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PMA, GPA, pourquoi il est nécessaire que la loi reconnaisse le parent d’intention. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : jeudi 22 juin 2017
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L’objet de cet article n’est pas de faire une chronique militante mais bien de prendre acte de faits et de leurs conséquences juridiques qui font clairement apparaître la nécessité de reconnaître légalement le parent d’intention.

Au fur et à mesure de l’évolution des techniques médicales, la relation à la parentalité a changé.

Le fait que la médecine donne des choix là où auparavant l’être humain devait se plier à la nature a clairement modifié notre rapport à la parentalité. L’évolution technique et biologique a précédé l’acceptation morale.

Ainsi la contraception, aujourd’hui totalement entrée dans les mœurs, était-elle interdite jusqu’en 1967 et l’adoption de la loi l’autorisant, la loi Neuwirth, a fait l’objet en son temps de débat houleux au Parlement.

Le traitement de l’infertilité a lui aussi évolué, les premiers « bébés éprouvette » (qui se souvient même de ce surnom), naissant au début des années 1980.

Contraception, traitement des infertilités, PMA, GPA… il y a aujourd’hui de nombreuses possibilités de décider d’avoir ou non un enfant, quand et avec qui en s’éloignant des ukases de mère nature.

En introduisant dans notre droit les possibilités de FIV, don d’ovule et don de sperme, le législateur a, de facto, reconnu l’importance du désir d’enfant et légitimé le recours à la science et à une forme de fiction dans la filiation.

Ainsi un couple hétérosexuel infertile qui fait un enfant via une PMA en France avec don de sperme ou d’ovule verra sa parentalité inscrite dans le marbre alors que génétiquement c’est une fiction.

Ce faisant, le législateur, en creux et sans même s’en apercevoir, a créé une sorte de droit à l’enfant.

Comment dès lors s’étonner que les personnes qui n’entrent pas dans le cadre légal de l’assistance à procréation dans notre pays aillent dans d’autres pays pour satisfaire ce désir impératif d’enfant.

Cette évolution n’est nullement spécifique à la France et de nombreux pays européens ont globalement suivi la même courbe. Certains autorisent la PMA et la GPA d’autres non, les cadres sont différents mais l’évolution sociétale est clairement présente.

Il est dans ces conditions déraisonnable d’arguer de l’éthique pour s’opposer à ces évolutions ; chaque pays évolue librement en fonction de sa morale sociale mais il me semble en toute honnêteté exclu de considérer nos voisins comme non éthiques…

Ce désir d’enfant amène de nombreux couples à avoir recours à toutes les solutions possibles, légales ou non, pour avoir un enfant qui soit a minima biologiquement de l’un d’entre eux.

Lorsque la situation personnelle ou médicale ne permet pas d’avoir recours légalement l’aide à la procréation en France, les couples se tournent alors vers des solutions alternatives.

Le point commun de ces couples est la volonté commune d’avoir un enfant et de l’élever ensemble, volonté d’ailleurs bien plus affirmée que pour les conceptions sans aide médicales…

Il en ressort qu’à la naissance de l’enfant, l’un des membres du couple est parent biologique tandis que l’autre est parent d’intention.

Les solutions les plus couramment employées par ces couples sont :
- La PMA faites frauduleusement en France, parfois avec l’aide d’un gynécologue compatissant et de donneurs volontaires parfois contre rémunération (ce qui est illégal).
- La PMA à l’étranger, de nombreux pays proches l’autorisant et permettant l’anonymat du donneur de sperme.
- La GPA à l’étranger, légale dans certains pays la GPA est assortie d’un contrat valable dans ledit pays (mais pas en France) prévoyant que la mère porteuse n’est aucunement considérée comme la mère de l’enfant et qu’elle renonce à tous droits sur l’enfant. Lorsqu’il y a don d’ovocytes, la donneuse est une autre femme, qui reconnaît également n’avoir aucun droit.

