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Vendez du droit américain. Par Bruno Genovese, Avocat.
Parution : jeudi 13 juillet 2017
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Les avocats américains profitent de l’entrée en vigueur l’année prochaine du nouveau Règlement Européen sur la Protection des Données pour vendre du droit européen. Marketing oblige. Rendons-leur la monnaie en vendant du droit américain.

Faites la recherche suivante sur le site américain Google.com (par opposition à Google.fr) : « GDPR ». Vous allez découvrir comment des sociétés américaines et autres consultants à tout faire vendent allègrement le nouveau Règlement Européen sur la Protection des Données (R.E.P.D.) qui entre en vigueur le 25 mai 2018.
Partant du principe que les sociétés américaines sont toutes concernées des lors qu’elles gèrent les données personnelles de consommateurs lambda européens (enregistrement de profil sur sites web, achat en ligne de produits américains, etc…), la soupe est bonne pour vendre du conseil en droit européen sans que nos autorités de tutelle ne se fassent entendre.
Les gros cabinets d’avocats américains sont aussi entrés dans la danse, vendant leur « savoir » en droit européen tout neuf comme on vend des gadgets sur Amazon. Au lieu de contacter nos cabinets comme correspondants de leurs clients aux États-Unis, nos confrères américains marchent carrément sur nos plates-bandes avec leurs gros sabots de prétendus spécialistes de la question de protection des données personnelles…
Ils sont tellement compétents en la matière que les clients qu’ils conseillent ne cessent de se faire épingler et sanctionner par la CNIL et autres autorités de protection des données personnelles de l’Union Européenne : Microsoft, Google, Facebook, etc., n’en jetez plus la couple est pleine. Qu’importe, le « G.D.P.R. » se vend comme des petits pains Outre-Atlantique (en anglais dans le texte : General Data Protection Regulation).
Il faut croire que la soupe est bonne car tout est prétexte pour publier, qui un Cahier blanc des données personnelles en Europe, qui les X étapes pour se mettre en conformité avec le « GDPR », sans compter les séminaires, groupes de travail et autres attrape-mouches du marketing Trumpien.

Alors que nous voyons enfin la possibilité du commencement du début du bout du tunnel avec un jeune et brillant capitaine à la barre du fragile vaisseau France, des dizaines de milliers d’heures facturables représentant des centaines de millions d’euros filent au nez et à la barbe de tous les cabinets d’avocats des pays membres de l’Union Européenne sans que personne ne semble réagir.
De la même façon, nous avons offert l’accès à notre profession en France à n’importe quel avocat américain qui baragouinait le français juste assez pour s’asseoir une vingtaine de minutes avec un jury sur mesure d’avocats français jouant les bienveillants Seigneurs s’assurant que l’impétrant connaissait les rudiments de notre déontologie, au visa de l’article 100 de la loi de 1991.
Pendant ce temps, nos jeunes avocats prennent pelles sur pelles en se présentant au même « bar exam » que tout étudiant en droit américain doit présenter pour être admis dans les barreaux des États américains. Le taux de réussite des avocats étrangers au « bar exam » de Californie, qui jusqu’à la réforme de juillet 2017 comptait huit épreuves écrites d’une heure chacune et 200 questions en six heures s’étalant sur trois jours, est de… moins de 5%. Pas de minibar pour les avocats français aux États-Unis. Le régime commun, point « bar ».

On retrouve avec le « GDPR » les mêmes stigmates d’une réciprocité à géométrie variable qui favorise immensément nos confrères américains souhaitant pratiquer en France au détriment de ceux parmi nous qui nourrissent le même désir Outre-manche. Allons-nous laisser cette nouvelle poule aux œufs d’or aux tartuffes américains du « consulting » et autres « ‘ting » du droit et à nos confrères concurrents américains sans réagir comme nous l’avons fait ces vingt dernières années, les laissant s’implanter en France sans résistance ? Allons-nous nous réunir, faire une bouffe, discutailler entre nous des méchants américains qui mangent notre pain au chocolat à l’autel de la protection des données personnelles ? Allons-nous faire grève ou une grande Marche en robe vers l’Ambassade des États-Unis qui n’a toujours pas d’Ambassadeur à Paris ?

