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La saisie juridique de l’innovation technologique. Par François Campagnola, Juriste.
Parution : mardi 4 juillet 2017
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La régulation juridique de l’innovation technologique est forcément imprégnée de technicité. En pratique, c’est en effet cette technicité qui est le marqueur des instruments juridiques destinés à classifier les biens technologiques et à arbitrer les intérêts divergents qui les sous-tendent. Par ailleurs, force est de constater que l’existence et le développement de ces mêmes instruments juridiques ne connaissent que partiellement les frontières nationales tant les contacts et les influences entre systèmes juridiques sont multiples et structurantes. De ce point de vue, la confrontation juridique épouse par ailleurs souvent les formes de la confrontation technologique.

Peu ou prou, c’est néanmoins à l’échelle continentale que s’organise la régulation du droit de l’innovation technologique. Cette perspective se trouve facilitée par le caractère fédéral de la nation américaine et, en Europe, par les développements du droit européen. En Afrique, la régionalisation du droit est également aujourd’hui très prégnante. On verra dans le futur ce qu’il en sera pour l’Asie. Ceci étant, la question est également de savoir ce qu’il en est au-delà. En la matière, la concurrence joue effectivement entre les différents systèmes juridiques en vue de faire valoir leurs principes et leurs mécanismes auprès des inventeurs et des entreprises.

Dans l’espace comme dans le temps, il en résulte donc une confrontation des équilibres juridiques réalisés au niveau de chaque système juridique avec des perspectives d’optimisation certaine pour chacun d’eux. Il en est notamment ainsi de la confrontation entre l’institution du brevet et les autres instruments possibles de la régulation juridique comme le savoir-faire. Dans le temps, se pose également la question de la performance de ces outils au regard des besoins futurs de l’innovation technologique en économie de la connaissance. C’est enfin également à cette aune que s’élabore la physionomie des mécanismes de la brevetabilité que sont notamment les critères de technicité et de nouveauté.

I) Le régime du brevet en droit de l’innovation technologique et de l’économie de la connaissance

Au sein de l’économie de l’innovation technologique, des mutations non négligeables sont à l’œuvre qui bouleversent, dans leurs fondements mêmes, de nombreuses économies industrielles. Au-delà de la révolution numérique en cours, une nouvelle économie de la connaissance est progressivement en train de se déployer. La question est donc de s’interroger sur la robustesse des instruments juridiques à l’œuvre dans le cadre de ces évolutions. En économie industrielle classique, le droit de l’innovation technologique a tendance à se cristalliser sur l’institution du brevet. De manière générale et tout particulièrement en économie de la connaissance, il ne saurait cependant s’y limiter. Dans son principe, il existe en effet une diversité des formes juridiques de protection de l’innovation technologique. En pratique, l’institution du brevet est enfin temporellement marquée du sceau des premières révolutions industrielles et de la grande industrie. Il se doit donc également d’évoluer dans un monde qui change.

1) Le brevet est-il un instrument juridique de dynamisation de l’innovation technologique ?

Le dynamisme de l’innovation technologique tient pour beaucoup au régime juridique de la propriété intellectuelle qui lui est associé. C’est en effet lui qui limite la pratique de l’imitation concurrentielle en introduisant une protection sous la forme d’une attribution de monopole temporaire d’exploitation susceptible de couvrir l’investissement nécessaire à la réalisation de l’innovation. Il en résulte une interdiction de l’imitation du bien breveté qui entrave le jeu de la concurrence et retarde la production comme la commercialisation de produits concurrents tirés de la même technologie sur le segment de marché en question. Il en résulte, d’autre part, un prix de monopole légal sur le marché de la technologie qui permet au produit d’échapper durant le temps imparti au régime de la concurrence par les prix.

Du point de vue du consommateur, la conséquence en est qu’il paie le produit tiré de cette technologie à un prix plus élevé que s’il n’y avait pas la barrière tarifaire du brevet. La question se pose donc pour lui de savoir jusqu’à quel prix il accepte d’aller pour l’obtention du produit et à partir de quel prix il s’oriente vers un produit de substitution pour autant qu’il y en ait. Du point de vue de l’innovateur, la question se pose de savoir quel niveau de revenu marginal tiré de la protection juridique de l’activité innovante lui permet de rentabiliser son investissement en R&D. A cet égard, des études ont fait ressortir que le brevet permettait encore il y a une quinzaine d’année de doubler la valeur de l’innovation. La question se pose donc de savoir s’il en est encore ainsi aujourd’hui. A cet égard, une des raisons de la non brevetabilité d’une innovation tient également au fait que l’entreprise considère que l’action de breveter peut coûter, dans certains cas, plus cher que le renoncement au brevet. Ceci étant, beaucoup dépend très probablement ici du produit en question et du secteur d’activité lié.

