Village de la Justice www.village-justice.com

Licenciement sans cause et requalification des CDD en CDI d’un électro-frigoriste en OPEX de l’Economat des armées. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : mercredi 7 juin 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Licenciement-sans-cause-requalification-des-CDD-CDI-electro-frigoriste-OPEX,25146.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

L’Economat des armées peut-elle employer valablement un électro-frigoriste en CDD pour accroissement temporaire d’activité 365 jours par an, sur les sites militaires (OPEX) de l’armée française au Kosovo, en Afghanistan et au Tchad ?

La Cour d’appel de Paris vient de répondre par la négative dans un arrêt du 30 mai 2017 au visa de l’article L.1244-3 du code du travail.
(CA Paris 30 mai 2017)

I) Les faits.

Monsieur X a été engagé par l’Economat des Armées (ci-après désigné l’EDA) par plusieurs contrats à durée déterminée successifs, à compter du 19 mars 2008 jusqu’au 15 octobre 2011, en qualité d’électro-frigoriste, son salaire mensuel brut de base étant fixé à la somme de 1557,12 euros, à laquelle s’ajoutaient des indemnités de grands déplacements.

Monsieur X a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 9 octobre 2013 pour obtenir notamment la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

Par jugement du 15 septembre 2014, le conseil de prud’hommes a débouté Monsieur X de l’ensemble de ses demandes et l’EDA de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur X a relevé appel de cette décision.

Dans son arrêt du 30 mai 2017, la Cour d’appel de Paris (Pole 6, Chambre 3) :
1. requalifie les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 5 octobre 2008 ;
2. constate que la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
3. condamne l’Economat des Armées à payer à Monsieur X la somme de :
- 12.695 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 4.231,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 423,16 euros au titre des congés payés y afférents ;
- 4.936,91 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour dépassement de la durée légale de travail ;
- 2.115,82 euros à titre de d’indemnité de requalification ;
- 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

II) L’arrêt du 30 mai 2017 de la Cour d’appel de Paris.

1) Sur la requalification des CDD en CDI.

Selon les dispositions des articles L 1242-1 du code du travail, un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; l’article L 1242-2 du code du travail autorise le recours au contrat à durée déterminée pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans des cas limitativement énumérés, parmi lesquels le remplacement d’un salarié absent, l’accroissement temporaire d’activité de l’entreprise, ou encore le remplacement d’un chef d’entreprise, de son conjoint.

En vertu des dispositions combinées des articles L 1245-1 et L 1245-2 du code du travail, le contrat de travail conclu en méconnaissance des articles L1242-2 et suivants est réputé à durée indéterminée et le salarié a droit une indemnité de requalification laquelle, sans préjudice des règles relatives à la rupture du contrat à durée indéterminée, ne peut être inférieure à un mois de salaire.

Les contrats à durée déterminée de Monsieur X en qualité d’électro-frigoriste se sont succédés de la façon suivante :

- Pour les contrats motivés par un accroissement temporaire d’activité :

– du 19 mars au 25 avril 2008, affectation au Tchad, prorogé par un avenant du 25 avril au 25 juin 2008,
– du 5 novembre 2008 au 31 janvier 2009, affectation au Kosovo, prorogé par un avenant du 31 janvier au 15 mars 2009,
– du 2 septembre 2009 au 15 janvier 2010, affectation au Kosovo,
– du 31 mai au 1er septembre 2010, affectation en Afghanistan,
– du 5 novembre 2010 au 5 février 2011, affectation en Afghanistan ,
– du 16 juin au 15 octobre 2011, affectation au Tchad.

- Pour les contrats motivés par l’exécution d’une tâche précise :

– le 27 août 2009, journée d’information et visite médicale à Pantin,
– du 21 avril au 23 avril 2010, formation à Nantes,
– du 3 mai au 5 mai 2010, formation à Taverny,
– le 25 mai 2010, journée d’information et visite médicale à Pantin.

S’agissant des contrats motivés par un accroissement temporaire d’activité, il convient de rejeter la demande de requalification formulée sur ce point.

En effet, alors que l’activité principale de l’EDA consiste en l’approvisionnement en gros des collectivités militaires en France et en rôle de Centrale d’achat pour les restaurants militaires sur le territoire français, le salarié ne peut légitimement soutenir que les nouvelles interventions et actions de soutien lancées à partir de 2007, à l’initiative de l’Etat-Major des Armées, sur quelques théâtres d’opérations à l’étranger, dans le cadre d’une convention Capes France du 12 juillet 2006, prévoyant une expérimentation sur trois ans constitue l’activité normale de l’EDA.

Néanmoins, la requalification doit être prononcée faute pour l’EDA d’avoir respecté les dispositions de l’article L 1244-3 du code du travail relatif au délai de carence.

Le tableau élaboré par Monsieur X sur la base des contrats de travail et des ordres de missions de ses collègues, Monsieur Roman et Monsieur Manoury, du planning des frigoristes et des relèves, démontre que le délai de carence sur le même poste, sur le même lieu d’affectation et sur les même fonctions, n’a pas été respecté.

