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La fiducie au service des "start-up". Par Arnaud Touati, Avocat et Renaud Baboin.
Parution : lundi 19 juin 2017
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Une innovation au service du financement des start-up de technologies : La Fiducie transposition en droit français du trust anglo saxon, qualifiée de ‘reine des sûretés’ permet aux entreprises de technologie de sécuriser leurs financeurs.
La propriété des actifs immatériels (logiciels, marques, brevets) est transférée au nom du fiduciaire pendant la durée du financement au bénéfice des financeurs. Ces derniers en cas d’insolvabilité de la start-up disposent d’un droit prioritaire sur ces actifs, leur garantissant de ne jamais être évincés du projet.

Les sûretés réelles peu efficaces en droit français.

La culture française du droit des sûretés protège traditionnellement les entreprises de ses créanciers en cas de difficultés financières. Ainsi le bénéficiaire d’un nantissement, d’un gage ou d’une hypothèque découvrira à ses dépens en cas d’insolvabilité de l’entreprise que ces sûretés ne le protègent que fort peu.
En effet l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire gèle l’exercice des sûretés (article L622-21 du Code de Commerce), afin de laisser à l’entreprise toutes ses chances de trouver une solution de retournement. Le créancier sera obligé de participer aux plans de continuation avec l’étalement de sa créance sur dix ans, ou de consentir à des abandons de créances. En cas de liquidation intervenant des mois ou des années après le début de la procédure, la réalisation des actifs ne profitera que partiellement au créancier titré du fait de la préférence donnée aux créances privilégiées que sont les salaires, les charges sociales et les dettes fiscales.
La volonté de protéger les entreprises de ses créanciers part d’un bon sentiment qui se retourne contre les entreprises en général, les PME et les start-up en particulier, limitant l’offre de crédit aux seules entreprises offrant une très faible probabilité de défaut puisque les sûretés réelles ne sont pas efficaces.

La fiducie : une sûreté à l’épreuve des procédures collectives.

Introduite dans le droit français en 2007, la fiducie sûreté est un outil mis à la disposition des investisseurs et des entreprises permettant de constituer une sûreté efficace au regard des procédures collectives.
La fiducie est parfaitement décrite par l’article 2011 du Code civil : “La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires.

La force et l’originalité du texte résident dans ces trois points :
- En cas de défaut de paiement, l’actif fiduciaire est cédé par le fiduciaire sans procédure [1], le produit de cession versé au prêteur à hauteur de la dette garantie, le solde éventuel revenant à l’emprunteur.
- Le transfert des actifs du constituant au fiduciaire se fait en neutralité fiscale, c’est-à-dire qu’il ne déclenche pas de plus ou moins-values, les actifs étant transférés à leur valeur comptable.
- Enfin, le fiduciaire lui-même reçoit les actifs dans un patrimoine d’affectation auquel ses propres créanciers n’ont pas accès, ce qui permet de sanctuariser les actifs fiduciaires désormais imperméables à tous risques de crédit ou de défaut.

Le bénéfice pour le financement des start-up.

Les fonds d’investissement proposent des solutions sans cesse plus imaginatives pour financer les start-up sous forme de financement mezzanine comportant une forte composante de rémunération variable liée au développement et à la performance de la société.
Afin de limiter le risque élevé de ces opérations, la mise en fiducie de la propriété intellectuelle est particulièrement opportune.
En prenant l’exemple d’une société éditrice de logiciel, la propriété intellectuelle transférée en fiducie sera composée des éléments suivants :
- la marque, dont le transfert de propriété sera publié à l’INPI,
- le nom de domaine, dont le transfert de propriété sera publié chez le registrar, les contacts technique et administratif restant, pour des raisons pratiques, à l’emprunteur,
- les codes sources, qui seront déposés sur un compte ouvert par le fiduciaire auprès de l’agence pour la protection des programmes (APP), laquelle vérifiera après compilation qu’ils sont exécutables et conformes au produit final vendu au client. Les mises à jour feront l’objet d’un dépôt dans les mêmes modalités auprès de l’APP,
- les créances de royalties portant sur les licences présentes futures, qui seront cédées.