Du point de vue du marché, il s’agit de savoir quel niveau de maximisation du revenu marginal tiré de la situation de monopole le marché est capable d’ingérer sans bloquer les processus d’innovation technologique. Dit autrement, la question se pose de savoir à partir de quel seuil juridique d’exclusion du consommateur, le système du monopole technologique devient moins rentable pour le marché de l’innovation technologique que ne l’est le surcroît d’offre d’innovation technologique qui en résulte. En tant que mécanisme d’incitation à l’innovation, le régime du brevet fixe en effet, pour une part qu’il convient de déterminer, le seuil de rentabilité de l’investissement dans la R&D. A priori ici, plus la protection juridique est élevée et étendue et plus ce seuil de rentabilité peut apparaître élevé.

A l’inverse, plus elle est réduite dans son champ d’application et limitée dans le temps et plus l’avantage concurrentiel tiré de l’innovation apparaîtra comme restreint. Il en résulte donc une série de questionnements sur la capacité du brevet à infléchir de façon effective les processus d’innovation. Il s’agit donc d’appréhender le niveau pertinent de contribution de la protection juridique du brevet au dynamisme de l’innovation technologique en économie de marché. Il s’agit en sus d’appréhender la valeur additionnelle de la protection par le brevet par rapport aux autres formes de protection possible de l’innovation technologique.

Certaines indications chiffrées ont fait état que l’augmentation de 10% de la valeur tirée de la protection par brevet pouvait se traduire par des accroissements de l’ordre des 6% de l’investissement dans la R&D concernée. Ceci signifie que l’incitation du brevet à l’innovation technologique est bien réelle mais qu’elle est se trouve en même temps limitée par l’ampleur de son impact sur l’investissement technologique. Pour les années 1990 aux États-Unis, il ressort en effet d’études faites que la part des brevets dans leur R&D génératrice d’innovation technologique variait entre 23% pour les innovations de procédés et de 35% pour les innovations de produits. Par comparaison, 51% des innovations étaient considérés comme suffisamment protégé par le recours au secret d’entreprise. De la même manière, la commercialisation en premier apparaissait comme un procédé de protection suffisant à 38% pour les innovations de procédés et à 53% pour les innovations de produits. De ce point de vue, le brevet apparaît donc comme un mécanisme parmi d’autres apte à générer de la protection économique et juridique sur le marché de l’innovation technologique.

D’autres études ont également montré que le rôle incitatif du brevet en matière de développement de l’innovation calculé à partir de l’investissement dans la R&D n’est réel dans l’économie classique que dans les secteurs industriels fortement concentrés et pour des coûts de R&D très élevés. Compte tenu du montant considérable de l’investissement dans la R&D de certains produits, il serait effectivement catastrophique pour une entreprise de voir l’innovation générée facilement copiée par un concurrent. C’est particulièrement le cas dans les domaines de l’industrie pharmaceutique et des biotechnologies. Les volumes financiers investis y sont en effet souvent considérables pour chaque produit constitutif d’une innovation commercialisable alors même que le taux de commercialisation d’un produit final est souvent de l’ordre du millième par rapport à la masse des produits globalement générés pour arriver à ce résultat.

A l’inverse, on observe un phénomène d’essaimage de la fonction protectrice du brevet dans la nouvelle économie de la connaissance. Il en est notamment ainsi dans les domaines de l’informatique, de l’électronique et des nouvelles technologies. Le développement de ces secteurs explique d’ailleurs pour une large part l’explosion de la demande de brevets au cours des 20 dernières années. Aux États-Unis, le nombre des brevets déposés a ainsi plus que doublé entre 1990 et 2000 dans le domaine des nouvelles technologies et pour les entreprises du secteur de moins de 5000 salariés.

2) L’importance du statut du brevet en droit de l’innovation technologique

Le périmètre de la brevetabilité est tout d’abord marqué par le fait que certaines catégories d’innovation ne peuvent, du fait de la loi, faire l’objet de brevet. En Europe, l’article 52b de la Convention de Munich exclut de la brevetabilité les théories scientifiques, les créations esthétiques ainsi que, dans un premier temps, les méthodes commerciales. De la même manière, le domaine des logiciels fut tout d’abord exclut du champ de la brevetabilité avant d’y être progressivement intégré avec un certain nombre de réserves aussi bien aux Etats-Unis qu’au sein de l’Union européenne.

Par ailleurs, l’article 53 de la même Convention exclut de la brevetabilité les races animales tout comme les variétés végétales. Le domaine de la brevetabilité du vivant fait par ailleurs l’objet de critères très strict tandis que le corps humain est en la matière relativement sanctuarisé. A cela, s’ajoute le fait que certains domaines de l’innovation technologique comme les semi-conducteurs ou les bases de données font l’objet de catégorisation sui generis distinctes du droit classique de la propriété intellectuelle et industrielle afin notamment de compléter une protection du droit d’auteur jugée insuffisante.

