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L’inertie de l’employeur face à la souffrance psychologique d’un salarié justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail. Par Aude Lhomme-Guinard, Avocat.
Parution : vendredi 7 juillet 2017
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La résiliation judiciaire permet au salarié de demander au Conseil des prud’hommes de prononcer la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, s’il estime que ce dernier manque à ses obligations.

L’inertie de l’employeur face à la souffrance psychologique d’un salarié justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail

La résiliation judiciaire permet au salarié de demander au Conseil des prud’hommes de prononcer la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, s’il estime que ce dernier manque à ses obligations.

Si le juge fait droit à la demande du salarié, la rupture produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A l’inverse, si le juge rejette la demande du salarié, la relation contractuelle se poursuit.

Auparavant, tout manquement de l’employeur suffisait à reconnaitre la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts sans pour autant que ces manquements ne soient définis par les juges. C’est pourquoi la Cour de cassation a décidé de mettre un frein à cette jurisprudence en encadrant les motifs de la résiliation judiciaire.

Depuis un arrêt en date du 12 juin 2014, la Cour de cassation avait considéré, dans la droite ligne de sa jurisprudence en matière de prise d’acte, que la résiliation judiciaire ne pouvait être prononcée aux torts de l’employeur que si ce dernier commettait un manquement suffisamment grave, qu’elle définit comme celui qui empêche la poursuite de la relation contractuelle, reprenant ainsi la définition jurisprudentielle de la faute grave.

La Cour de cassation a par exemple jugé que le seul fait du non-paiement des jours travaillés au-delà du forfait jour ne constituait pas un manquement suffisamment grave de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 21 octobre 2014, n° 13-19.786).

Au contraire, la reconnaissance d’un tel manquement a par exemple été constatée en cas de manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur lorsque ce dernier n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale de ses salariés (Cass. soc., 16 novembre 2016, n° 15-21.226).

Dans l’arrêt du 8 juin 2017, la Cour de cassation donne une nouvelle illustration du manquement suffisamment grave.

Elle estime qu’en ne prenant aucune mesure pour remédier à la situation de souffrance psychologique exprimée par le salarié et matérialisée par des circonstances objectives, l’employeur commet un manquement à son obligation de sécurité de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et justifiant la résiliation judiciaire de celui-ci à ses torts.

La Cour de cassation rappelle ici sa position sur la notion de manquement suffisamment grave justifiant la résiliation du contrat. Elle en profite toutefois pour apporter des précisions notamment sur la preuve de l’état de santé du salarié. Elle invoque l’existence de « circonstances objectives », qu’elle érige en condition de la résiliation judiciaire. En présence de telles circonstances et si l’employeur n’a pris aucune mesure, la résiliation judiciaire sera prononcée pour manquement suffisamment grave de l’employeur à son obligation de sécurité.

La notion de circonstances objectives est de surcroit détaillée par la Cour de cassation. Cette dernière relève en effet plusieurs éléments de faits attestant de l’état de santé critique du salarié en raison de son environnement de travail :
- le climat au sein du cabinet s’était fortement dégradé,
- les échanges de courriers postérieurs au refus de l’employeur du passage à temps plein démontraient la souffrance psychologique de la salariée,
- le départ de l’avocat associé avec lequel elle avait travaillé de nombreuses années, concomitamment à l’arrêt maladie de sa seule collègue.

Tous ces éléments sont, selon la Cour de cassation, de nature à déstabiliser la salariée.

A l’heure où les cas de burn out au travail se multiplient et où certains tentent de les faire entrer dans la liste officielle des maladies professionnelles, la Cour de cassation nous offre une nouvelle grille de lecture permettant d’apprécier le manquement suffisamment grave nécessaire pour la résiliation judiciaire du contrat de travail. Ce manquement sera donc reconnu en cas d’inertie de l’employeur dès lors que des circonstances objectives matérialisent l’état de souffrance du salarié.

Avocat au Barreau de Paris