Une convention de jouissance et d’usage permettra à la société d’utiliser ces actifs pour poursuivre son activité, contre une rémunération qui sera perçue par le fiduciaire et affectée en paiement à l’investisseur.
Ainsi, en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, la suspension de la possibilité de céder l’actif fiduciaire tant que dure cette procédure n’est pas gênante, le prêt restant performant du fait de la rémunération perçue. Si un administrateur choisit de résilier la convention de mise à disposition, la cession de l’actif fiduciaire redevient libre.
La mise en place de la fiducie sûreté permet à l’investisseur de disposer d’un droit de priorité incontournable en cas d’insolvabilité de la société, puisque aucune solution ne peut lui être imposée.
L’activité pourra continuer, soit dans le cadre d’un plan de continuation ou d’une cession, soit de remboursement de l’investisseur, soit de prorogation de son financement dans des termes acceptables pour lui, soit encore dans le cas d’une liquidation dans laquelle les produits de cession lui seront attribués en priorité. Alternativement, l’investisseur pourra se faire attribuer l’actif fiduciaire sur la base d’une valeur d’expertise, charge à lui de reverser à l’emprunteur l’excès de valeur éventuelle par rapport au montant de sa dette garantie.
Dans tous les cas, l’organisation pratique du transfert fiduciaire au travers de l’APP, de l’INPI et des autres registres facilitera la cession à un repreneur qui disposera de ces actifs d’une façon directement utilisable.
S’agissant des créances commerciales, le transfert en fiducie est opposable aux tiers, c’est à dire aux créanciers de l’entreprise dès la date de cession, et aux débiteurs cédés dès la notification de la cession. Ceci permet une cession juridiquement efficace, sans perturbation des relations commerciales, les clients n’étant notifiés de la cession qu’en cas d’événement de défaut.

De la distinction entre possession et dépossession.

Dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, les effets de la fiducie seront plus ou moins atténués, voire complètement inhibés, selon que le constituant reste ou non en possession des biens transférés dans le patrimoine d’affectation.
En effet, si le constituant conserve l’usage et la disposition des actifs, c’est probablement qu’ils sont indispensables au maintien de l’activité de la société en difficulté. Dans ce cas bien précis, la sûreté sera privée d’effet pendant toute la durée de la période d’observation et d’exécution du plan.
Inversement, lorsque le constituant est dépossédé des biens, la fiducie reste pleinement effective et son bénéficiaire pourra en requérir la réalisation à son profit.
Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une procédure de liquidation judiciaire, le raisonnement dualiste présenté ci-dessus ne trouve plus à s’appliquer car vidé de son intérêt. Le bénéficiaire aura ainsi la possibilité de réaliser sa sûreté dès la publication du jugement d’ouverture de la procédure de liquidation et surtout d’être payé en priorité sur la vente des actifs, y compris face aux créanciers privilégiés Même une convention d’usage ou de jouissance décidée antérieurement n’aura pas d’effet sur la mise en oeuvre de la sûreté.

Conclusion.

La fiducie sûreté peut apparaître comme très contraignante pour les emprunteurs, du fait de son efficacité en cas d’insolvabilité. Elle présente en fait une extraordinaire opportunité en redonnant aux fonds confiance dans les protections dont ils peuvent disposer en investissant en France. A ce titre plusieurs fonds de venture étrangers interviennent à nouveau sur le marché français grâce à la fiducie-sûreté qui les rassure.

Arnaud Touati Alto Avocats www.altoavocats.com Avocat Associé - Barreaux de Paris et de Luxembourg Membre de l'Incubateur du Barreau de Paris Renaud Baboin Président de Solutions Fiducie www.solutionsfiducie.fr

[1Lorsque l’actif fiduciaire est laissé à la disposition de l’emprunteur, en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde la cession par le fiduciaire de l’actif est différée tant que dure cette procédure. En cas de conversion de la sauvegarde en redressement ou liquidation judiciaire, la cession de l’actif redevient libre. Dans tous les cas aucun créancier même privilégié ne sera préféré au prêteur fiduciaire.

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