Trois autres facteurs contribuent puissamment à l’essor de la pratique des brevets. Le premier tient au fait que, de plus en plus, les produits finaux mis sur le marché sont des produits composites ou sont issus de procédés composites dont la circulation génère une croissance exponentielle des échanges entre entreprises distinctes. De ce point de vue, par les garanties juridiques de sécurité économique qu’il apporte, le brevet facilite le développement de ces échanges technologiques inter-entreprises. La circulation de l’innovation technologique tend alors à prendre la forme d’un vaste marché de licences tant au niveau national qu’au niveau international.

En la matière, le rapport des forces dans les négociations d’entreprises est en outre largement déterminé par la consistance de leurs portefeuilles de brevets. A partir de là, le second facteur à prendre en considération réside dans la stratégie juridique des entreprises pour qui la constitution de portefeuille de brevets a vocation à exclure les concurrents d’un marché ou, à l’inverse, à éviter de se trouver bloqué par le brevet d’un tiers. Enfin, le troisième facteur tient à la spécialisation de certaines entreprises dans la R&D et au mode de développement même des start-ups notamment dans la chimie fine et la nouvelle économie.

Au niveau micro-économique, la rentabilité de la protection juridique par le brevet est enfin très fortement corrélée au cycle du produit. Le droit doit alors prendre en compte deux éléments factuels essentiels. Tout d’abord, le cycle du produit épouse peu ou prou la courbe des rendements décroissants de ses composants en travail et en capital. Le schéma en est donc celui d’une accélération au moment du lancement du produit, une décélération quand le produit s’impose sur le marché puis une obsolescence plus ou moins rapide ensuite. Il en résulte donc que, plus vite le maximum de pénétration d’un marché est atteint et plus il faut de nouveau faire appel à l’innovation soit pour perfectionner le produit soit pour dépasser la technologie qui lui sert d’assise.

En conséquence, l’innovation en technologies, produits et services devient, comme telle, un levier majeur des stratégies de croissance des entreprises. Second élément, la norme juridique doit également faire avec les leviers technologiques qui gouvernent les modes de développement économique. De ce point de vue, le droit la propriété industrielle fut profondément façonné par les révolutions technologiques et industrielles du passé. Il importe donc de préciser ce qu’il tend à en être aujourd’hui dans le cadre de la révolution numérique en cours et de la mondialisation qui l’accompagne et quels sont les dilemmes qui marquent les processus d’adaptation du droit.

3) Les aménagements nécessaires du régime des brevets en économie de la connaissance

L’économie de la connaissance est une économie où la part de la valeur du savoir dans les grands agrégats est particulièrement importante. Dans son processus de développement, elle est principalement le produit de deux facteurs. Il y a tout d’abord une tendance globale longue marquée par l’accroissement des ressources consacrées à la production et à la circulation du savoir et par l’accroissement de la part du travail hautement qualifié dans l’économie d’entreprise. Il en résulte que la part matérielle de la production industrielle devient moins grande dans la valeur ajoutée générée. Le second facteur tient à la mutation technologique actuelle qui en accélère le mouvement et en amplifie les effets.

Quant à sa structure, l’économie de la connaissance se caractérise par deux éléments essentiels qui la distinguent des autres formes de développement économique. D’une part, elle n’est pas menacée d’épuisement ou de destruction par l’usage de ses ressources comme l’est l’économie industrielle et minière. Bien au contraire, cette économie enrichit son capital de base avec l’accroissement de sa matière première en connaissance. Sur le fond, les paramètres de la rivalité dans l’usage des biens s’en trouvent donc considérablement redimensionnés et, avec eux, ceux de son équilibre juridique. A cet égard, le vendeur de connaissance reste, sauf exception, en sa possession du bien vendu tandis que l’acheteur n’a pas besoin d’acheter le produit plusieurs fois du fait de sa non-altération physique. Seule, la question de son obsolescence est posée.

Par ailleurs, la croissance d’une économie de la connaissance requiert une maximisation de l’accès à la ressource alors les autres formes d’économie cherchent davantage à en restreindre l’accès en organisant la rareté. Il en résulte donc un besoin de nouvelles formes d’organisation et de régulation de la propriété du savoir notamment technologique. Dans l’entreprise, le savoir-faire est ainsi une forme de connaissance qui existe à côté de celle du brevet et dont la part dans les processus d’innovation technologique est loin d’être négligeable. A cet égard, l’entreprise s’alimente, pour une part variable selon les types d’activité, de modes d’organisation qui favorisent donc la formation et la diffusion des savoirs non juridiquement formalisés en son sein.

La conséquence en est double : l’exclusion d’une partie non-négligeable de ce capital non formalisé du champ de l’économie marchande et la réduction de l’impact de la loi des rendements décroissants dans les processus de production qui lui sont attachés. Enfin, le mode de croissance de cette économie de la connaissance est tiré non seulement du volume des savoirs et des données existants mais également de la capacité et de la vitesse nécessaires à leurs traitements. Elle ne relève en outre plus du monopole des grosses structures à même d’y investir mais s’émiettent par la voie de l’externalisation. De ce fait même, il en résulte un renforcement substantiel des relations de marché dans la conduite et la coordination de l’activité innovante.

