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Crédit immobilier : encadrement de l’obligation de domicilier les revenus de l’emprunteur (Ordonnance 2017-1090 du 01 juin 2017). Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : mardi 20 juin 2017
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Le fait qu’un établissement bancaire conditionne l’octroi d’un prêt à la domiciliation du salaire de l’emprunteur sur un compte de dépôt ouvert dans ses livres a toujours été une source de contradictions entre les professionnels du droit. Certains voyaient en ce procédé une logique résidant dans le fait de regrouper l’ensemble des données et produits bancaires au sein d’un même établissement. D’autres au contraire, interprétaient cette clause comme étant « abusive » car forçant la volonté du consommateur.

Le débat trouve enfin son issue avec l’Ordonnance 2017-1090 du 1er juin 2017 s’inscrivant dans le cadre de la loi Sapin II, venant encadrer le respect des dispositions de l’article L. 312-1-2 du Code monétaire et financier, à savoir les conditions dans lesquelles la souscription par un consommateur d’un contrat de crédit immobilier ainsi que le niveau de son taux d’intérêt peuvent être conditionnés à l’ouverture d’un compte de dépôt et à la domiciliation du salaire de l’emprunteur.

L’objectif du législateur est de venir combler un vide juridique sans bouleverser l’environnement puisqu’il vient encadrer une pratique bancaire courante tout en prenant en considération l’indispensable protection du consommateur.

Ainsi l’article 3 de l’ordonnance vient prévoir la possibilité pour une banque de conditionner une offre de prêt à l’ouverture d’un compte de dépôt avec domiciliation obligatoire du salaire, et cela pour l’ensemble des offres émises à compter du 1er janvier 2018 mais aussi aux avenants modifiant les contrats conclus à la suite de ces offres. Toute clause par laquelle la banque conditionnera l’octroi du prêt à la condition de domiciliation sans contrepartie d’un avantage individualisé sera réputée non écrite, ainsi que les clauses ne limitant pas l’application de domiciliation à la durée du prêt.

La protection du consommateur réside en plusieurs points :

D’une part, cette pratique rendue officiellement possible pour les banques doit impérativement être assortie d’un avantage individualisé pour l’emprunteur comme par exemple l’octroi d’un prêt avec application d’un taux d’intérêts particulièrement bas ou encore la gratuité des frais de dossier.

D’autre part, l’offre de prêt devra obligatoirement mentionner si le prêt est subordonné à la condition de domiciliation. Si cela est le cas, le détail de cette domiciliation devra être précisé sur l’offre qui indiquera la durée de la domiciliation, la contrepartie proposée par l’établissement ainsi que les risques pour le consommateur en cas de non-respect de son engagement. Nous retrouvons ici ni plus ni moins qu’un mélange de l’obligation d’information classique telle qu’elle est applicable en droit de la consommation et l’obligation d’information spécifique à la matière bancaire.

Si la protection du consommateur est notable et assortie d’un avantage financier, l’encadrement tel qu’il est envisagé n’est pas sans nous rappeler les contrats d’engagement téléphonique au travers desquels les consommateurs peuvent obtenir un nouveau smartphone à moindre coût à condition de souscrire pendant un délai minimum un abonnement bien précis. Même si l’abonnement reste résiliable et dans des conditions plus favorables depuis la loi Chatel, il n’en reste pas moins que de nombreux consommateurs ne résilient pas leur abonnement sous peine de devoir payer une certaine somme d’argent qui raisonne comme étant un véritable obstacle à la liberté du consommateur.

En l’espèce, l’ordonnance précise effectivement que l’avantage consenti par l’établissement bancaire sera valable pendant toute la durée du prêt, autrement dit jusqu’à son complet remboursement. Si toutefois, l’emprunteur décidait de domicilier son salaire sur un autre compte de dépôt au sein d’une autre banque, l’établissement prêteur sera en droit de mettre fin immédiatement aux avantages octroyés. Or, l’application d’un taux d’intérêts particulièrement pas ne doit-elle pas être considérée comme une information précontractuelle déterminante du consentement ? Probablement, mais le consommateur ayant eu toutes les informations en amont ne saurait se prévaloir d’un vice du consentement diront certains praticiens. Dans ce contexte quid de la révision pour imprévision ? (Notamment en cas de déménagement pour des raisons impérieuses telles que le travail ou la santé)

Alexandre Peron Legal Counsel