Allons-nous râler, tempêter, gémir, gueuler, ou simplement tourner la tête au prétexte que le droit des données personnelles c’est un « machin » informatique auquel personne ne comprend rien ? Pire, un « machin » en « tique » de droit européen que personne ne sait vraiment comment appliquer à ses clients de tous les jours (sauf, évidemment les gros cabinets anglo-saxons qui se régalent de notre timidité à cet égard). Ou plutôt les avocats français vont-ils monter au créneau et s’unir avec leurs confrères des 26 autres pays membres pour empêcher leurs confrères d’Outre-Atlantique de s’approprier leur gâteau ?

Compte-tenu de notre Histoire, de nos habitudes jacobines, et de notre trésor de talents et compétences, je propose une solution bien plus radicale. Plutôt que de réclamer notre part du gâteau européen des données personnelles dont la plupart d’entre nous ne pourra pas même avaler la première bouchée, j’invite tous mes confrères à calquer leur démarche sur celle de nos confrères américains : laissons les vendre à leurs clients du droit européen depuis les États-Unis, et mettons-nous à brader le droit américain, fédéral et celui de leurs 50 états, à nos clients européens, russes, et asiatiques, sans avoir à rougir d’un quelconque manque de compétence : internet est là pour nous aider, comme le font nos confrères américains avec notre « GDPR ».

Vendez de la constitution de société dans chaque État américain.

Confrères qui me lisez, je n’ai rien bu, rien fumé, et jouis d’une bonne santé mentale. Il se trouve que je pratique le droit français en Californie, sous le statut de Foreign Legal Consultant, et que j’y crée incidemment des « start-ups » pour de jeunes entrepreneurs européens en 24 heures chrono. Ce que je fais depuis Los Angeles vous pouvez le faire depuis Paris, Nice (mon barreau d’origine), Lyon (on y mange tellement mieux qu’à L.A.), Bordeaux (on y boit tellement mieux…), Clermont-Ferrand (on y respire si bien…), Saint-Etienne (qui restera pour moi le véritable berceau des Verts. Jeunes confrères, demandez à vos anciens à quoi je fais référence), et les dizaines de villes toutes aussi magnifiques que j’aime et qui font la France : Antibes, Rouen, Lille, Aix-en-Provence, Strasbourg, Auxerre (Guy Roux, Bâtonnier !), Boulogne-sur-Mer, Carcassonne, Saint-Gaudens, et les autres… Sans oublier mes amis de Tarbes et Narbonne (votre accent me manque à Los Angeles), Saint-Malo, Ajaccio, Bastia (je ne pouvais citer l’une sans l’autre, bien que mes pensées restent attachées au magnifique golfe de Santa Giulia), Grenoble, Le Mans, Belfort, Dunkerque, Grasse et Marseille, Rennes (bonjour, Papa), Papeete (ou mon ami Miguel Grattirola du barreau de Nice a choisi d’émigrer comme moi). Sans oublier Tarascon, évidemment.