L’ensemble de ces bouleversements nécessite des adaptations institutionnelles dont la profondeur et le rythme font débats. Dans ce cadre, se pose la question des transformations nécessaires du statut juridique de l’innovation technologique. En la matière, la question est celle des nouveaux équilibres juridiques à dégager pour maximiser l’efficacité de l’instrument juridique de régulation de l’innovation technologique. A la base, on trouve les deux termes de l’équation qui fonde le droit de la propriété intellectuelle que sont la protection des droits et la diffusion des savoirs. Il s’agit donc de savoir si et comment l’équilibre qui les lie peut évoluer.

Du point de vue de l’ouverture à la connaissance, le monopole juridique conféré par le brevet s’accompagne traditionnellement de la divulgation de l’innovation. Dans le mode de production industriel classique marqué par la verticalité tout comme par la segmentation des relations de production et d’échange, ce mécanisme du brevet vient donc consolider industriels et sous-traitants. Aujourd’hui, dans des modes de production à la structure davantage horizontale, interchangeable et diffuse, le brevet tel qu’il a été conçu peut, par contre, devenir un obstacle à l’organisation des productions.

En économie verticale tout comme dans les processus d’innovation top-down, la fonction du brevet était tout autant de bloquer l’arrivée de nouveaux entrants sur les marchés de la rareté que de s’assurer de la rétribution de l’investissement réalisé dans l’innovation. A l’inverse, l’économie numérique produit, tout d’abord, de nouveaux types de biens dits communs qui, contrairement aux biens publics qui en sont exclus, sont de plein pied dans l’économie de marché. Parce qu’elle se développe très largement à partir des externalités de l’entreprise, cette nouvelle économie fonde, d’autre part, son mode de développement sur le principe non de la rareté de la connaissance mais de l’ouverture maximale du monde de la connaissance. Ceci étant, dans l’économie numérique, les tentatives existent également de reconstituer de la rareté.

Enfin, en économie de l’innovation de type horizontal et bottom-up, il semble, malgré l’augmentation du volume des brevets déposés, que les modes de protection de l’innovation que sont également le secret de fabrication et la marque sont particulièrement dynamiques. Il en est notamment ainsi parce que, dans la nouvelle économie, les caractéristiques de l’innovation sont multiformes et procèdent beaucoup par capillarité. Partant de là, elles sont plus difficiles à codifier en droit des brevets. De ce point de vue, la marque intègre en un seul mode de protection juridique la conception, le développement et le savoir faire ainsi que la connaissance du marché et des clients. Il peut donc s’agir d’une forme juridique directement concurrente de celle du brevet.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments un besoin de rénovation du droit de la connaissance qui dépasse les limites traditionnelles du droit de la propriété intellectuelle. Du point de vue de l’innovation technologique, les questions principales sont celles du statut juridique de la technicité et des perspectives d’évolution du droit des brevets. Il s’agit également des questions non pleinement résolues concernant le droit d’accès à l’internet, les régimes juridiques des données numériques et du big Data, les conditions d’accès à l’information numérique et à ses bases de stockage ou encore le statut juridique des plates-formes numériques collaboratives.

Parallèlement, une réflexion est également menée en vue de renforcer l’efficacité comme l’attractivité du droit des brevets. En la matière, les questions posées sont notamment relatives à l’optimisation des durées de monopole ainsi qu’à l’adaptation du droit des brevets à l’internationalisation croissante des activités de production et d’échange. Dans le premier cas, depuis les accords de Marrakech de 1995, l’OMC s’attache notamment à consolider les voies d’exécution des droits de la propriété intellectuelle dont elle a la charge. Par ailleurs, à l’ombre des trois grands Traités de Berne, de Paris, de Madrid, les droits d’auteur, des brevets et des marques sont également périodiquement révisés en vue de leur adaptation. Enfin, le projet de brevet européen fait l’objet de négociations déjà anciennes non encore pleinement abouties à ce jour malgré des avancées réelles en la matière.

II) La mesure juridique de l’innovation technologique en droits français et européen

Deux institutions méritent d’être particulièrement mises en valeur. Il en est tout d’abord ainsi de celle du savoir-faire dans l’évolution des pratiques industrielles de l’innovation technologique. En économie de la connaissance par ailleurs, les processus d’innovation évoluent dans un sens également davantage composite. La technique y reste certes l’élément central mais n’en est plus l’élément exclusif. L’institution du brevet se trouve donc concurrencée par des formes de protection juridique globalement plus composites. De ce point de vue, une réflexion sur l’usage industriel du droit des marques n’est certainement pas inutile. Au sein même de la catégorie des brevets, les éléments constitutifs de la technicité et de la nouveauté ne présentent enfin pas forcément les mêmes contours en économie industrielle classique et en économie post-industrielle de la connaissance.

