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Etre parent après la mort. Par Aurélie Thuegaz, Avocat.
Parution : vendredi 23 juin 2017
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Les dernières décennies ont vu la réalisation de progrès majeurs dans le domaine de la recherche et des sciences médicales, ces bouleversements plaçant au premier plan la question de la procréation post mortem.

De nombreux faits divers rapportés dans les médias illustrent régulièrement ces situations de parenté post mortem. Pour n’en citer que quelques-uns, en 2015, en Australie, des médecins ont pu prélever le sperme d’un homme décédé depuis 48 heures afin d’inséminer sa veuve, qui a ainsi donné naissance à un bébé en bonne santé. L’année dernière, aux États-Unis cette fois, une femme de 60 ans a pu récupérer les ovocytes congelés de sa fille décédée en 2011 des suites d’un cancer afin de devenir mère porteuse de sa fille défunte, la haute cour ayant estimé que cette dernière n’avait aucune obligation d’exprimer son consentement par écrit avant sa mort. Dans le même esprit, la famille d’une jeune femme plongée dans un état critique, proche de la mort, avait demandé à ce qu’on lui prélève des ovocytes afin qu’elle puisse devenir mère, de façon posthume. Enfin, les médias rapportent depuis plusieurs années des cas de maternité posthume dans lesquels les fonctions vitales cardiaques et respiratoires de femmes en état de mort cérébrale sont maintenues jusqu’à l’accouchement par césarienne. Il est en effet possible de garder un fœtus en vie in utero de dix à vingt semaines pour permettre son développement.

Ces diverses situations de parentés posthumes, considérées aussi bien du point de vue de la maternité que de la paternité, entraînent inévitablement de vives réactions et ce débat relatif aux aspects éthiques de la procréation médicalement assistée post mortem est de plus en plus prégnant et polémique, y compris en France.

En droit français, la règle est que toute procréation post mortem est interdite sur le fondement des dispositions du Code de la santé publique (article L. 2141-2), et ce pour deux raisons. D’une part, car une telle utilisation de la procréation médicalement assistée ne concerne à l’évidence pas l’infertilité du couple, condition exigée par le texte. D’autre part, car ce texte vise précisément un homme et une femme « vivants ».

L’un des principaux arguments soulevés pour justifier cette interdiction se situe au niveau de l’éthique : il s’agit de l’intérêt de l’enfant. La procréation post mortem est en effet accusée de créer des orphelins, de donner naissance à des « fils de mort », ou à des « enfants nés du deuil », ce qui serait contraire à l’intérêt de l’enfant car facteur de déséquilibre psychologique. Cet argument peut toutefois être nuancé dans le sens où, d’une part, l’intérêt de l’enfant est un terme très subjectif dont chacun peut avoir une conception différente de ce qui est bon ou mauvais pour l’enfant, et d’autre part, les familles monoparentales dans lesquelles la mère élève seule son enfant, par choix ou non, ne sont plus rares dans nos sociétés contemporaines.

Malgré cette interdiction de principe, le débat sur la légitimité d’une parenté posthume a été relancé en France suite à une décision du Conseil d’État. En effet, le 31 mai 2016, les juges ont permis à une veuve espagnole d’exporter les gamètes de son mari décédé d’un cancer vers un établissement de santé espagnol qui peut pratiquer des opérations de procréation médicalement assistée post mortem, cette technique médicale étant autorisée en Espagne.

Si certains ont pu voir dans cette décision une première fissure dans le refus du droit français de pratiquer la procréation post mortem, il convient néanmoins de relativiser la portée de celle-ci. Tout d’abord, il s’agit simplement d’une action en référé et le Conseil d’État n’a pas estimé que les textes du Code de la santé publique étaient contraires à la Convention européenne des droits de l’homme. Il a uniquement basé sa décision, en tant que juge des référés, sur l’ingérence éventuellement disproportionnée dans les droits garantis par la Convention. En outre, il est certain que le défunt avait expressément consenti à une insémination post mortem, y compris en Espagne, le couple ayant pour projet d’avoir un enfant et l’homme, risquant de devenir stérile suite à un traitement médical, ayant fait conserver ses gamètes. Enfin, le Conseil d’État note l’absence de toute intention frauduleuse et, compte tenu de l’urgence, l’exportation a pu être autorisée.

Il convient également de noter que peu de temps après, le 12 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes a reconnu pour la première fois à une requérante française le droit d’exporter vers l’étranger les gamètes de son mari décédé. Cet arrêt semble donc confirmer la position du Conseil d’État, et même aller plus loin, la requérante était française en l’espèce.

Si la procréation post mortem reste donc par principe interdite en France, la question du « bébé souvenir » crée la polémique sur le plan moral. Dès lors, faut-il considérer, comme le prix Nobel de physique Dennis Gabor, que « tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable » ? La question reste en suspend. Néanmoins, si la procréation post mortem vient à être autorisée en France, le régime juridique applicable devra sans nul doute poser certaines exigences strictes, notamment se fonder sur la volonté expresse des personnes décédées, qui devra être constatée par écrit et réalisée dans un délai déterminé à compte de la mort du partenaire, et ce afin d’éviter certaines dérives. Pour l’instant en tout cas, le juge français se contente « d’exporter le problème » vers des pays où cette pratique est autorisée.

Aurélie Thuegaz
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