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Contract management : l’approche systémique pour gérer l’incertitude et la complexité...
Parution : mercredi 21 juin 2017
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Le Contract Management semble aujourd’hui bénéficier d’une définition officielle « l’activité qui consiste à développer et contrôler le cycle de vie d’un contrat complexe, de la phase d’initialisation jusqu’à son terme, par la coordination systématique et méthodique des ressources et des processus utiles à la maîtrise des risques et à l’optimisation financière ».
Si les profils (avocats, juristes, ingénieurs…) et les compétences techniques (spécifiques au secteur d’intervention) du contract manager peuvent apparaître variés, les outils qu’il utilise dans le processus de contract management sont bien souvent les mêmes : la sensibilisation contractuelle, la gestion des risques, des changements, le suivi de la communication, la résolution de conflit, le pilotage des livrables, l’administration des données sensibles, les leviers commerciaux… Et enfin la clôture du contrat avec la mise en place de "check-lists".
Cependant les approches peuvent être différentes.

L’approche collaborative vise à pacifier et/ou tempérer l’aspect émotionnel dans le but de maintenir ou de rétablir le dialogue et ouvrir la voie à une construction collaborative de la relation contractuelle ou en cas de rupture ponctuelle de la relation, à mettre en place une négociation collaborative.

Différents outils sont à la disposition du contract manager qui aura été formé en conséquence pour les mettre en application de façon efficiente.
La maîtrise de la maïeutique, des enseignements de la communication (communication non violente, l’analyse transactionnelle ou la PNL avec la technique de recadrage pour transformer la perception de la réalité), l’Ennéagramme ou le MBTI (pour identifier le profil de ses interlocuteurs), la Process Com® (pour réduire les difficultés de communication) la psychologie cognitive (qui permet de comprendre l’acquisition, l’organisation et l’utilisation de nos connaissances), l’approche systémique (pour décoder les situations complexes) et bien d’autres encore … pourront constituer des supports de choix pour assumer ce rôle légèrement décalé du contract manager « facilitateur » de ce que l’on estime être sa fonction première jusqu’à l’aboutissement du processus : un accord entre les différents acteurs de la relation contractuelle.

L’accord pourra d’ailleurs être facilité en aval (une fois le conflit latent) par la maîtrise de processus utilisés dans le cadre des modes alternatifs au règlement des litiges : médiation, droit collaboratif, ou encore convention participative …

Dans le cadre de cet article, je vous propose d’aborder l’une des visions de l’approche collaborative du contract manager : l’analyse systémique, qui associe, tous les éléments et tous les acteurs du cycle contractuel dans leur ensemble les uns vis-à-vis des autres mais aussi dans leur rapport à l’ensemble.

Le schéma de causalité linéaire classique n’étant pas considéré comme opérant pour rendre compte du fonctionnement d’un ensemble (qu’il s’agisse d’un être vivant, d’une organisation sociale ou encore d’un système), il faut adopter un schéma de causalité circulaire.

Pour rendre compte de la complexité, la systémique impose l’appréhension concrète de concepts qui lui sont propres : vision globale, système, niveau d’organisation, interaction, rétroaction, régulation, finalité, évolution.

Afin d’appréhender cette approche systémique de façon pragmatique, je vous propose de revenir sur les différents concepts au travers de l’exemple ci-dessous tiré d’un cas réel d’intervention d’un contract manager dans un projet complexe en décryptant le contexte situationnel (1), en dégageant corrélativement les principes (2), en examinant leur mise en œuvre (3) et l’issue et les résultats obtenus (4), pour enfin en tirer les enseignements (5).

1. Contexte situation d’une approche collaborative.

En ma qualité d’avocat intervenant en contract management in house au sein de sociétés intervenant dans des projets internationaux, j’ai eu l’occasion d’appliquer avec succès cette approche collaborative reposant sur une vision systémique.

Dans le cadre d’un pré-contentieux ancien concernant un contrat international d’Engineering, Procurement, Construction (E.P.C.) soumis à la Common law, j’ai été amené à intervenir en déployant à nouveau cette approche globale.
Un certain nombre de « claims » avaient été formulées sans succès et le relationnel entre les parties ne cessait de s’aggraver au fil des échanges. Les parties restaient arc-boutées sur leurs positions respectives et aucune négociation ne semblait pouvoir intervenir.

Après une analyse classique de la gestion des risques, les montants financiers importants m’ont conduit à élargir le champ des différents acteurs au sein de la société : Directeur du contract management (qui m’avait mandaté) et ses équipes, directeur de la construction et ses équipes, Service procurement, DAF … aux fins de générer un questionnement global et un recadrage des acteurs de ce contrat mais aussi plus largement des 2 parties contractantes, sur leur posture ainsi que sur les outils utilisés par les parties pour avancer dans la co-construction d’une solution de sortie du conflit.

L’objectif de cette phase était de permettre aux parties de regarder ensemble la « même réalité », qui était en apparence inconciliable lorsque j’ai été saisi du dossier.