Je m’égare, peut-être, mais qu’il m’est doucereux d’énumérer le nom de ces villes ou je compte tant d’amis confrères. Vous tous, donc, sachez qu’il vous suffit d’ajouter le nom de la société que votre client souhaite sur une simple page appelée « Articles of Incorporation », ainsi que le nombre de parts et leur valeur, le nom et l’adresse du représentant légal dans l’État où envoyer les documents officiels, et l’adresse de domiciliation de la société dans cet état. Vous envoyez par fax ou courriel ce document à un correspondant local dans la capitale de l’État qui l’enregistrera pour vous pour la modique somme d’environ 80 dollars, plus l’équivalent de nos frais de greffe sous forme d’une taxe locale de l’État où vous enregistrez la société, de 100 à 200 dollars selon l’État. C’est tout. Ce que les officines en tout genre facturent sur internet entre 200 et 500 dollars, et que nos confrères américains facturent couramment entre 1000 et 2500 dollars sans plus d’effort que de rencontrer le client moins d’une heure. Si n’importe quel site américain peut le faire sans être avocat américain, vous pouvez le faire. Ceux d’entre vous qui parlent l’anglais aussi bien que je parle le russe (ma femme est d’origine Ukrainienne mais leur alphabet est trop rebutant pour que je passe le stade des oui – non - je t’aime - je parle un peu russe - je ne parle pas russe – ya pas de koi) peuvent utiliser ces services en ligne pour environ 500 dollars tout compris et facturer entre 1000 et 2500 euros à vos clients comme le font sans rougir nos confrères américains.
C’est plus simple, plus rapide, et plus rentable qu’un divorce à l’amiable sans juge. Et les startups ne manquent pas en France qui rêvent de s’installer à New York ou en Californie (si votre client préfère le Dakota du Nord, ou le Kentucky, pas de problème, ce sont les mêmes démarches, à peu de chose près). Vous en faites une ou deux par semaine, et vos frais fixes se réduisent d’autant sans trop travailler.

Vendez de l’immigration aux Zetazunis.

Nos confrères ne verront aucun inconvénient à ce que vous vendiez en Europe à vos clients le droit d’immigrer aux États-Unis comme ils vendent le droit de l’Union Européenne à leurs clients sans y mettre les pieds. C’est tellement simple que je ne comprends pas pourquoi cette activité ne figure pas sur les sites web de mes confrères. Je reçois de nombreux appels depuis la France (beaucoup moins depuis l’élection de notre nouveau Président ; l’espoir semble avoir changé de camp) et plusieurs pays d’Europe pour connaitre les démarches et les chances d’obtenir la fameuse carte verte, couleur d’origine dans les années 50, pour passer ensuite au bleu pâle la décennie suivante, puis jaune pâle, rose, et beige aujourd’hui.
Il suffit de connaitre et savoir expliquer les principales catégories d’immigrants, leurs avantages et inconvénients, les délais d’obtention, le coût, et quel formulaire employer. Si vous avez rempli au moins une fois un formulaire de l’administration française (non compris ceux de Bercy) vous devriez pouvoir surmonter ces difficultés une fois les cases traduites en français. De surcroît, la demande doit être déposée à l’ambassade ou au Consulat des États-Unis le plus proche, ce qui renforce la légalité de mon propos si tant était besoin.

Ici encore, les sites internet fleurissent qui expliquent et vendent des « kits » d’immigration aux États-Unis. Essayez « immigrer aux usa » sur Google… Vous pouvez vous inscrire à l’association américaine AILA (American Immigration Lawyers Association), ainsi qu’au « New York State Bar Association », au « Los Angeles County Bar Association » ou encore au très chic « Beverly Hills Bar Association », qui n’ont rien à voir avec le barreau de New York ou de Californie, mais sont de simples « assoces » pour embellir votre papier à entête et votre site internet.
Je lis déjà les commentaires de certains d’entre vous, outrés par une telle tromperie. Si vous allez sur leurs sites web et que vous vous y inscrivez en payant les 200 ou 300 dollars de cotisation, vous en deviendrez les légitimes membres, sans pour autant prétendre être avocat américain. Vous restez un avocat français ou d’un barreau de l’Union Européenne qui s’intéresse aux questions d’immigration et de pratique du droit aux États-Unis, comme le font nos confrères qui vendent le droit européen de la protection des données à leurs clients sans jamais l’avoir étudié dans nos universités ni passé de « bar exam » en France ou dans l’Union Européenne.

Vendez le droit américain qui vous fait plaisir.

