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Droit des cadres dirigeants : panorama de la jurisprudence 2016/2017. Par Frédéric Chhum, Avocat, et Marilou Ollivier, Elève-avocat.
Parution : mardi 18 juillet 2017
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Les cadres dirigeants, exclus des dispositions du Code du travail relatives à la durée du travail, aux repos et aux jours fériés, constituent une catégorie très restreinte de salariés.

L’article L. 3111-2 du Code du travail définit les cadres dirigeants comme les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps (1), qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome (2) et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement (3).

La Cour de cassation précise quant à elle, par une jurisprudence désormais constante, que la qualité de cadre dirigeant suppose la participation du salarié à la direction de l’entreprise.

Surtout, elle veille constamment à ce que cette notion reçoive une application restrictive. Or, les conséquences en cas de disqualification peuvent être très coûteuses pour l’employeur : le salarié peut alors demander le paiement de l’intégralité des heures supplémentaires dont il peut justifier dans la limite de la prescription de trois ans.

L’année 2016 et le premier semestre 2017 ont donné lieu à plusieurs arrêts relatifs à la qualité de cadre dirigeant. Le présent article a pour objectif d’en dresser un panorama non exhaustif mais qui se veut néanmoins complet des décisions rendues en la matière et des enseignements qu’il convient d’en tirer.

1) Les critères retenus par la Cour de cassation pour admettre/refuser la qualité de cadre dirigeant

1.1) Cass. Soc. 22 juin 2016, n°14-29.246 : l’exigence de participation à la direction de l’entreprise ne constitue pas un critère autonome qui se substituerait aux critères légaux

Par un arrêt retentissant du 22 juin 2016 (n°14-29.246) auquel la Cour de cassation a entendu donner la plus large publicité, la Chambre sociale a affirmé que les juges du fond, confrontés à une question portant sur la validité du statut de cadre dirigeant, devaient en premier lieu vérifier que les critères légaux étaient réunis et, ensuite seulement, en tirer la conclusion selon laquelle le salarié participe effectivement à la direction de l’entreprise.

Cette solution a ensuite été confirmé par un arrêt du 1er décembre 2016 (n°15-24.695).

Pour autant, l’exigence de participation à l’entreprise n’a pas été abandonnée par la Cour de cassation qui continue à en faire application (voir notamment Cass. Soc. 6 juill. 2016, 15-10.987).

Simplement, il est désormais précisé que cette exigence ne constitue pas un critère autonome susceptible de se substituer aux trois critères de l’article L. 3111-2 du Code du travail.

Il s’agit d’une constatation que doivent nécessairement faire les juges du fond mais uniquement après avoir préalablement constaté la réunion des critères légaux. En aucun cas ils ne sauraient s’en contenter pour justifier l’application de la qualité de cadre dirigeant.

1.2) Cass. Soc. 11 mai 2017, n°15-27.118 : le fait de n’intervenir qu’à un niveau décentralisé de l’entreprise ne fait pas obstacle à la reconnaissance de la qualité de cadre dirigeant

A l’occasion d’un arrêt du 11 mai 2017 (n°15-27.118), la Chambre sociale a, pour la première fois à notre connaissance, expressément affirmé que le fait d’exercer ses fonctions à un niveau décentralisé n’était pas incompatible avec la qualité de cadre dirigeant.

Il s’agissait en l’espèce d’un Chef de secteur d’une entreprise de BTP.

Il avait sous sa responsabilité deux conducteurs de travaux, un chargé d’études et quatre chefs de chantier, était en charge la partie commerciale et de la gestion technique et financière des chantiers dans son aire géographique, il avait le pouvoir de conclure tous marchés de travaux publics ou privés d’un montant inférieur ou égal à un million d’euros, sous-traiter tout ou partie desdits marchés et généralement représenter la société tant à l’égard des maîtres de l’ouvrage et des maîtres d’œuvre qu’à l’égard des tiers, il avait délégation de pouvoirs pour recruter et licencier le personnel ouvrier, appliquer les sanctions disciplinaires, prendre toutes mesures nécessaires au respect des réglementations concernant le droit social, la passation et l’exécution des marchés publics ou privés, les réglementations relatives à l’hygiène et la sécurité, l’environnement et l’absence de nuisance.

Enfin, il participait aux comités de direction sous la présidence du directeur régional et que sur un effectif de plus de mille cents personnes et faisait partie des douze salariés dont la rémunération brute annuelle était comprise entre 50. 000 et 100. 000 euros, cinq autres salariés seulement percevant une rémunération supérieure.

