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Régulariser un permis en cours d’instance, et après l’achèvement des travaux : c’est désormais possible ! Par Bernard Rineau et Hubert Veauvy, Avocats, et Nicolas Souverain, Elève-avocat.
Parution : vendredi 9 juin 2017
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Par une décision du 22 février 2017 (n°392998), le Conseil d’Etat a jugé que la régularisation d’une autorisation d’urbanisme entachée d’un vice peut être régularisée, en cours de contentieux, alors même que les travaux sont achevés. Par cette lecture de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, se trouve élargie la mise en œuvre d’une faculté innovante à l’initiative du juge, à rebours des différentes possibilités existantes en matière de régularisation d’un permis. Tour d’horizon de cette procédure particulière et de ses avantages non négligeables.

Dans le cadre de la contestation d’un permis de construire délivré par la mairie de Baie-Mahault à la SCI Kefras, la cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé, dans un arrêt du 12 juin 2014 (n°12BX02902), que l’autorisation d’urbanisme entachée d’un vice était susceptible d’être régularisée.

En application de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, la cour administrative d’appel a décidé de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation du permis de construire, et accordé un délai de 3 mois pour notifier le permis modificatif à la juridiction.

A la suite de la délivrance du permis de construire modificatif, le juge bordelais a de nouveau statué, le 9 juillet 2015 (également n°12BX02902), sur la légalité de l’autorisation d’urbanisme régularisée.

En défense, les requérants ont soutenu que la commune ne pouvait délivrer de permis modificatif dans la mesure où, à la date de délivrance de cette seconde autorisation, la construction était achevée.

La cour administrative de Bordeaux a débouté les requérants au motif que la faculté offerte au juge, prévues à l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, lui permettant de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation d’une autorisation d’urbanisme entachée d’un vice, était subordonnée « à la seule nature de l’illégalité susceptible d’être retenue et non à l’état d’avancement de la construction ».

Par une décision du 22 février 2017 (n°392998), le Conseil d’État, saisi en cassation, a jugé que la cour administrative d’appel de Bordeaux n’avait pas commis d’erreur de droit :

« Considérant que les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire lorsque le vice entraînant l’illégalité de ce permis est susceptible d’être régularisé ; qu’elles ne subordonnent pas, par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n’aient pas été achevés ; qu’il appartient au juge administratif, pour faire usage des pouvoirs qui lui sont ainsi dévolus, d’apprécier si, eu égard à la nature et à la portée du vice entraînant son illégalité, cette régularisation est possible (…). »

Dès lors, l’achèvement d’une construction n’interdit plus au juge de surseoir à statuer afin de régulariser un permis illégal.

I- Une seule condition pour solliciter une régularisation du permis à l’initiative du juge : la présence d’un vice régularisable

Par cette décision, publiée au Recueil Lebon, le Conseil d’État interprète strictement l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, lequel dispose que :

« Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. »

Cette disposition, issue de l’ordonnance du 18 juin 2013, a transposé les préconisations du rapport Labetoulle, du 11 février 2013 : « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre ».

Le dispositif prévu à l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme a visé un objectif clair et attendu : une régularisation des autorisations d’urbanisme, en cours d’instance, à l’initiative du juge.

Cet élargissement de l’office du juge permet de rationaliser le contentieux des autorisations d’urbanisme, alors que la durée de la procédure ne cesse de s’allonger et débouche trop souvent sur des situations de blocage autrement plus complexes que la situation antérieure à l’intervention du juge.

En conditionnant sa mise en œuvre au seul fait que le vice puisse être régularisé, la décision du Conseil d’État du 22 février 2017 se situe dans la droite lignée du rapport Labetoulle et de son objectif.

Cette décision constitue un revirement de jurisprudence majeur : une précédente décision du Conseil d’État, quelques mois plus tôt, estimait que l’achèvement des travaux faisait obstacle à la mise ne œuvre de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme :

« Pour l’application des dispositions des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le juge administratif doit, en particulier, apprécier si le vice qu’il a relevé peut être régularisé par un permis modificatif. Un tel permis ne peut être délivré que si, d’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés (…) » (CE, 30 décembre 2015, n°375276 ; ou encore CAA Marseille, 8 décembre 2016, n°15MA00826)

Son intérêt est d’autant plus important qu’en admettant la régularisation d’un permis, alors même que la construction est achevée, le juge administratif consacre une possibilité de régularisation inédite, qui n’est pas offerte par les autres voies existantes en la matière.

II- Le sursis à statuer : seule possibilité actuelle de régulariser un permis en cours de contentieux lorsque les travaux sont achevés

Si l’hypothèse d’une régularisation ordonnée par le juge, sans considération de l’état d’avancement du chantier, pouvait, au regard de l’objectif fixé par le rapport Labetoulle, recevoir une réponse favorable, une telle solution ne coulait pas de source : en effet, le recours à l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme se distingue désormais des deux autres possibilités de régularisation qui, quant à elles, nécessitent que les travaux soient encore en cours :

Par sa décision du 22 février 2017, le Conseil d’État se démarque clairement des deux modes de régularisation précités et prévoit, s’agissant du sursis à statuer consacré à l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, des conditions de recevabilité plus souples.