La requalification des contrats à durée déterminée sera donc prononcée.

Cette requalification ne prend effet qu’à compter du contrat de travail du 5 novembre 2008, l’EDA soutenant à juste titre, la prescription de l’action pour le contrat de travail et l’avenant antérieurs.

Pour cette période, Monsieur X est donc bien fondé à solliciter une indemnité de requalification. Eu égard aux motifs ayant justifié la requalification et la durée de la relation de travail, il convient d’allouer à Monsieur X une indemnité égale à un mois de salaire, soit la somme de 2.115,82 euros.

En effet, au regard des précédents motifs sur les indemnités de grand déplacements et des bulletins de salaire de Monsieur X, il y a lieu de retenir la moyenne des trois derniers bulletins de paie pour déterminer le salaire moyen et de le fixer à la somme de 2115,82 euros.
L’EDA ayant mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme du contrat improprement qualifié de contrat à durée déterminée, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2) Sur les indemnités de rupture.

Au regard du salaire moyen retenu, Monsieur X qui bénéficie de 2 mois de préavis est bien fondé à réclamer la somme de 4.231,64 euros et les congés payés y afférents.

S’agissant de l’indemnité de licenciement, l’employeur invoque les dispositions de l’article 23-b du règlement des personnels civils de l’EDA pour retenir un temps de travail effectif de 22 mois, inférieur à l’ancienneté retenu par le salarié de 3 ans et 6 mois.

A défaut pour l’employeur de justifier et de communiquer le texte sur lequel il se fonde, il sera fait droit à la demande de Monsieur X et il lui sera alloué la somme de 4936,91 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

3) Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Monsieur X justifie avoir été pris en charge par Pôle Emploi pendant trois mois de décembre 2011 à janvier 2012. Les circonstances de la rupture de la relation de travail, telles que rappelées dans le courrier du directeur général de l’EDA du 8 juin 2012, laissent supposer des conditions de retour à l’emploi satisfaisantes pour le salarié.

Au vu de l’ancienneté de Monsieur X et de sa rémunération, la Cour dispose des éléments suffisants pour fixer à 12695 euros, le montant des dommages-intérêts alloués en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4) Sur les dommages-intérêts pour non-respect de l’amplitude horaire de la journée de travail.

Monsieur X sollicite la somme de 20000 euros et soutient que durant l’exécution de son travail à l’étranger, l’EDA ne respectait pas la durée maximale quotidienne de travail de 10 heures et les dispositions relatives au repos quotidien.

Il transmet, à l’appui de sa demande, des relevés d’intervention pour 2008 et 2011, ses fiches d’évaluation de fin de mandat mentionnant qu’il ne comptait pas ses heures, un courrier du chef de site du camp de CROCI qui constate le dépassement des dispositions relatives au temps de travail.

L’accord relatif aux temps de travail sur les théâtres d’opérations extérieures du 11 mars 2008 prévoit en ce qui concerne la durée de travail :
« Pour répondre aux contraintes spécifiques énoncées précédemment, la durée hebdomadaire de travail effectif est portée à 42 heures 30 pour tous les personnels détachés sur les terrains théâtres d’OPEX. Celui-ci correspond en fonction des sites, à un temps plein hebdomadaire effectué sur :
– 6 jours, soit une durée quotidienne moyenne de travail de 7 heures 05 minutes ;
– ou 5,5 jours, soit une durée quotidienne moyenne de travail de 7h40 minutes sur 5 jours et 4h10 pour la demi-journée ;
– ou 5 jours soit une durée quotidienne moyenne de travail de 8h30 minutes.

Tout dépassement horaire éventuel effectué dans le mois à la demande du chef de mission ou de son représentant, donne lieu à l’établissement d’un tableau nominatif des horaires cosignés par l’intéressé et le chef de mission. »
Ce texte octroie également un forfait d’heures supplémentaires fixé à 7h30 minutes par semaine.

Le relevé d’intervention communiqué par Monsieur X démontre que le salarié était soumis à des astreintes et que ces astreintes pouvaient s’exercer sur les temps de week-ends ou jours fériés mais aussi sur les temps de semaine. D’ailleurs, sur le mois d’avril 2008 le salarié justifie avoir exercé une astreinte cumulativement à son travail quotidien.

Ce même relevé démontre que le temps de travail, qui s’exécutait majoritairement sur six jours, présentait un dépassement quotidien de la moyenne de 7 heures 05 prévue dans l’accord précité.

Ce seul élément prouve le non-respect l’amplitude horaire par l’employeur.

Néanmoins, il convient de constater que l’ensemble des temps d’astreinte et des heures supplémentaires a été régulièrement rémunéré. En outre, les dépassements constatés dans les pièces justificatives apparaissent relativement modérés. En conséquence, il y a lieu de réduire de façon notable l’évaluation du préjudice calculé par le salarié et de lui octroyer la somme de 5.000 euros.

Le salarié est débouté de ses demandes d’indemnité pour travail dissimulé et de requalification des indemnités de grand déplacement en salaire.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum