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Que reste-t-il du devoir de fidélité entre époux ? Par Aurélie Thuegaz, Avocate.
Parution : mercredi 28 juin 2017
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Si la fidélité dans le couple est encore « indispensable » pour les trois quarts des Français interrogés en 2017, force est de constater que ce devoir conjugal, prévu par l’article 212 du Code civil obligatoirement lu par le maire aux futurs époux lors de leur union, apparaît en voie de disparition. Ce phénomène se constate tant dans les faits que dans les décisions des juges.

Tout d’abord, une étude IFOP réalisée en 2014 a constaté que 55% des Français auraient été infidèles, ce qui en fait les premiers au niveau européen.
Ensuite, aujourd’hui, on constate que l’infidélité fait l’objet d’une médiatisation telle qu’elle apparaît comme une sorte de « passage obligé » dans le mariage afin d’accéder au bonheur.
C’est ce que semble dire les publicités pour le site extraconjugal Gleenden, avec des slogans tels que « Tout le monde peut se tromper. Surtout maintenant. », « C’est parfois en restant fidèle qu’on se trompe le plus... » ou encore « Restez fidèle… à vos désirs ».

Cette campagne a inévitablement choqué les défenseurs du mariage et une plainte a été déposée par une association catholique devant le jury de déontologie publicitaire, plainte rejetée le 6 décembre 2013 au motif que la publicité litigieuse ne propose « aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni incitation au mensonge ou à la duplicité ».
L’association, agissant en défense des époux trompés, a alors porté l’affaire devant le Tribunal de grande instance de Paris et sa contestation portait principalement sur la nullité du contrat entre la société Blackdivine, gérante du site, et les utilisateurs pour cause et objet illicites comme contraires aux bonnes mœurs et ainsi prohibés par la loi.
Le 9 février 2017, les juges déboutent l’association de ses demandes au motif que celle-ci n’est pas recevable à agir en défense des époux bafoués. En effet, « l’obligation de fidélité relève d’un ordre public de protection et non d’un ordre public de direction », dès lors il peut faire l’objet de dérogations et seuls les époux peuvent s’en prévaloir (TGI Paris, 9 février 2017, n° 15/07813). La fidélité ne serait-elle donc plus obligatoire ?

Doucement mais sûrement, la fidélité tend à disparaître en tant qu’obligation du mariage. Depuis 1975, l’adultère a été dépénalisé et n’est plus une cause péremptoire de divorce. En matière de libéralités, la donation consentie à l’occasion d’une relation adultère n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs (Cass., ass. plén., 29 octobre 2004, n° 03-11.238).
Sur le terrain du courtage matrimonial, la Cour de cassation a considéré qu’un tel contrat conclu par un homme marié avec une agence matrimoniale « n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs » (Civ.1re, 4 novembre 2011, n° 10-20.114). Le devoir de fidélité fait donc nettement l’objet d’une dévalorisation de la part des juges.

Certes, certaines décisions démontrent encore une persistance de ce devoir, tant après une ordonnance de non-conciliation et durant l’instance en divorce (Civ.1re, 9 novembre 2016, n° 15-27.968), qu’après une séparation de fait des époux (CA Paris, 17 novembre 2016, n° 14/14482).
Les juges, prenant en compte l’évolution des nouvelles technologies, ont également étendu l’exigence de fidélité à une infidélité intellectuelle. L’infidélité ne se résume donc plus à l’adultère, dans le sens où il n’est pas seulement sexuel mais peut être intellectuel par le biais des réseaux sociaux (CA Douai, 28 février 2013, n° 12/02395), des sites de rencontres (Civ.1re, 30 avril 2014, n° 13-16.649), des SMS (Civ.1re, 17 juin 2009, n° 07-21.796) et des mails (CA Aix-en-Provence, 8 septembre 2005, n° 04/11100).

Cependant, la compréhension du devoir de fidélité par les juges peut parfois déconcerter. Ainsi, s’agissant de l’infidélité intellectuelle, les juges ont des difficultés à admettre une violation de l’article 212 du Code civil. Au lieu de dénoncer explicitement le non-respect du devoir de fidélité par l’un des époux, ils se contentent d’énoncer que le comportement d’un époux « constitue un manquement grave et renouvelé aux obligations du mariage » (Civ.1re, 30 avril 2014, n° 13-16.649 précité sur les sites de rencontres), sans préciser le manquement en question.
En outre, la Cour de cassation sème le trouble en remettant en cause l’importance de la fidélité face à l’évolution des mœurs. Ainsi, dans une affaire opposant à un éditeur un homme politique et ancien ministre dont la vie sentimentale et extraconjugale avait été divulguée dans un ouvrage, elle a affirmé que l’évolution des mœurs comme celle des conceptions morales ne permettait plus de considérer que l’imputation d’une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération (Civ.1re, 17 décembre 2015, n° 14-29.549). Elle a d’ailleurs réitéré cette solution dans l’affaire opposant le même homme politique aux auteurs de l’ouvrage (Civ.1re, 3 novembre 2016, n° 15-24.879).

Mais si l’infidélité est si banalisée, pourquoi s’en cacher ? On pense alors au scandale Ashley Madison, site canadien de rencontre extraconjugale dont les données personnelles des clients avaient été rendues publiques à la suite d’un piratage informatique, cette divulgation ayant notamment entraîné le suicide d’un pasteur américain. C’est également suite à une erreur informatique dont a été victime un client de Uber, que son épouse a eu connaissance de ses déplacements suspects, l’intéressé ayant ensuite attaqué la plateforme en justice du fait d’un divorce coûteux.

La fidélité entre époux est donc aujourd’hui une notion ambivalente dont les juges ont une approche pragmatique et casuistique, tantôt considérée comme une obligation atténuée par l’évolution des mœurs, tantôt étendue du fait du développement des nouvelles technologies.

Aurélie Thuegaz
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