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La réforme du licenciement pour inaptitude : un encadrement renforcé au service de la prévention. Par Bernard Rineau, Avocat, et Anaïs Routurier, Juriste.
Parution : vendredi 7 juillet 2017
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Dans 95% des cas, les déclarations d’inaptitude se soldent par un licenciement (Etude d’impact, 24 mars 2016, p.338).

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, complétée par le décret 2016-1908 du 27 décembre 2016, est venue modifier la procédure de licenciement pour inaptitude en mettant l’accent sur la prévention et l’anticipation (I), afin de favoriser le reclassement des salariés visés (II). La Cour de cassation s’était déjà prononcée sur les modalités de calcul de l’indemnité de licenciement pour inaptitude (III). Le législateur a également recherché une certaine harmonisation des procédures. La procédure de contestation des avis d’inaptitude a également été refondue : elle est confiée à la juridiction prud’hommale (IV).

Les modifications sont applicables pour les avis d’inaptitude délivrés à compter du 1er janvier 2017.

I- En amont de la procédure : la mise en place d’un dialogue tripartite sur la reconnaissance de l’inaptitude

Désormais, dans le cadre de l’étude de poste lui incombant, et afin de favoriser le maintien de l’emploi du salarié, le médecin du travail peut faire des propositions adaptées à l’état de santé du salarié, en concertation avec l’employeur.

A cet égard, l’article L4624-3 du Code du travail est désormais rédigé comme suit :
« Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur. »

Dès lors, le médecin du travail doit engager une concertation avec, d’une part, l’employeur (article L4624-6 du Code du travail) et, d’autre part, le salarié (article L4624-5 du Code du travail), afin de pouvoir déterminer les mesures à mettre en place pour favoriser le reclassement du salarié, en considération de son état de santé.

L’employeur doit donc tenir compte des propositions du médecin et y apporter une réponse motivée, notamment lorsqu’il sera amené à ne pas y donner suite.

Il est donc vivement conseillé de conserver une trace écrite de ces échanges, pour prévenir d’éventuelles contestations ultérieures.

Les modalités pratiques de l’étude de poste ne sont pas définies, notamment sur le point de savoir si un déplacement dans l’entreprise est requis, ou bien si la connaissance du poste suffit.
Cette étude peut être confiée à un membre de l’équipe pluridisciplinaire, comme l’intervenant en prévention des risques professionnels.

Après cette étude, le médecin du travail peut désormais rendre un avis d’inaptitude consécutif à une seule visite médicale (articles L4624-4 et R4624-42 du Code du travail).

Toutefois, si le médecin considère qu’un second examen est nécessaire, celui-ci devra être réalisé dans un délai n’excédant pas 15 jours après le premier examen [1].

L’avis d’inaptitude peut ensuite être valablement délivré lorsque le médecin du travail « constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail n’est possible et que l’état de santé du salarié justifie un changement de poste » (Article L4624-4 du Code du travail).

L’avis d’inaptitude doit désormais être motivé et « éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur » (article L4624-4 du Code du travail).

Ces nouvelles dispositions sont de nature à éclairer l’employeur sur les mesures de reclassement à envisager pour respecter son obligation.

II- L’assouplissement de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur

La loi du 8 août 2016 a introduit des cas de dispense expresse de recherche de reclassement : c’est le cas lorsque l’avis d’inaptitude précise que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que, « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » (article L1226-2-1 du Code du travail).

Par ailleurs, si l’employeur est dans l’impossibilité de proposer au salarié un autre emploi, les motifs doivent simplement lui être indiqués par écrit, avant l’engagement de la procédure de licenciement.

En application des articles L1226-2 et L1226-10 du Code du travail, et lorsque l’obligation de reclassement ne fait pas l’objet d’une dispense, que l’état de santé résulte d’une maladie professionnelle ou non, l’employeur doit proposer au salarié un « autre emploi approprié à ses capacités » et « aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagements du temps de travail ».

