Village de la Justice www.village-justice.com

La spoliation des immeubles immatriculés au Maroc. Par Mohammed Ait Mouhatta.
Parution : mardi 18 juillet 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/spoliation-des-immeubles-immatricules-Maroc,25521.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

D’après l’économiste français Frédéric Bastiat, la loi est spoliatrice puisqu’elle « prend aux uns ce qui leur appartient pour donner aux autres ce qui ne leur appartient pas ».

L’abrogation et le remplacement du dahir du 2 juin 1915, fixant la législation aux immeubles immatriculés, par la loi 39.08 a apporté une meilleur sécurité juridique. Tel est le cas de l’obligation de l’établissement par acte authentique ou acte à date certaine, les transaction portant sur des opérations biens définies, l’autorisation du juge pour la constitution des hypothèques pour certains biens, limitation de la durée de certains droits réels, l’effet relatif de l’hypothèque et son extinction par le seul remboursement du prêt, etc.
Contrairement à ses apports positifs, l’article 2 de la même loi dispose que même si le bien est immatriculé à la conservation foncière et que la transaction s’y rapportant a été basée sur un dol ou un faux, le propriétaire perdra son droit au profit d’un acquéreur de bonne foi, si jamais il ne se rend pas compte au bout de quatre ans, et ce à partir de la date de l’immatriculation du bien. Donc un tiers qui s’accapare un bien immobilier, en falsifiant des documents, et donc les registres fonciers, ne sera pas inquiété si la contestation faite par le véritable propriétaire survient hors délai de quatre ans prévu par l’article 2 de la loi 39.08. Cette loi oblige tout propriétaire de retirer, de manière périodique à la conservation foncière, un certificat de propriété pour vérifier qu’il est encore propriétaire ce qui est inconcevable et contraire au principe de la force probante des inscriptions sur les livres de la Conservation foncière. C’est ce principe qui explique le succès de l’immatriculation au Maroc. Une fois immatriculé, le bien immeuble est purgé de tout son passé (effet de purge).

La lecture de cet article nous pousse à penser que le législateur marocain essaye de protéger un acquéreur de bonne foi mais prend aux uns ce qui leur appartient chose qui est contre le principe de l’inviolabilité du droit de propriété consacré par les articles 21 et 35 de la constitution marocaine de l’année 2011. Ainsi la sécurisation du droit de propriété basée sur le faux encourage les malfaiteurs à se servir des failles de la loi pour déposséder les autres de leurs biens ; ce qui explique l’ampleur des actes de spoliation ces dernières années au Maroc. Ces actes ont dépassé le stade d’agissements individuels pour passer à la forme de crimes organisés dont la plus part des victimes sont des personnes qui n’habitent au Maroc, mais il y a aussi des victimes qui résident au Maroc qui possèdent des terrains mais ne s’y rendent pas régulièrement. Ses réseaux de mafias sont bien implantés dans l’administration, la conservation, la justice et autres arrondissements, protégés et loin d’être inquiétés par une quelconque loi. Une mafia rodée qui ne cesse de faire du mal à beaucoup de citoyens victimes de l’impuissance judiciaire et la complicité administrative. Elle utilise des moyens mystificateurs dans la spoliation foncière en vue de contourner la justice, tels que l’usage de fausses procurations, signées au nom des vrais propriétaires, la falsification de pièces d’identités, d’actes d’héritages ou de testaments lors de la conclusion de contrats de vente.

