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Les principales incidences de la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 sur les baux commerciaux. Par Arnaud Boix, Avocat.
Parution : vendredi 9 juin 2017
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Le 18 juin 2014, la loi Pinel (loi n°2014-626) s’est proposée de réformer le régime des baux commerciaux. Cependant, la réforme du droit des contrats en date du 10 février 2016 (aux termes de l’Ordonnance n°2016-131) s’appliquant au régime général des contrats a assurément des impacts divers et variés sur les baux commerciaux.

Cette loi est entrée en vigueur le 1er octobre 2016 et s’appliquera aux baux commerciaux conclus ou renouvelés à partir de cette date.

Il y a quatre points sur lesquels la réforme en droit des contrats aura indéniablement des incidences :
- La formation du bail
- La validité du bail
- L’exécution du bail
- L’inexécution du bail

I. La formation du bail

La réforme en droit des contrats est venue étendre le champs d’application des obligations précontractuelles de bonne foi et d’information à l’égard du cocontractant.

L’obligation d’information

C’est une grande nouveauté de la réforme car même s’il existait jusqu’à l’Ordonnance de 2016 une obligation d’information pendant la période précontractuelle, elle n’était inscrite dans les textes que pour certaines matières spécifiques, à savoir le droit de la consommation.

Désormais, cette obligation est introduite dans le Code civil à l’article 1112-1 et s’applique au régime général des contrats. L’article 1112-1 dispose que : « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Le caractère déterminant de l’information est défini comme « le lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » (article 1112-1 alinéa 3).

De plus, l’alinéa 2 du même article prévoit que cette obligation d’information ne peut pas concerner « l’estimation de la valeur de la prestation ». Ainsi la jurisprudence Baldus du 3 mai 2000 (n°98-11381) est confirmée en ce qu’elle prévoyait également que l’acquéreur d’un bien n’est aucunement tenu de révéler à son vendeur la valeur vraie de la chose qu’il souhaite acquérir.

Celui qui manquerait à son devoir d’obligation d’information pourra alors voir engager sa responsabilité et voir le contrat de location annulé.

L’obligation de bonne foi

La réforme a ajouté l’article 1104 dans le Code civil qui prévoit que « les contrats doivent être négocié, formés et exécutés de bonne foi ». Ainsi l’exigence de bonne foi pendant la phase précontractuelle est étendue. Cette disposition étant d’ordre public, les parties au bail ne pourront pas s’y soustraire.

Le cas de la promesse unilatérale de bail

Le nouvel article 1124 du Code civil relatif à la promesse unilatérale, consacre l’inefficacité de la rétractation du promettant dans le cadre d’une promesse unilatérale. En effet, l’article dispose que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». De plus, il prévoit que le bail « conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ».

Ce nouvel article permet ainsi de différencier de manière claire la promesse de contracter, pour laquelle les éléments essentiels du contrat sont déterminés et où il ne manque que le consentement du bénéficiaire, de la simple offre de contracter, pour laquelle la révocation prématurée n’ouvrira qu’à des dommages et intérêts.

II. La validité du bail

Contrat d’adhésion et déséquilibre significatif

Le contrat d’adhésion est défini à l’article 1110 du Code civil comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».

L’article 1171 est une grande nouveauté en la matière car il introduit la notion de déséquilibre significatif dans le Code civil. En effet, il dispose que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Il pourra donc par exemple s’agir d’une clause d’augmentation du loyer après travaux ou lors de la cession d’un fonds de commerce ou d’une clause de modification de la chose louée.

L’article précise également en son deuxième alinéa que ce déséquilibre significatif ne peut ni porter sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.

Cet article est novateur dans le sens où il introduit la sanction des clauses abusives dans le régime de droit commun alors qu’il n’était jusque-là que prévu par le droit de la consommation.

L’obligation de délivrance

Le nouvel article 1170 du Code civil dispose que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

L’obligation de délivrance du bailleur à l’égard du preneur est une obligation essentielle qui affecte l’objet du contrat. De ce fait, tout clause dérogeant à cette obligation sera réputée non écrite.

Cette nouvelle disposition rappelle ce qui avait déjà été énoncé quelques années auparavant par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost (arrêt n°93-18632 du 22 octobre 1996) : l’inexécution d’une obligation de délivrance constitue un manquement à une obligation essentielle du contrat rendant la clause limitative de responsabilité non-écrite.

Les obligations essentielles incombant au débiteur sont définies à l’article 1719 du Code civil, il s’agit notamment de l’obligation de délivrance, de jouissance paisible dite de « garantie », d’entretien.

III. L’exécution du bail

L’Ordonnance de 2016 introduit pour la première fois en droit privé français une notion longtemps rejetée par la jurisprudence depuis l’arrêt Canal de Craponne (6 mars 1876, chambre civile, Cour de cassation) : la théorie de l’imprévision.

En effet, le nouvel article 1195 du Code civil relatif à l’imprévision contractuelle dispose dorénavant que « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer les risques » alors cette dernière pourra demander à son cocontractant de renégocier le contrat. Néanmoins les parties pourront convenir de la résolution du contrat en cas de refus ou d’échec de la renégociation.
Toutefois, à défaut d’accord avec son cocontractant, une partie disposera de la possibilité de saisir le juge afin que ce dernier révise ou mette fin au contrat selon des conditions qu’il fixe.
Les circonstances imprévisibles peuvent être entendues de manière assez large, elles peuvent être de nature économique, microéconomique (dévaluation monétaire etc), macroéconomique (modification structurelle du marché etc), politique (embargo international etc), matérielle (catastrophe climatique) ou encore juridique.
Cependant, l’application de l’article 1195 dans le domaine des baux commerciaux et des contrats de franchise dans les baux commerciaux fait débat.
En effet, l’article l’145-39 du Code de commerce prévoit déjà des conditions pour lesquelles il est possible de réviser le bail si ce dernier est assorti d’une clause d’échelle mobile et que le loyer se trouve augmenté de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. Ainsi, nous pouvons faire l’hypothèse que si ces conditions ne sont pas remplies, le bailleur pourrait faire appel à ce nouvel article 1195 afin de lui faire échec.

IV. L’inexécution du bail

Grâce à l’ordonnance de 2016, il devient plus facile pour une partie de suspendre l’exécution de son obligation, notamment si « l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave » dispose le nouvel article 1219 du Code civil.

De plus, il est désormais possible « en cas d’inexécution suffisamment grave » de résoudre unilatéralement le bail par simple notification.

Le nouvel article 1223 du Code civil prévoit que le créancier d’une obligation peut solliciter une réduction du prix du contrat en cas d’exécution imparfaite du débiteur.

La force majeure fait également son entrée dans le Code civil à l’article 1218 et est définie comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Le contentieux est à suivre…

Arnaud Boix, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com