1) Les éléments constitutifs du savoir-faire en droit de l’innovation technologique

Le savoir-faire technologique constitue un des principaux vecteurs du développement de l’innovation technologique. A maints égards et traditionnellement, il est pleinement constitutif du développement du droit de l’innovation technologique. D’une part, le savoir-faire constitue une étape dans le processus de l’innovation technologique susceptible de déboucher sur un brevet. D’autre part, il est également un cadre autonome de développement de l’innovation technologique en ce que l’innovation technologique ne se réduit pas au domaine du brevet. En pratique, le savoir-faire peut effectivement précéder le brevet, l’accompagner, le compléter, le perfectionner ou encore s’y substituer.

Le champ d’application de l’innovation technologique procédant du savoir-faire est donc très large. La protection du savoir-faire concerne en effet toutes les connaissances technologiques non brevetables ainsi que toutes les connaissances technologiques brevetables mais non brevetées. En pratique, le savoir-faire se développe en grande partie aussi parce qu’il est considéré que la protection donnée par le secret est plus pertinente en l’espèce soit parce que le ratio coût-rendement du brevet n’apparaît pas comme optimal. Il en est ainsi parce qu’il est considéré que la protection par le secret est plus pertinente ou parce que le ratio coût-rendement du brevet n’y apparaît pas comme optimal.

Par ailleurs, le savoir-faire procède de règles qui complètent, tout en en prenant le contre-pied, les règles de protection de l’innovation tirées du droit des brevets. Dans un arrêt du 30 janvier 1991, la cour d’appel de Paris définit tout d’abord l’invention non breveté dont procède le savoir-faire comme un bien incorporel à valeur patrimoniale transmissible. A cet égard, parce qu’elle n’est pas juridiquement transmissible, l’habileté technique du salarié n’est donc pas un savoir-faire. D’autre part, alors que le droit des brevets est une protection juridique de l’innovation fondée sur la communication des attributs de cette innovation, la protection juridique du savoir-faire technologique procède des règles qui régissent le domaine du secret. Dans le même temps, le savoir-faire peut également être protégé par un droit d’auteur ou encore par un droit de dessin ou de modèle.

Au plan de ses éléments constitutifs, il est admis que la qualification de savoir-faire ne requiert pas la brevetabilité. De ce point de vue, la connaissance de savoir-faire se distingue de la connaissance de brevet par le fait qu’elle est juridiquement dispensée du prérequis de l’activité inventive. Pour en faire valoir le principe, il est néanmoins nécessaire que des précautions particulières de protection du secret soient prises par le titulaire de droits qui s’en réclame. A cet égard, une jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 novembre 1920 précise qu’ « un procédé est conservé secret, dès lors que son détenteur a affirmé sa volonté de le cacher, a stipulé le secret dans le contrat de travail, a organisé le filtrage des visiteurs et a compartimenté le travail de telle façon qu’aucun ouvrier n’ait la connaissance totale du procédé ». En complément, l’article 39 de l’Accord ADPIC fait état d’une connaissance devant faire l’objet d’une « protection effective contre la concurrence déloyale ».

En Europe, deux règlements européens applicables en France définissent de manière relativement précise la notion de savoir-faire. La Directive n° 4087/88 du 30 novembre 1988 le désigne comme « un ensemble d’informations pratiques, non brevetées, résultant de l’expérience du franchiseur et testée par celui-ci, ensemble qui est secret, substantiel et identifié ». Cette définition est complétée par le Règlement d’exemption n°772/2004 du 27 avril 2004 qui l’intègre dans la catégorie des droits de propriété intellectuelle et précise que le savoir-faire procède du secret en ce qu’ « il n’est pas généralement connu ou facilement accessible », substantiel en ce qu’il est « important et utile pour la production des produits contractuels » et identifié en ce qu’il peut être « décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité ».

Ceci étant, la notion juridique de secret ne renvoie pas au secret absolu détenu par une seule et unique personne et destiné à être sauvegardé. Du point de vue juridique, le secret du savoir-faire est une information partagée sous réserve d’en garantir la confidentialité. En pratique, il n’y a donc pas de secret juridiquement protégé qui soit aisément accessible. L’obligation de confidentialité est donc la marque de fabrique du savoir-faire qui se décline en un certain nombre de règles sur la responsabilité en cas de divulgation. Ici, deux régimes de responsabilité se superpose : un régime de responsabilité délictuelle et un régime de responsabilité contractuelle.

Au plan délictuel, le régime de la responsabilité pour divulgation de secret protégé met en œuvre le régime de la responsabilité civile de droit commun à l’exception des situations mettant aux prises des concurrents. Ceux-ci sont en effet soumis au régime de la responsabilité pour concurrence déloyale ou parasitaire. Dans ce cadre et par extension, le secret protégé l’est non seulement de l’action de divulgation mais également du non-respect des règles élémentaires de confidentialité susceptible de confiner au domaine de la négligence. Il en résulte, dans les deux cas, une soumission de la procédure de l’action pour violation du secret de savoir-faire au triptyque faute-préjudice-lien de causalité.

