctions, de menaces, d’outrages, de voies de fait, d’injures ou de diffamation, ils ont le droit à une protection, dans certaines circonstances, en cas de poursuites pénales et civiles engagées par un tiers pour faute de service ».

Il convient de noter que le champ d’application de cette protection est très large puisqu’il concerne les agents titulaires ou non, les agents de droit privé et enfin les collaborateurs occasionnels du service public c’est-à-dire toute personne physique chargée d’une mission de service public (voir exemple : CE section 8 juin 2011 n°312700). Cette demande de protection fonctionnelle doit être adressée au directeur d’établissement c’est-à-dire à l’autorité investie du pouvoir de nomination (CAA Versailles 17 mars 2005 n°02VE02184 HP/ministère de l’éducation nationale).

Dans ce contexte, il peut être opportun pour l’établissement de poursuivre l’auteur et de se porter partie civile au pénal, ceci afin d’assurer son soutien à l’agent et à l’ensemble de l’équipe hospitalière de son établissement.

Marc Lecacheux Avocat à la Cour marclecacheux.avocat@yahoo.fr
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