La situation actuelle de ces couples au regard du droit du parent d’intention est synthétiquement la suivante (quoiqu’évolutive puisque notamment jurisprudentielle) :

A la naissance de l’enfant, le parent d’intention n’a aucun droit sur l’enfant avec lequel il n’a pas de lien juridique. Cela a pour conséquences qu’il n’est légalement rien pour lui. Il n’a donc ni autorité parentale ni droit spécifique d’avoir des relations avec l’enfant, sauf décision de justice.

Lorsqu’un couple met en place une PMA hors le cadre légal,
- soit il s’agit d’un couple hétérosexuel et l’homme fait une fausse déclaration de paternité, ce qui est illégal, voire risqué (cf article précédent sur la reconnaissance de paternité),
- soit l’enfant n’est légalement que celui de la mère biologique et n’a aucun lien juridique avec l’autre membre du couple, pourtant parent d’intention.

La solution offerte par la loi est l’adoption judiciaire. Pour ce faire le couple doit impérativement se marier et le parent d’intention doit faire une demande d’adoption de l’enfant du conjoint. Le parent biologique doit autoriser cette adoption et le tribunal a toute latitude pour accepter, ou pas, l’adoption. Très majoritairement cette adoption est accordée.

Lorsqu’il s’agit d’une GPA, seul le parent biologique est reconnu par l’état civil (en l’état de la jurisprudence) et le parent d’intention n’a aucun droit. La capacité du parent d’intention à obtenir l’adoption (qui nécessite quoi qu’il en soit le mariage et l’autorisation du parent biologique) était jusque récemment très faible, toutefois les arrêts de la Cour de Cassation du 5 juillet 2017 ouvrent la porte de l’adoption même en cas de GPA ainsi que je l’explique dans cet article.

Le décalage entre le droit et une évolution sociétale créée nécessairement une multiplication des situations difficiles, chacun essayant d’adapter ses choix à ses besoins sans pour autant que les outils juridiques correspondent parfaitement.

Il est aberrant, et c’est pourtant ce que fait la loi actuelle, d’ignorer que cette fraude à la loi, quelle qu’elle soit (PMA, GPA) a pour conséquence la naissance d’un enfant, personne différente de ses parents, qui a des droits en tant que tel, que l’on ne saurait méconnaître.

Cela est d’autant plus vrai que ces dernières décennies ont vu apparaître les droits de l’enfant qui ont évolué vers une sorte de primauté juridique.

Il n’est pas inintéressant à ce titre de rappeler que jusqu’en 1972 un enfant adultérin ne pouvait pas voir reconnu sa filiation adultérine, la situation était intenable et à heureusement été modifiée.

Aujourd’hui c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer dans les décisions le concernant et le juge aux affaires familiales à l’obligation d’en faire son critère impératif, le juge pour enfant doit le protéger et le tribunal plus généralement aussi, c’est par exemple l’un des éléments des décisions concernant son adoption ou les reconnaissances et contestations de paternité.

La convention de New York, dont la France est signataire nous contraint à en faire un principe fondateur.

Il est dans ces conditions légitime et nécessaire de se demander quelles sont les conséquences de l’absence de reconnaissance du parent d’intention au regard des droits de l’enfant. C’est d’ailleurs à ce titre que la France a été déjà à plusieurs reprises condamnée.

Mais nonobstant la problématique juridique créée par la confrontation des diverses normes, d’autres difficultés se font jour. En effet, les parents se trouvant dans une situation soit d’illégalité soit de marge de la légalité, sont contraints pour faire face au quotidien, de trouver des expédients qui, tous, ont des conséquences potentielles sur la vie de l’enfant.

Ces couples, comme tant d’autres, connaissent crises et séparations, qui font alors apparaître des difficultés complémentaires au regard des droits de l’enfant et de ses relations avec le parent d’intention.

Lorsque le parent d’intention n’a aucun droit envers l’enfant, cela revient à mettre l’enfant en danger au moins psychologique si pour une raison ou une autre il y a rupture (ou accident grave, ou décès) d’avec le parent biologique.

C’est d’ailleurs la préoccupation de nombreux couples dans cette situation qui s’inquiètent de leurs droits en cas d’accident ou de décès du conjoint biologique, l’enfant n’ayant aucun lien de droit avec le parent d’intention comment celui-ci pourra agir au quotidien avec l’enfant ?