Au plan contractuel, la protection du savoir-faire se trouve augmentée des clauses respectivement de confidentialité et de non-concurrence liant, par la voie contractuelle, le détenteur du savoir-faire et les tiers. En pratique, cela concerne tout particulièrement les rapports contractuels entre l’entreprise détentrice d’un savoir-faire et ses salariés. Deux cas de figure de mise en cause des responsabilités contractuelles peuvent alors se présenter dans le respect des règles des droits du travail et de la concurrence par ailleurs également applicables. Dans le premier cas, une clause de confidentialité est insérée dans le contrat de travail qui impose une obligation spécifique de non-divulgation du savoir-faire. Dans le second cas, la clause de non-concurrence portant sur le savoir-faire garantit à son détenteur l’exclusivité de son utilisation pendant une période donnée. L’objet n’est donc pas tant ici de protéger le secret du savoir-faire que d’en interdire l’utilisation par un tiers au moyen d’une obligation de non-exploitation.

Dans le cadre de l’activité salariale, il existe enfin une obligation générale de fidélité pesant sur les salariés susceptible de couvrir également certaines obligations salariales de confidentialité. Enfin, rien n’empêche que ces obligations soient insérées dans les règlements intérieurs des entreprises. En matière commerciale, viennent s’ajouter les clauses de confidentialité insérées dans les divers précontrats et contrats de commerce. Ainsi en est-il souvent en matière de sous-traitance, de coopération technique ou de transferts de technologie. De même peut-il en être à l’occasion d’un contrat de licence ou encore d’un contrat de recherche.

2) La mesure du critère de technicité en droit des brevets

En droit des brevets, la notion de technicité est un élément central dégagé de longue date du dispositif juridique de la brevetabilité. En premier lieu, une invention n’est appropriable que si la technicité qu’elle porte permet une maîtrise de la Nature par l’Homme. Il convient en outre ici de distinguer la Nature de sa maîtrise. Dans le premier cas, la Nature a longtemps été comprise comme le domaine des choses inanimées.

Dans le second cas, les informations concernant la Nature prise en tant que telle ne concourent effectivement pas à l’état de la technique en question. C’est notamment la solution dégagée par l’Office européen des brevets (OBE) dans sa décision Relaxine/Howard Florey Institut du 8 décembre 1994. Pour qu’il en soit autrement, il y faut une intervention humaine permettant de faire apparaître l’information qui était jusqu’alors inconnue. A partir de là, l’identification d’un produit de la nature n’est donc non plus pas un obstacle en soi à la brevetabilité pour autant qu’il y ait intervention humaine.

En Europe, la jurisprudence allemande qui est à la source de la notion de technicité en droit des brevets précise en outre que la technicité brevetable est subordonnée à l’existence d’une manipulation des forces de la Nature en vue de la satisfaction des besoins humains. La jurisprudence britannique en tira sa doctrine du produit vendable selon laquelle un procédé ne pouvait avoir la qualité d’invention brevetable que s’il améliore ou restaure un produit matériel. La conséquence en est également que le procédé brevetable est, depuis le XIXème siècle, subordonné à l’existence d’une capacité de production matérielle.

En pratique, il existe enfin un lien historique entre l’éclosion de la notion juridique d’invention et le domaine de l’industrie mécanique qui l’accueillit en premier et qui pèse sur le domaine de la brevetabilité. Au plan juridique, il en résulte que seule la corporéité industriellement exploitable est prise en compte pour l’accès à la brevetabilité. De ce point de vue, c’est donc moins la technicité du procédé prise en tant que telle que son exploitabilité industrielle qui fonde le critère de brevetabilité. En droit français, l’article 7 de la Loi du 2 janvier 1968 limite ainsi le domaine de la brevetabilité au domaine des « inventions industrielles ». Il en est enfin de même en droits européen, américain et japonais.

En matière juridictionnelle, il résulte de l’ensemble que l’examen empirique du fait matériel de la brevetabilité joue un rôle déterminant dans l’appréciation de la technicité de l’innovation. Pour le juge, il en résulte une immixtion dans le domaine du fait. Pour cela, il est souvent obligé de s’appuyer sur l’homme de l’art qui tire, en la matière, un véritable pouvoir d’expertise judiciaire. Dans ce cadre, il existe par ailleurs deux manières d’aborder la question de la technicité en vue de sa mesure. D’un point de vue objectif, la technicité est un résultat qui, en droit des brevets, se mesure à l’aune du descriptif qui la matérialise. D’un point de vue subjectif, la technicité est ce qui vient de l’action de l’homme.

L’approche objective de l’invention consiste à s’intéresser au résultat de l’acte inventif. Elle a pour principal instrument et objet le descriptif du résultat obtenu par l’activité d’invention. En l’état actuel du droit des brevets, seule la description permet en effet une qualification de la technicité. En sus, la description doit être suffisante pour supporter les revendications et la divulgation de l’invention. Il en résulte que c’est la suffisance de la description par rapport à l’exécution de l’invention qui est examinée lorsqu’on entend déterminer la technicité de l’invention. En droit européen, l’article 83 de la CBE dispose, à cet égard, que « l’invention doit être exposée dans la demande de brevet de manière suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ».