Désormais, quelle que soit l’origine de la maladie, la consultation des délégués du personnel pour recueillir leur avis sur les postes susceptibles d’être proposés au salarié s’applique, si les délégués du personnel existent (article L1226-2 du Code du travail) [2].
S’agissant du périmètre du reclassement, l’employeur doit nécessairement prendre en compte les conclusions écrites du médecin du travail figurant sur l’avis d’inaptitude.

La jurisprudence a précisé les contours de cette obligation de reclassement :

- L’employeur n’est pas tenu de proposer un poste nécessitant une formation de base différente de la formation initiale du salarié et relevant d’un autre métier (Cass. soc. 5 octobre 2016 n°15-13594),
- L’employeur peut prendre en compte une exigence de diplôme, en l’occurrence le niveau bac (Cass.soc.5 octobre 2016 n°15-18884),
- L’employeur peut prendre en compte la position exprimée par le salarié déclaré inapte, pour le périmètre des recherches de reclassement (Cass.soc. 8 février 2017 n°15-22964 ; Cass.soc. 23 novembre 2016 n°15-18092),
- L’employeur a tout intérêt à solliciter des précisions du médecin sur le reclassement, et, si le médecin exclut toute possibilité de reclassement dans l’entreprise, l’employeur peut se considérer dans l’impossibilité de proposer un poste au salarié (Cass.soc. 11 janvier 2017 n°15-22485 [3]),
- Le médecin du travail peut fixer un cadre de recherche pour l’employeur : dès lors que ce dernier a proposé au salarié tous les postes disponibles et conformes aux préconisations du médecin il a rempli son obligation de reclassement (Cass.soc. 11 janvier 2017 n°15-11314),
- Ne constitue pas un poste disponible pour le reclassement d’un salarié déclaré inapte, l’ensemble des tâches confiées à des stagiaires qui ne sont pas salariés de l’entreprise, mais qui suivent une formation au sein de celle-ci (Cass.soc. 11 mai 2017 n°16-12191),
- En l’absence de compatibilité de l’emploi du salarié avec la réserve émise par le médecin du travail, la proposition de mutation du salarié par la mise en œuvre de la clause de mobilité figurant au contrat de travail compatible avec l’avis d’aptitude ne constitue pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé : le refus de la salariée de la mutation justifie le licenciement (l’employeur peut ainsi user de tous les outils prévus au contrat de travail) (Cass.soc.26 avril 2017 n°14-29089).

III- Précisions sur les indemnités dus en cas de licenciement pour inaptitude

Encore récemment, la Cour de cassation s’est prononcée sur les modalités de calcul de l’indemnité de licenciement pour inaptitude, lorsqu’un arrêt de travail a précédé l’émission de l’avis d’inaptitude.

En effet, d’après l’article R1234-4 du Code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, soit le douzième de la rémunération des 12 derniers mois précédant le licenciement, soit le tiers des 3 derniers mois.

Au cas présent, la salariée prétendait que l’indemnité devait être calculée sur la base des salaires qu’elle aurait perçus si son contrat n’avait pas été suspendu.

La Cour a rejeté sa demande, mais elle a jugé que « le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l’arrêt de travail pour maladie » (Cass.soc. 23 mai 2017 n°15-22223).

Cette solution permet donc de ne pas tenir compte d’une période de baisse de rémunération liée à l’état de santé de la salariée.

En outre, le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement en raison de l’absence de consultation des délégués du personnel ainsi que le manque de motivation de la lettre de licenciement sont des motifs justifiant que le salarié obtienne la requalification de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En revanche, concernant les indemnités octroyées par le juge, malgré le double motif justifiant la sanction, le salarié ne saurait être fondé à obtenir une double indemnisation.

En effet, pour le manquement lié à l’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement, le salarié serait en droit de réclamer une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, s’il justifie de moins de 2 ans d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés et, dans les autres cas, au minimum d’une indemnité égale à 6 mois de salaire.