Pour cela, j’ai invité ma cliente à accepter l’idée que chacune des parties devait mandater un avocat afin de préserver la confidentialité des échanges et permettre aux avocats de travailler ensemble à la présentation de cette réalité à leurs clients lors d’un rendez-vous physique et selon les principes du droit collaboratif.

Depuis ma formation en droit collaboratif au sein de l’AFPDC (Association française des Praticiens du Droit Collaboratif), j’utilise fréquemment ce processus qui fait appel à de nombreux outils comme la négociation raisonnée ou la PNL.
Il s’agissait alors à ce stade d’établir un audit sur la situation des parties, qui va prendre en considération tous les points qui formeront l’accord final, notamment les critères objectifs (loi, jurisprudence, ce qu’un arbitre déciderait, la tradition, les usages …), qui devaient être acceptés par l’ensemble des personnes en négociation.

Lors de cette phase, les contract manager présentent toutes les hypothèses juridiques possibles pour ce dossier et les incidences pratiques étudiées de concert avec les différentes équipes de chaque société (DAF, Procurement, Chef de projet ….).

Il s’agit de comprendre la réalité des parties dans leur globalité, sans s’arrêter aux seules réponses juridiques.

Cette phase prend fin lorsque les parties sont d’accord pour considérer qu’elles ont eu toutes les informations matérielles, juridiques, financières qui leur sont nécessaires pour effectuer un choix éclairé.

Si le travail en amont été bien fait par le contract manager, le constat établi à cette phase permet de passer à la suivante pour construire une solution commune en appliquant les principes de l’approche collaborative sur un mode systémique.

2. Les principes pouvant être dégagés de cette approche.

Cette approche collaborative axée sur l’analyse systémique, est centrée sur le contexte relationnel et j’ai insisté sur ce point auprès de ma cliente et des différents intervenants internes impliquées dans ce conflit.

En outre, l’aspect systémique est une approche centrée sur les interactions de la personne avec les individus des différents systèmes auxquels il appartient.
Le paradigme systémique suggère une décentration de l’individu isolé pour s’intéresser, avant tout, au contexte relationnel dans lequel celui-ci interagit.

Cela permet une vraie collaboration en interne et un véritable esprit d’émulation et de solidarité pour contribuer à la construction d’une solution pérenne pour l’entreprise, tout en respectant la segmentation des besoins en information.

Après avoir identifié les différentes parties prenantes en interne, j’ai pu mettre en place des synergies internes pour résoudre des problématiques et déterminer une stratégie comprise et acceptée par tous en raison de l’appréhension systémique.

Illustration :

« Ma cliente A. a fait ça, donc son partenaire contractuel B a réagi ainsi. » : logique de causalité linéaire simple.
L’approche systémique adopte une perspective circulaire des interactions, laquelle permet de saisir les dimensions de co-responsabilisation et de co-construction de chaque évènement.
Ainsi, j’ai cherché à comprendre ce qui chez B avait pu motiver l’action de ma cliente, qui avait généré la réaction de B, et identifier ce qui peut être modifié dans la manière de B d’interagir avec A pour ne plus générer ce comportement chez A et donc éviter la réaction de B. Il ne s’agissait donc pas d’opérer un changement de B mais de modifier son mode d’interaction avec A, dans ce contexte précis. De ce fait, on comprend que le modèle systémique est non-déterministe, non normatif. Il ne « typologise » pas.

Exemple : en Process Com, vous êtes « typologisé » « travaillomane » etc..
En logique systémique, c’est le contexte qui détermine le mode de fonctionnement de la personne, pas sa nature. Elle peut être « travaillomane » ici dans ce certain contexte, et pas du tout dans un autre contexte.
C’est une approche stratégique de la résolution de problème .

Le contract manager systémicien cherche à s’écarter de la logique de causalité linéaire du client pour la replacer dans une vision plus globale, interactionnelle, afin de mieux percevoir les tenants et aboutissants de la situation.

3. Mise en oeuvre de ces principes.

Dans cette perspective, je vous propose de retracer les étapes de mise en œuvre de l’approche collaborative systémique ayant permis de résoudre le blocage situationnel.

En ma qualité de contract manager, j’évoque alors une stratégie d’intervention et propose des manières plus fécondes d’appréhender la problématique.

Je les invite donc à porter un regard particulier sur :

les séquences interactionnelles entre les parties (qu’a-t-il dit, qu’avez-vous dit, qu’a-t-il répondu ... à l’appui le cas échéant des échanges de correspondances pré-contentieuses)
la notion de contexte, ici et maintenant, sans tirer de généralités.

De ce fait, j’adopte une posture active et directe sur l’objectif et sa démarche. J’ai questionné, recadré et prescrit des tâches afin de progresser dans la stratégie d’intervention.

C’est une approche minimaliste et centrée sur le paradoxe.
Elle est minimaliste, c’est-à-dire qu’on va chercher à faire le minimum pour obtenir le maximum de changement, ce qui est très original, en décomplexifiant le problème. Pour introduire un changement dans un système, il est plus facile d’agir sur l’élément du système qui est le plus loin de son point d’équilibre (homéostasie que connaissent les contract managers aguerris).
Dans mon analyse du contexte, j’ai donc tenté d’identifier l’élément le plus « facile » à bouger pour générer le changement au sein du système entier (retour à l’homéostasie).