Du point de vue subjectif, il y a activité inventive, tant initialement dans le droit anglo-saxon du XIXème siècle qu’en droit européen postérieur à la Convention de 1963, lorsque le produit qui en est tiré ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique existante. Sa mesure renvoie alors à la capacité qu’a l’homme du métier de reproduire l’invention avec une chance raisonnable de succès. Elle se détermine donc par rapport au savoir-faire « normal » de l’homme de métier. La notion d’homme de métier est ainsi au cœur de l’appréciation de l’inventivité.

L’homme de métier est tout d’abord un praticien ordinaire et non un expert. Ce praticien est, tant en droit américain qu’en droit européen, un professionnel de qualité moyenne qui dispose des connaissances normales nécessaires à l’exercice de son métier. Il ne procède à aucune inventivité technique et s’oppose donc, par là-même à l’inventeur qui, lui, est un expert. Le niveau moyen de connaissance requis du praticien ordinaire peut cependant varier avec l’évolution du niveau moyen des connaissances requises à un moment donné ainsi que selon l’étendue de l’état de la technique pris en considération.

Dans ce cadre, en augmentant le seuil du savoir technique moyen pris en considération, on élève mécaniquement le niveau d’expertise requis pour l’admission de l’invention. Il en est de même en élargissant l’assiette du cadre technologique référencé au moyen, par exemple, d’une extension aux domaines voisins. La jurisprudence allemande fut, à cet égard, dans un premier temps favorable à cette extension lorsqu’elle attribuait au professionnel moyen une connaissance supposée de l’ensemble de l’état de la technique comprenant la technique propre au domaine de l’invention augmentée de la technique des domaines voisins.

Aujourd’hui, la conception qui domine en droit américain comme en droit européen tient au périmètre des compétences moyennes du professionnel de la technique en cause à l’intérieur d’un domaine technique limité. Dans ce cadre, le premier élément à prendre en considération est de savoir à partir de quel seuil l’information susceptible de participer à l’état de la technique dont l’homme de l’art professionnel est supposé avoir connaissance est une information technique elle-même susceptible de brevetabilité. La question se pose par ailleurs de savoir à partir de quel seuil de technicité ou de quel degré d’intervention humaine, par recours à l’ingénierie, la technicité de l’idée appelée à être brevetable est considérée comme suffisante.

En pratique, cette dernière question se pose surtout lorsque que l’opération d’identification opérée par l’intervention humaine nécessite une ingénierie solide comme dans le domaine des biotechnologies. Il est ainsi probable que l’isolation d’un composant naturel par simple purification des éléments associés requiert une intervention humaine en-deçà du seuil de brevetabilité. Il en est ainsi lorsque, après l’opération de purification en question, la structure du produit purifié reste identique à celle qui était la sienne avant sa purification. A l’inverse, sont brevetables les micro-organismes génétiquement modifiés ainsi que, probablement, les micro-organismes cultivés in vitro.

3) Le poids du critère de nouveauté en droits des brevets et de l’innovation technologique

Pour déterminer s’il y a participation à l’état de la technique et donc brevetabilité, la question se pose également des éléments constitutifs du critère de nouveauté pris en considération concernant l’élément d’information technique brevetable. Au premier rang de ces critères, il y a celui du public considéré puisque c’est, par définition, par apport à lui que la nouveauté se détermine. La question est donc, tout d’abord, celles de l’accessibilité de la connaissance brevetable au public.

Cette question renvoie en fait à deux questions subsidiaires qui sont, d’une part, le statut du groupe restreint de connaisseurs de la technique en question et, à l’opposé, le statut de l’information technique diffusée à un très large public par les nouveaux moyens de communication. Dans le premier cas, un doute persiste effectivement quant à l’appartenance du savoir traditionnel à l’état de la technique s’il a été conservé secret au sein d’une communauté ou d’une population restreinte. Il semble y avoir toutefois ici inclination à son intégration au domaine de l’état de la technique. Dans le second cas, on tend à considérer que l’envoi comme l’interception d’un e-mail est insuffisant à fonder l’idée de connaissance du public dont l’accès doit être direct et non ambigu ainsi que les méthodes ad hoc.

Dans le prolongement, la question s’est, dans un deuxième temps, trouvée posée de savoir si, en matière biologique et thérapeutique, la seconde application thérapeutique d’une substance médicamenteuse déjà connue était brevetable. Initialement, la loi française du 2 janvier 1968 y répondit par la négative tout en prévoyant un brevet spécial de médicament. Tout en mettant un terme au principe du brevet spécial de médicament, l’article 54(4) de la CBE tirée de la Convention de Munich s’en tint également au principe de l’exclusion de la nouveauté de la seconde application thérapeutique.