III- Une procédure au nombreux avantages permettant un règlement rapide et efficient du litige

Outre la nouveauté de taille issue de la décision du Conseil d’État évoquée ci-dessus, l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, en instaurant un sursis à statuer dans l’attente de la régularisation du permis, offre de nombreux avantages, d’ordre divers, qui en font une procédure efficace.

En premier lieu, le régime de recevabilité du mécanisme du sursis à statuer est très souple.

Le sursis à statuer peut être sollicité par le bénéficiaire du permis ou l’Administration. Pour autant, si ces parties n’expriment pas le souhait de voir appliquer l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le juge peut également le mettre en œuvre de sa propre initiative.

Cette initiative du juge est novatrice dans la mesure où, pour les deux autres modes de régularisation existants, l’initiative ne peut émaner du juge, mais uniquement du bon vouloir des parties.

Désormais, la possibilité pour le juge d’imposer ce sursis à statuer peut obliger les parties à abréger un contentieux qu’elles pourraient avoir tendance à vouloir faire durer en cas de vives tensions.

Le sursis à statuer peut également être soulevé tant par le juge de première instance que par le juge d’appel, et ce à tout moment de l’instruction.

En deuxième lieu, le sursis à statuer permet de bénéficier d’une sécurité juridique accrue, ce qui est un point essentiel dans le cadre de ce contentieux qui en manque particulièrement. Cette sécurité juridique est assurée par plusieurs biais :

En troisième lieu, il revient au juge de fixer le délai accordé au titulaire du permis pour procéder à sa régularisation. Ce délai, variable selon les vices devant être régularisés, est relativement court : entre 2 et 6 mois.

Une fois ce délai écoulé, la nouvelle audience intervient beaucoup plus rapidement que dans le cadre d’une procédure, classique, ce qui peut aisément faire gagner entre 6 mois et 1 an de procédure.

En dernier lieu, cette procédure contribue à limiter les frais d’avocat, et ce pour deux raisons :

Pour autant, outre ses nombreux avantages, les contours de sa mise en œuvre sont strictement définis.

IV- Un mode de régularisation du permis au champ d’application bien délimité

Si le recours à l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme dispose de nombreux avantages, son utilisation reste cependant limitée à certains cas précis.

Le premier obstacle, et non des moindres, tient au fait que ce mode de régularisation du permis ne peut être mis en œuvre que dans le cadre d’une procédure au fond.

En conséquence, il ne peut pas être soulevé par le juge des référés (CE, 22 mai 2015, SCI Paolina, n°385183).

Il ne peut donc pas non plus être invoqué devant le Conseil d’État.

Le second obstacle, moins aisé à discerner dans certains cas, tient à la nature du vice. En effet, toute illégalité ne peut être régularisée par le biais de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, comme le rappelle la décision du Conseil d’État du 22 février 2017.

Sont régularisables la majorité des vices de légalité externe, tels que l’insuffisance du dossier de demande de permis ou encore un vice d’incompétence.

Les vices de fond, tels que la méconnaissance des règles fixées par un plan local d’urbanisme, peuvent également être régularisés (diminution de la hauteur du projet, règle d’implantation etc).

D’autres vices sont en revanche non régularisables par nature, tels que l’édification d’une construction dans une zone inconstructible ou encore dans une zone non urbanisée d’une commune.

En tout état de cause, il appartient au juge d’apprécier la possibilité de régulariser ou non le vice litigieux. Certains d’entre eux, du fait de leur complexité, nécessiteront une analyse approfondie afin d’apprécier si le sursis à statuer en vue d’une régularisation est possible.

V- Conclusion

La nouvelle possibilité offerte au juge, de surseoir à statuer alors que la construction est achevée, offre donc de nouvelles perspectives, mais elle laisse également planer certaines interrogations.

Si le recours au sursis à statuer afin de régulariser un vice de légalité externe ne semble pas poser de difficulté, il en va autrement des vices de légalité interne : la jurisprudence actuelle en matière de régularisation de ces derniers nécessitera sûrement une adaptation, dans la circonstance où les travaux sont achevés.

La jurisprudence devra donc faire face à de nouveaux cas de figure impliquant, très certainement, une nouvelle définition des vices régularisables ou non.

On voit mal en effet, comment un vice, tenant par exemple à la méconnaissance des règles de hauteur ou d’implantation, pourra être régularisé dans la mesure où la construction est achevée.

Bernard RINEAU Avocat Associé Hubert VEAUVY Avocat Nicolas SOUVERAIN Elève Avocat Avocat Associé chez RINEAU & Associés http://www.rineauassocies.com