Elle est centrée sur une intervention paradoxale d’arrêt des tentatives de solutions, c’est-à-dire tous les comportements ou pensées, tous les messages envoyés à l’autre ou que le client s’envoie à lui-même pour atteindre son objectif et qui ne fonctionnent pas. Mon rôle de contract manager a donc amené mon client progressivement, par ses interventions « en sens contraire » de ses tentatives de solutions, à envisager de nouvelles solutions et avancer vers son objectif en consultant toute les parties prenantes internes.

A cet effet, je n’ai pas hésité à évoquer des services non identifiés par mon client, comme le département d’ingénierie financière par exemple.

C’est donc bien une approche fondamentalement constructiviste et collaborative tant en interne, qu’en externe. L’aspect collaboratif est d’autant plus facilité que l’analyse est systémique.

Selon la théorie constructiviste, il existe deux types de réalité :
- la réalité de premier ordre, indiscutable : « Le feu est rouge. » ;
- la réalité de second ordre, issue de notre interprétation de la réalité de premier ordre, qui s’appuie sur nos apprentissages et nos expériences propres : « Je peux traverser (car c’est ce qu’on m’a appris). » ou bien « je ne l’ai pas encore appris et ce rouge ne signifie pas la même chose pour moi. ».

La théorie du constructivisme considère donc que l’individu est acteur et constructeur de sa réalité. Il lui est donc possible de la modifier lorsque celle-ci n’est pas aidante. En ce sens, c’est l’efficacité de la réalité qu’il faut chercher plus que la vérité.

Le travail du contract manager consiste, à travers son écoute et son questionnement, à comprendre comment le client se construit sa réalité, et d’évaluer si celle-ci est de nature à mobiliser ses énergies ou au contraire bloque sa progression vers son objectif.

Le contract manager peut alors, opérer un recadrage, proposant au client un autre point de vue compatible avec les faits mais plus aidant pour lui.

4. Issue et résultat obtenus.

Issue et résultats obtenus grâce à la mise en œuvre de l’approche systémique ainsi que les gains pour les parties impliquées dans la situation.

Dans cette illustration, on est passé de la perspective d’un arbitrage international CCI, long, coûteux (avec les aléas inhérents à une telle procédure), à la compréhension par chaque partie de son intérêt et de celui de l’autre qui se cachait derrière chaque position respective de l’autre, pour parvenir à un accord conventionnel satisfaisant pour les deux parties.

Pour résumer :
- C’est une approche stratégique de la résolution de problème, avec une posture active et directe de l’intervenant sur l’objectif et sa démarche ;
- Elle est fondamentalement constructiviste ;
- Elle est minimaliste, faire le minimum pour obtenir le maximum de changement, ce qui est très original, en décomplexifiant le problème ;
- Elle est centrée sur une intervention paradoxale, l’arrêt des tentatives de solutions.

5. Enseignements.

Quels enseignements ont été tirés de cette expérience par les tiers impliqués dans la situation ? Comment pourra être valorisé cet enseignement à l’avenir ?

Afin d’être en mesure de parvenir à un accord sage et pérenne, il est nécessaire de connaître, voire d’utiliser des techniques de communication propices à l’élaboration de cet accord.

Il s’agit de :

- Accueillir les émotions ;
- La communication, la base des interactions ;
- L’écoute active, la reformulait ;
- La négociation raisonnée.

Vous pourrez reconnaître les principes développés en Communication non violente, en PNL …

Ma cliente a compris qu’il fallait séparer la relation du différend. Dans la négociation traditionnelle, on confond trop souvent la personne avec le problème. Cela donne des résultats affligeants tant pour les négociateurs dits durs qui, obsédés par le fait d’atteindre leur objectif et de gagner, n’hésitent pas à abîmer l’autre sans tenir compte des conséquences à court, moyen ou long terme.

Les négociateurs doux au contraire sont considérés comme des faibles qui cèdent parce que la paix n’a pas de prix mais leur degré de frustration sera à la mesure de leur ressentiment. Et parfois de leur vengeance.
En négociation raisonnée, on va chercher à être respectueux avec les individus et ferme avec l’objet du différend.

L’analyse systémique apprend à « séparer le bon grain de l’ivraie » en comprenant l’enjeu supérieur. Dans ce cas d’espèce, le projet a pu être maintenu sur de nouvelles bases transparentes et efficientes.

La partie co-contractante a su tirer les mêmes enseignements selon les échanges tenus ultérieurement avec la partie adverse.

La seule limite à cette méthode collaborative est d’avoir un interlocuteur également sensible à cette méthode collaborative assise sur une vision systémique.

J’invite ainsi les différents praticiens à découvrir ces différents processus, à s’y former pour ensuite se forger une boîte à outils qu’ils pourront utiliser avec efficience.

Soyons novateurs … Et audacieux !

Philippe GERARD Avocat à la Cour Contract Manager certifié, Médiateur certifié et Consultant certifié en communication de crise
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