La gravité des actes de la spoliation ont poussé la Haute institution du Royaume chérifien à intervenir pour mettre les wagons dans les rails par une lettre adressée par sa majesté le Roi au Ministre de la justice en date du 30 décembre 2016.
Quel est le contenu de cette lettre ?
L’ampleur de la spoliation des biens immatriculés, avec un nombre considérable de dossiers devant la justice, a fait réagir le Roi Mohamed VI qui a insisté dans sa lettre, dévoilée par le ministre de la Justice et des libertés publiques : Mustapha Ramid, lors d’une rencontre tenue le mardi 17 janvier à Rabat, sur la mise en place d’une commission spéciale dédiée à lutter contre ce phénomène. Le Souverain a donné ses directives et ses ordres pour combattre comme il se doit le phénomène de la spoliation foncière. Il a appelé à la création d’un mécanisme qui aura pour mission de concevoir un plan d’action urgent visant à contrecarrer ce phénomène en faisant prévaloir la rigueur des procédures et la continuité d’action.

Plan d’action du gouvernement marocain pour contrecarrer la spoliation ?

L’accaparement des biens fonciers d’autrui constitue un sérieux danger, à cet effet Mustapha Ramid, suite à l’instruction royale, a exhorté les acteurs judiciaires concernés à se pencher sur cette question et à adopter des jugements dissuasifs proportionnels à la gravité de ces actes qui attentent à la sécurité foncière. Il a, en outre, appelé les responsables judiciaires et administratifs à optimiser la célérité de traitement de ce type de dossiers pour permettre à la justice de se prononcer dans les meilleurs délais sur ces affaires et ce, conformément à la loi.

Dans son communiqué, Mustapha Ramid a insisté aussi sur :
- la réalisation d’une publicité numérique par l’Agence Nationale de la Conservation Foncière du Cadastre et de la Cartographie concernant l’ensemble des titres foncier pour permettre des biens de consulter leurs dossiers via site internet.
- la création d’un centre électronique d’archives relatives aux contrats signés par les notaires, la prise de mesures nécessaires afin que les bureaux d’ordre des tribunaux puissent conserver des copies de contrats rédigés par les avocats ainsi que les enregistrer et les numéroter dans un registre dédié à cette fin.
- l’encouragement des propriétaires à demander des copies de leurs certificats de propriété, et d’inciter les conservateurs à ne pas restreindre les actions des sociétés civiles immobilières exerçant des activités commerciales par des titres fonciers qu’après leur immatriculation au registre du commerce.
- la prise de mesures nécessaires à l’immatriculation des sociétés civiles immobilières au registre du commerce quand elles exercent une activité commerciale, et appelle le parquet général à suivre, avec fermeté et rigueur, les enquêtes en cours concernent les affaires de spoliation des biens immobiliers d’autrui et à coordonner avec l’ensemble des intervenants en la matière afin, notamment, de contribuer à la réalisation de ces enquêtes dans des délais raisonnables et présenter les requêtes à même de favoriser les voies de recours envisageables.
- la nécessité de dresser un inventaire des biens immobiliers conservés dont la propriété revient à des absents étrangers ou marocains, de prendre les dispositions nécessaires en vue de vérifier l’authenticité des documents et contrats signés à l’étranger et ce, en contactant les autorités étrangères compétentes conformément aux conventions internationales en vigueur, ainsi que d’utiliser l’enregistrement audiovisuel lors de l’élaboration des contrats par les adouls, les notaires et les avocats.

Parmi les mesures préventives annoncées, il y a également la réalisation d’un enregistrement audiovisuel lors de l’élaboration des contrats par les adouls, les notaires et les avocats. Cet enregistrement servira aussi à démontrer qu’un client a bel et bien mandaté un cabinet lorsqu’il nie l’avoir fait. Il protège aussi contre les vols et les agressions. Des brigades spéciales de la police judiciaire seront créées pour lutter contre la spoliation foncière travaillant sous la supervision du procureur général du roi.
Pour mettre un terme à la montée des cas de spoliation de biens, une panoplie de mesures et de propositions législatives et organiques visant à faire face, de manière immédiate et ferme, aux actes liés à la spoliation des biens immobiliers d’autrui, va rentrer incessamment en vigueur.

Mohammed Ait Mouhatta. Master en Droit Public Doctorant en Droit public et sciences politiques, Laboratoire EPGOT , FSJES Mohammedia, Maroc