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Naturalisation : attention au changement de situation personnelle et familiale après le dépôt de la demande. Par Laurent Vovard, Avocat.
Parution : mercredi 28 juin 2017
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Un arrêt récent du Conseil d’Etat du 7 juin 2017 est l’occasion de revenir sur le parcours semé d’embuches d’une demande de naturalisation.

1. Rappel des conditions de recevabilité de la demande de naturalisation

La naturalisation peut être définie comme « l’octroi discrétionnaire par un État de la nationalité de cet État à l’étranger qui la demande » (P. Lagarde).

En droit français, la demande de naturalisation est notamment régie par les articles 21-14-1 et suivants du code civil ainsi que par un décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 qui détermine la procédure applicable.

Plusieurs conditions sont nécessaires pour que la demande soit recevable :

  1. une condition d’âge tout d’abord : le demandeur doit en principe être âgé de plus de 18 ans ;
  2. le demandeur doit ensuite être en séjour régulier sur le territoire ;
  3. le demandeur doit résider en France au moment de la signature du Décret ;
  4. il doit par ailleurs justifier de cinq ans de résidence « stables et continues » en France, préalablement au dépôt de la demande, étant précisé que cette durée peut être réduite à deux ans voire supprimée dans certaines circonstances détaillées aux articles 21-18 et 21-19 du code civil. Cette condition de résidence est beaucoup plus large que le simple domicile puisque l’administration exige que le demandeur ait le centre de ses attaches familiales et matérielles en France (voir par exemple circulaire du 12 mai 2000).
  5. le demandeur doit satisfaire à des conditions de moralités définies à l’article 21-23 du code civil : « Nul ne peut être naturalisé s’il n’est pas de bonnes vie et moeurs ou s’il a fait l’objet de l’une des condamnations visées à l’article 21-27 du présent code. » ;
  6. Enfin, le demandeur doit justifier de son assimilation à la communauté française, notamment « par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises (…) et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République » (article 21-24 du Code civil).

Au regard de ces conditions, l’administration peut (articles 43 et 44 du Décret) :

Ces décisions qui doivent être motivées sont notifiées au demandeur sont susceptibles de recours. A noter ici qu’il existe un recours préalable obligatoire auprès du ministre chargé des naturalisations dans les deux mois de la notification de la décision.

Il est conseillé de se faire assister par un avocat spécialisé en droit des étrangers pour la rédaction de ce recours.

Le préfet peut aussi estimer que la demande est recevable et décider d’accorder la naturalisation ; il transmet alors au ministre chargé des naturalisations le dossier assorti de sa proposition. Le décret est pris par le Premier Ministre.

Il convient enfin de préciser que le décret de naturalisation peut faire l’objet d’un retrait, notamment en cas de fraude, ainsi que le prévoit l’article 27-2 du Code civil : « Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d’État dans le délai d’un an à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude. »

2. Point de vigilance : la modification de la situation personnelle et familiale après le dépôt de la demande (CE 2ème Chambre, 7 juin 2017, n° 408109)

Le demandeur doit informer l’administration de tout changement dans sa situation personnelle et familiale après le dépôt de sa demande, ceci notamment afin de s’assurer que les conditions de recevabilité de celle ci sont toujours remplies.

La jurisprudence fourni de nombreux exemples de retrait du décret de naturalisation après que l’administration ait été informée du changement de situation de l’intéressé après le dépôt de sa demande, changement que celui-ci s’était bien gardé de porter à la connaissance de l’administration.

Ainsi, un ressortissant marocain avait sollicité et obtenu la naturalisation par décret. Il avait déclaré dans sa demande être célibataire. Or, l’administration a appris, que cette personne avait, après le dépôt de sa demande, épousé une ressortissante marocaine résidant habituellement au Maroc, sans en informer la Préfecture chargée de l’instruction de son dossier.

Au vu de ces informations, le Premier ministre a rapporté le décret prononçant la naturalisation au motif qu’il avait été pris au vu d’informations mensongères délivrées par l’intéressé sur sa situation familiale.

L’intéressé a contesté cette décision de retrait.

Toutefois, la Conseil d’État n’a pas fait droit à sa demande et ainsi confirmé la décision de retrait, au visa de l’article 27-2 du Code civil, en estimant que :
« « 3. Considérant qu’aux termes de l’article 21-6 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s’il n’a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation " ; qu’il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n’est pas recevable lorsque l’intéressé n’a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts ; que, pour apprécier si cette dernière condition se trouve remplie, l’autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la situation familiale en France de l’intéressé ; que, par suite, ainsi que l’énonce le décret attaqué, la circonstance que l’intéressé ait dissimulé s’être marié au Maroc était de nature à modifier l’appréciation qui a été portée par l’autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts ; qu’il ressort en l’espèce des pièces du dossier que le mariage contracté le 26 juillet 2014 par M.B..., postérieurement au dépôt de sa demande de naturalisation, a constitué un changement de sa situation personnelle et familiale qu’il aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, ce qu’il n’a pas fait (…) que M. B...doit ainsi être regardé comme ayant sciemment dissimulé le changement de sa situation familiale ; que, par suite, en rapportant sa naturalisation, le Premier ministre n’a pas fait une inexacte application de l’article 27-2 du code civil… ». »

Ces éléments montrent l’attention particulière qui doit présider à la constitution du dossier de demande de naturalisation et des choix postérieurs à cette demande ; De même, compte tenu de l’abondante jurisprudence sur les conditions de recevabilité de la demande et des choix stratégique quant à l’opportunité d’un recours contre une décision d’ajournement par exemple, il est conseillé de se faire assister par un avocat compétent en droit des étrangers et plus particulièrement en droit de la nationalité.

Laurent Vovard Avocat au Barreau de Paris https://vovard-avocat.com/
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