Pour l’autre irrégularité, compte tenu de l’inaptitude physique liée à un accident du travail, le salarié était en droit de prétendre au versement de l’indemnité prévue à l’article L1226-15 du Code du travail, soit au minimum 12 mois de salaire.

La haute juridiction est donc venue confirmer que les deux irrégularités ne peuvent être sanctionnées que par une seule et même indemnité au moins égale à celle prévue à l’article L1226-15 du Code du travail (Cass.soc. 23 mai 2017 n°16-10580).

IV- Le remaniement inachevé de la procédure de contestation de l’avis d’inaptitude

Jusqu’au 1er janvier 2017, les contestations des décisions du médecin du travail devaient être portées devant l’inspecteur du travail dans un délai de 2 mois.

Désormais, le législateur a confié ce contentieux à la juridiction prud’homale.

En effet, l’article L4624-7 a instauré la nouvelle procédure de contestation, laquelle doit être portée devant le Conseil des prud’hommes, en référé, aux fins de la désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel.

Le Conseil des prud’hommes doit être saisi dans les 15 jours de la notification de la décision du médecin du travail.
La contestation portera alors seulement sur les éléments de nature médicale justifiant la décision du médecin du travail.

Le médecin du travail doit être informé de la procédure par le demandeur : le dossier médical sera alors transmis au médecin-expert désigné.

Cette nouvelle procédure va s’avérer plus coûteuse que la précédente puisque les frais d’expertise [4] du médecin-expert devront être réglés par le demandeur (au terme de la procédure, ils pourront être mis à la charge de la partie perdante), tout comme les frais de justice.

La décision du médecin-expert pourra être éclairée par le médecin inspecteur du travail, à la demande de la juridiction.

L’article R4624-45 a prévu que la décision du Conseil des prud’hommes se substitue aux éléments de nature médicale qui ont justifié les avis, propositions, conclusions écrites ou indications du médecin du travail faisant l’objet du recours.

Par ailleurs, compte tenu du délai imparti à l’employeur pour licencier le salarié déclaré inapte (un mois à compter de la notification de l’avis d’inaptitude), sous peine de devoir reprendre le paiement du salaire, il est à craindre que cette nouvelle procédure soit assez longue, le médecin expert désigné n’étant tenu par aucun délai pour statuer.

Le Code du travail ne se prononce pas sur le sort réservé au salarié pendant la procédure de contestation.

Or, si l’on applique la jurisprudence applicable à l’ancienne procédure, si l’avis d’inaptitude est annulé alors que l’employeur a licencié le salarié, le licenciement sera considéré comme sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, en cas de contestation par l’employeur, ce dernier a intérêt à suspendre sa décision de licencier le salarié déclaré inapte, ce qui l’obligera en revanche à reprendre le paiement du salaire du salarié pendant toute la procédure prud’homale.

Il est donc à craindre que cette nouvelle procédure dissuade les employeurs d’engager de telles contestations compte tenu des délais incertains et des coûts prévisibles.

Bernard Rineau, Avocat, Anaïs Routurier, Juriste Avocat Associé chez RINEAU & Associés http://www.rineauassocies.com

[1Auparavant, les deux examens devaient être espacés au minimum de 15 jours.

[2Cass.soc. 23 mai 2017 n°15-24713 : la Cour de cassation reconnaît la possibilité pour l’employeur de convoquer les délégués du personnel par voie électronique en vue de se prononcer sur le reclassement d’un salarié inapte.

[3Il s’agit d’une jurisprudence constante : Cass.soc. 24 juin 2015 n°14-10163 et Cass.soc. 15 décembre 2015 n°14-11858 et Cass.soc. QPC 13 janvier 2016 n°15-20822.

[4Ces frais seront réglés par provision et fixés par le président en la forme des référés.