Vous aimez le sport ? Offrez vos services en France en droit texan du sport (San Antonio, basket, contrat sportif de stars, si vous voyez à qui je fais référence). Vous aimez la mode ? Consultez en droit New Yorkais de la mode. Droit du ski au Colorado, droit de l’automobile à Detroit (qui est en train de sortir de faillite), droit Californien des startups, du cinéma à Los Angeles, etc…
La seule restriction est de cesser de consulter et d’offrir vos services dès que vous entrez dans l’espace aérien américain, ou sur la route de l’Ouest de vos vacances, la célèbre Route 66 et ses paysages sortis d’un film d’Oliver Stone. Avant c’est good, après c’est okay, mais pas pendant. C’est ce que me disent les confrères américains que j’ai interrogés. S’il est interdit de pratiquer le droit d’un État depuis cet État sans être membre du barreau de cet état, nos confrères américains se croient libres de pratiquer le droit d’un autre état tant qu’ils le font en restant dans l’état du barreau auquel ils sont rattachés. Un avocat du barreau de New York pourrait ainsi consulter en droit californien depuis son cabinet à New York, mais pas depuis un autre état que celui de New York.
Se pose alors la question de savoir s’il peut le faire par téléphone depuis New York avec un client résidant en Californie ? Ou s’il peut donner des consultations depuis son cabinet de Los Angeles en droit de la multipropriété de Floride sans être membre du barreau de Floride. Curieusement, les quelques décisions qui existent semblent se satisfaire du seul critère d’appartenance au barreau d’où les conseils sont donnés, même si ces conseils portent sur le droit d’un autre état.

Selon mes confrères à Los Angeles, ils peuvent raconter n’importe quoi à un client new yorkais sur le droit du divorce dans l’état du Colorado tant qu’ils sont inscrit au barreau de Californie et que leurs conseils sont prodigués en Californie. Mais s’ils vont dire bonjour à Bernie dans le Vermont, ils ne peuvent donner aucun conseil en droit à quiconque. En clair, ils peuvent pratiquer le droit de tous les États d’Amérique et du reste du monde (dont celui des pays membres de l’U.E.) tant qu’ils gardent un doigt de pied sur le sol du barreau où ils sont inscrits. Dès qu’ils sortent de cet état, ils deviennent citoyens lambda sans droit d’exercer la profession d’avocat, sauf à s’adjoindre la présence d’un avocat localement inscrit où ils se trouvent (ce qu’ils appellent sans rire intervenir pro hac vice aux côtés d’un avocat postulant du barreau local).
Par effet de réciprocité, dont le principe est reconnu tant par l’Accord général sur le commerce des services que par l’Article 100 pour l’accès à la profession d’avocat des ressortissants non communautaires, un avocat français doit ainsi pouvoir consulter en droit américain, sans contrôle des connaissances ni d’autre contrainte que le respect de nos principes déontologiques, à condition qu’il exerce sur le territoire dans lequel il est autorisé à pratiquer : la France et un ou plusieurs États membres de l’U.E. où il peut s’être inscrit. Mais vous devrez vous abstenir de donner des consultations en droit français après avoir déposé vos bagages dans votre chambre d’hôtel à Santa Monica, Key West, ou Central Park, jusqu’à votre retour en France. Pas même sur le « GDPR », sauf à vous inscrire dans l’état comme Foreign Legal Consultant.

Conclusion

A l’instar de nos confrères américains et sans rougir, sortons de notre coquille gauloise et élargissons nos compétences non seulement au droit des États-Unis, de la Fédération de Russie, du Japon, de la République populaire de Chine, mais aussi de la République démocratique du Congo et de la République démocratique de Sao Tomé-et-Principe, sans oublier le droit de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et celui de Sainte-Lucie pour nos prochaines vacances. A suivre.

Bruno Genovese. Avocat au barreau de Nice. Foreign Legal Consultant au barreau de Californie.