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CE : Des délais préfixes pour moins d’idées fixes ? Par Magali Baré, Consultante.
Parution : lundi 19 juin 2017
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Depuis 2013, le comité d’entreprise (CE) est réputé avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai préfix, c’est-à-dire défini par avance. La cour de cassation a précisé les conditions d’application de ces délais dans deux décisions du 21 septembre 2016, qui poursuivent la volonté du législateur de limiter la tentation du dilatoire mais démontrent l’insuffisance de l’encadrement juridique pour résoudre les difficultés de notre système de relations sociales.

Le délai préfix commence à courir dés communication des informations permettant de comprendre le projet de l’employeur

Dans une première affaire (Cass. soc., 21 septembre 2016, n°15- 15-19003), un CCE prétendait que le délai n’avait pas commencé à courir car les informations qui lui avaient été communiquées étaient insuffisantes.

Au cours d’une première réunion le 1er octobre, un projet de fusion de plusieurs entités avait été présenté, note de 42 pages à l’appui. A la demande du CCE, un expert avait été désigné. Deux mois et demi plus tard, le CCE a saisi le juge des référés pour demander des informations complémentaires.

Sa demande est rejetée car trop tardive, le délai de préfix de deux mois ayant expiré le 1er décembre. La cour de cassation le confirme car le délai a bien commencé à courir le 1er octobre puisque le CCE disposait dès cette date d’informations lui permettant de mesurer l’importance de l’opération envisagée et de saisir le président du TGI s’il estimait ces éléments insuffisants.

Cette solution, conforme à l’article R2323-1 : « (le) délai de consultation du comité d’entreprise court à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le code du travail », rend vaine la tentation de laisser passer le temps pour aller plaider le fait que le délai n’a pas commencé à courir. Lorsque la transmission d’informations est précise et écrite même si non exhaustive, le CE doit réagir vite pour demander des documents complémentaires et une éventuelle prolongation du délai.

Au-delà de l’aspect juridique, le déroulement de cette affaire illustre les errements dans lesquels les rapports sociaux dans l’entreprise sont encore trop souvent enfermés. Pourquoi le CCE a-t-il attendu deux mois et demi pour agir en justice alors que le projet a été abordé dans plusieurs réunions du CE après le 1er octobre ? Pourtant, ce n’est que le 2 décembre qu’un mandat a été donné à un membre du CE pour agir en justice. Que penser d’un expert qui rend son rapport le 5 décembre, après l’expiration du délai de consultation ?

Les entreprises fermées au dialogue social ne manquent pas. Pourtant dans cette affaire, les éléments relevés par les juges laissent à penser que le CCE avait été mis en mesure de se faire un avis éclairé sur le projet de fusion.

On cherche en quoi le fait de tenter à grand frais – intervention d’un expert-comptable, d’un avocat, multiples réunions avec l’employeur, saisine de plusieurs juridictions, 2 ans de procédure - de faire perdre du temps à la direction aura contribué à l’« expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts ». Cette consultation sur un projet important n’a probablement pas produit de résultat concret qui soit profitable au corps social puisqu’aucun avis pertinent et argumenté n’a été rendu.

En cas d’action en justice, le juge doit rendre sa décision avant l’expiration du délai préfix

On peut dire, à la lecture du deuxième arrêt, que le délai préfix s’impose également au juge qui ne peut plus statuer sur une demande de suspension de la procédure si le délai de consultation a expiré au jour où il rend sa décision, même s’il a été saisi avant (Cass. soc., 21 septembre 2016, n°15-13.363).

Il faut donc qu’avant l’expiration du délai, le CE ait saisi le juge, décision qui lui appartient et qu’il a toute latitude de prendre très vite, mais aussi que celui-ci ait statué, évènement sur lequel il ne peut pas peser.

Cette règle est contraignante pour les CE, particulièrement pour les procédures de consultation « simples » pour lesquelles le délai est d’un mois. Comme le délai démarre dès la remise des informations, et non à la première réunion du CE pendant laquelle un mandat pour agir en justice peut être voté, le délai restant est très court. Or, à Paris, un référé d’heure à heure, prévu pour les cas d’extrême urgence, nécessite un délai de 15 jours.

Ces deux décisions paraissent dures pour les CE car limitant leurs moyens d’actions, sont-elles pour autant défavorables au dialogue social ?

Une autre lecture est possible si l’on considère que ces nouvelles règles donnent un cadre, connu de tous, dans lequel chacun doit pleinement jouer son rôle pour assurer l’effet utile de la consultation. Cela passe par un réel échange, substantiel et pas seulement formel, au cours duquel l’entreprise donne des informations, que les représentants du personnel analysent avant d’interroger l’employeur sur certaines modalités et les éventuels scénarios alternatifs, se faisant le relais des préoccupations de leurs collègues.

Le délai préfix ne saurait être la panacée pour l’émergence d’un vrai dialogue social, mais il dit que le débat entre partenaires sociaux doit porter sur le fond et pas sur les procédures.

Pour les représentants du personnel, il s’agit d’abandonner l’idée fausse selon laquelle leur seul moyen d’intervention possible est de jouer la montre et qu’un procès gagné contre la direction est forcément une victoire pour les salariés.

Coté employeur, cela suppose de jouer le jeu avec les instances en leur communiquant les éléments dont elles ont besoin, en répondant à leurs questions et en tenant compte de leurs contre-propositions qui peuvent utilement amender le projet. Il ne s’agit pas d’attendre que le délai expire pour se prévaloir d’un avis négatif par défaut. Voir le processus de consultation comme une simple étape formelle plus facile désormais à intégrer dans un retroplanning ne peut qu’en conduire certains à voir dans la querelle procédurale et judiciaire le seul moyen d’influer sur les décisions.

Dans ces nouvelles conditions, le besoin de célérité qu’ont aujourd’hui les organisations pour s’adapter ne serait, selon nous, pas incompatible avec le développement de l’influence des instances représentatives.

Magali Baré Consultante Cabinet IDée Consultants www.ideeconsultants.fr