La détermination du seuil de l’inventivité permet enfin de distinguer les niveaux respectivement de l’inventeur expert et du professionnel non-expert. Elle s’opère à partir du test de la non-évidence de l’invention dont la substance varie dans le temps comme en fonction des domaines scientifiques et techniques considérés. Dans ce cadre, l’appréciation de la non-évidence part du problème de l’état de la technique pour mesurer si l’homme du métier aurait été en mesure de parvenir à l’invention plutôt que de savoir s’il aurait été en mesure d’en simplement réaliser la reproduction.

En la matière, il y a activité inventive si l’invention n’est effectivement pas évidente pour l’homme de métier. A l’inverse, l’invention devient évidente dès que l’homme de l’art se trouve inciter à la réaliser. Pour ce qui la concerne, la jurisprudence américaine s’est attachée à apprécier le champ de l’évidence de façon restrictive en considérant que l’incitation ne pouvait être qu’un indice dont la valeur apparaissait moins probante que le critère du besoin social ou du succès commercial.

Enfin, le critère de l’invention réside dans la possibilité de reproduire son résultat. En la matière, une invention est donc reproductible quand son exécution peut être réitérée à l’infini avec une chance raisonnable de succès. Il s’agit donc ici de mesurer l’échelle de raisonnabilité permettant d’accéder à l’invention. Plusieurs éléments d’appréciation sont alors avancés par la jurisprudence. Du point de vue de l’inventeur, la jurisprudence allemande tout comme celle de l’OEB ont dégagé l’espoir raisonnable de succès, le prix de l’effort spécifique raisonnable pour y aboutir et le coût raisonnable de sa réalisation.

Du point de vue du bien concerné par la technicité, trois cas de figure se présentent. Les deux premiers ne posent pas de difficulté majeure parce que le bien procède totalement ou pas du tout de la technicité en question. Dans le premier cas, si le caractère technique est agréé, le bien sera pleinement couvert par cette technicité. Dans le second cas, il sera considéré comme ne procédant pas de la technicité et sera donc exclu du champ de la brevetabilité. Le troisième cas de figure est plus complexe lorsqu’au regard de la technicité brevetable, le domaine de la brevetabilité apparaît comme un bien mixte.

Dans ce cas, il convient de déterminer dans quelle catégorie de technicité ou de non-technicité il se retrouve. Deux instruments permettent alors d’y répondre qui sont les théories de l’élément essentiel, d’une part, et de l’incorporation, d’autre part. Selon la théorie de l’incorporation, l’intégration d’une chose non technique dans un ensemble technique nouveau donne naissance à un bien nouveau brevetable. En pratique, cette théorie est apparue dans le secteur de l’informatique afin de permettre que la nouveauté d’un programme d’ordinateur soit associée, en tant que procédé, à la nouveauté brevetable de la machine programmée dont elle pourrait tirer sa propre brevetabilité. Ainsi en a-t-il été dans la jurisprudence britannique concernant le procédé des cartes perforées qui, parce qu’il faisait fonctionner le programme d’ordinateur, fut considéré comme une méthode brevetable.

Affinant la méthode d’analyse de l’incorporation, la Chambre de recours technique de l’OEB précisa que le caractère technique de l’invention procédait de l’interaction entre les éléments techniques et non techniques et non pas de leur simple juxtaposition. Ceci étant, il est apparu par la suite que la théorie de l’incorporation montrait des signes de fragilité juridique. Ainsi en est-il lorsqu’on déduit la technicité du procédé nouveau de son incorporation à la technicité de l’ensemble déjà connu permettant sa réalisation. Il serait, dans ce cas, suffisant d’intégrer un algorithme, per se non-brevetable, à une chose corporelle pour en assurer automatiquement la technicité

Pour y pallier, l’intérêt de la théorie de l’élément essentiel réside dans le fait qu’un objet est qualifié de technique lorsque son élément essentiel appartient au domaine de la technique et que cet élément est essentiel parce que la chose n’existerait pas sans lui. Issue de la jurisprudence allemande sous l’appellation de théorie du noyau, son principe fut ensuite repris par l’Office européen des brevets dans sa décision T 320/87 du 10 novembre 1998 relative à la transformation génétique de végétaux. En matière informatique, la jurisprudence américaine ultérieure en tira le principe selon lequel une innovation procédant d’un algorithme ne pouvait être qualifiée d’invention de procédé brevetable parce que, en tant simple formule mathématique, cet algorithme ne produisait pas de transformation de la Nature.

En revanche, la fragilité de la théorie de l’élément essentiel tient dans sa méthode de juxtaposition, et non de combinaison et d’interaction, des éléments à prendre en considération pour déterminer si le principal d’entre eux est technique ou non. Pour y pallier, une approche fonctionnelle fut testée par l’OEB à la fin des années 1980 qui renvoie au domaine de l’état de la technique du moment. La jurisprudence britannique en tira que la technicité d’une chose mixte ne résultait pas de son élément essentiel mais de son apport à l’état de l’art. Dans une décision plus récente du 7 juin 2013, le TGI de Paris reconnut également que « l’appréciation de sa brevetabilité suppose de déterminer la contribution technique que le brevet revendique ».

François Campagnola Juriste
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