Légalement l’enfant a des liens avec les grands parents légaux (donc les grands parents biologiques). Si un désaccord fort existe entre eux et le parent d’intention, ils peuvent alors décider de rompre les ponts et d’empêcher les relations.

Séparation ou crise grave dans le couple avant l’adoption : le parent biologique peut librement, sans avoir à se justifier, refuser de donner l’autorisation à son conjoint d’adopter l’enfant, de même qu’il peut revenir sur cette autorisation dans les deux mois de sa signature ou tout simplement refuser de se marier. Le parent d’intention se trouve donc dénué de tout droit et peut être coupé de relations avec l’enfant.

Dans ces deux cas, la seule solution du parent d’intention est de saisir le juge aux affaires familiales en qualité de tiers pour avoir des droits mais en attendant la décision, qui peut prendre du temps, il n’a aucun droit et n’a pas non plus d’autorité parentale. De ce fait le titulaire de l’autorité parentale, par nature exclusive, peut faire ce que bon lui semble et quitter le pays ou déménager loin, sans compter le fait qu’en tant que titulaire de l’autorité parentale, il prend seul toutes les décisions concernant l’enfant (santé, religion, scolarité, éducation....)

De tels risques poussent certains parents d’intention à avoir une attitude frauduleuse pour éviter de se voir refuser l’adoption. Ainsi certains peuvent être amenés à se marier alors même qu’ils ont déjà décidé de se séparer et à cacher cette volonté y compris à leur conjoint. Bien entendu s’il le découvre, la déconvenue du conjoint sera considérable et de nature à rendre les relations du couple séparé particulièrement conflictuelle, ce qui ne peut qu’avoir des conséquences négatives sur l’enfant.

C’est cette même volonté de limiter les risques de difficultés qui poussent certains pères d’intention à faire de fausses déclarations de paternité aux services de l’état civil. Outre leur illégalité, ces fausses déclarations peuvent être annulées a posteriori, dommages intérêts à la clé et la rupture avec l’enfant est alors consommée.

La volonté des parents d’intention est d’être réellement parent, d’en prendre la responsabilité, la charge et d’en assumer toutes les conséquences morales et financières. Dans la réalité c’est effectivement ce qui se passe et l’enfant est élevé au quotidien et à égalité par ses deux parents qui lui fournissent amour et assistance et prennent ensemble les décisions le concernant.

Lorsqu’un accident, un décès ou une rupture vient remettre en cause cet équilibre familial, c’est l’enfant qui va en payer les conséquences.

C’est en effet l’enfant qui va subir de plein fouet une séparation incompréhensible avec le parent d’intention qui, pour lui, est son parent, tout simplement.

Les difficultés relationnelles, qu’elles soient au sein du couple ou de la famille sont créatrices trop fréquemment de grandes violences intrafamiliales dont les enfants sont souvent les victimes.

Le fait que l’un des parents soit sans droit et que l’autre soit seul reconnu légalement créée artificiellement au sein de la famille un déséquilibre légal lourd de conséquences à la fois au quotidien et en cas de séparation.

Ces conséquences ne concernent pas que le parent d’intention et sont loin d’être un pur élément juridique. Il s’agit de l’enfant. Car c’est l’enfant qui peut ainsi se voir privé du droit, qui lui est par ailleurs reconnu, d’avoir des relations avec ses deux parents, or pour lui ses parents sont ceux qui l’ont voulu, ont mis en place ensemble sa conception, l’élèvent depuis sa naissance.

Le fait que les parents d’intention ayant eu recours à la GPA ont un mal considérable à se faire reconnaître puisque l’adoption comme la transcription de l’état civil leur sont refusés la plupart du temps, rend ce risque très élevé. En effet le temps multiplie les potentialités de problème, que ce soit du fait d’un accident, d’un décès ou d’une séparation (statistiquement probable).

Comment conjuguer la volonté de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est au centre de notre droit familial et le refus de reconnaître ses droits à avoir ses deux parents ?

La reconnaissance légale du parent d’intention mettrait un terme à ces difficultés récurrentes.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com