La Cour de cassation a retenu que « les fonctions de l’intéressé au sein de l’entreprise, même exercées à un niveau décentralisé, étaient celles d’un cadre dirigeant auxquelles les règles relatives à la durée du travail n’étaient pas applicables » (Cass. Soc.11 mai 2017, n°15-27.118).

Ce faisant, la Chambre sociale a fermement rejeté l’argument selon lequel, l’exercice de fonctions limitées à un niveau décentralisé de l’entreprise serait incompatible avec la qualité de cadre dirigeant.

2) 7 situations concrètes dans lesquelles la qualité de cadre dirigeant a été reconnue ou refusée par la Cour de cassation

La Chambre sociale de la Cour de cassation a également été amenée à se prononcer sur plusieurs cas d’espèce dans lesquels la qualité de cadre dirigeant était contestée par le salarié.

2.1) Les cas dans lesquelles la qualité de cadre dirigeant a été admise par la Cour de cassation

La Cour de cassation par exemple reconnu la qualité de cadre dirigeant à l’égard :

- Du Directeur général délégué d’une entreprise de traiteur, membre du comité de direction, indépendant dans l’organisation de son emploi du temps, bénéficiant d’une des rémunérations les plus hautes de la société et habilité à prendre des décisions de façon largement autonome. A cet égard, la Cour précise que peu importe le fait que les bulletins de paie du salarié mentionnaient 169 heures mensuelles (Cass. Soc. 6 juill. 2016, n°15-10.987) ;

- Du Directeur général d’une société russe du groupe allemand GmbH dont la rémunération se situait parmi les trois plus hautes du groupe, dont la fiche de poste démontrait qu’il bénéficiait d’une indépendance dans l’organisation de son travail et était habilité, en qualité de fondé de pouvoir, à prendre des décisions de façon largement autonome (Cass. Soc. 28 sept. 2016, n°15-10.736) ;

- Du Directeur d’un magasin du groupe Auchan présidait le comité de direction du magasin qui présidait le comité d’établissement et le CHSCT, bénéficiait d’une très large délégation de pouvoir dans tous les secteurs, notamment la gestion de la conclusion, l’exécution et la rupture des contrats de travail, participait à la définition de la politique de l’entreprise et siégeait au conseil de surveillance, pouvait engager seul des dépenses dans la limite de 100 000 euros et engager des dépenses dans la limite de 200 000 euros en accord avec le contrôleur de gestion, bénéficiait d’une totale indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et percevait la rémunération la plus élevée du magasin (Cass. Soc. 8 mars 2017, n°15-24.117) ;

2.2) Les cas dans lesquels la qualité de cadre dirigeant a été refusée par la Cour de cassation

En revanche, la Cour de cassation a invalidé la qualité de cadre dirigeant s’agissant :

- Du Directeur d’une concession automobile au sujet duquel il n’était pas établi qu’il bénéficiait d’une des rémunérations les plus importantes de l’entreprise ni qu’il participait à la direction de celle-ci (Cass. Soc. 27 janv. 2016, n°13-26.251) ;

- Du Chef de service magasin d’une enseigne d’ameublement au seul motif que celui-ci ne participait pas à la stratégie de l’entreprise ni aux instances dirigeantes de la société (Cass. Soc. 15 juin 2016, n°15-12.894) ;

- Du Directeur d’un établissant éducatif dont la fiche de poste prévoyait qu’il était chargé d’assurer la mise en œuvre du projet d’établissement approuvé par l’association au motif qu’il ne disposait pas d’une autonomie suffisante (Cass. Soc. 11 janv. 2017, n°14-21.548).

2.3) Cour d’appel de Paris, 23 mai 2017, n°14/10516 : Refus de la qualité de cadre dirigeant, rappel d’heures supplémentaire et résiliation judiciaire du contrat de travail

Dans un arrêt du 23 mai 2017 (CA Paris 6-3, n°14/10516), la cour d’appel de Paris a refusé la qualité de cadre dirigeant à une Styliste senior d’un groupe international de luxe.

Pour prononcer la nullité de son statut de cadre dirigeant, la cour d’appel a notamment retenu que :

- la styliste exerçait ses fonctions selon les instructions du directeur artistique et studio coordinateur et de ses autres supérieurs hiérarchiques et ne disposait pas de la capacité de prendre des décisions de façon autonome ;
- l’employeur n’a pas répondu à la sommation de la salarié de communiquer les bulletins de paie nécessaires pour justifier de la rémunération concrètement perçue par d’autres salariés ;
- la salariée sollicitait des autorisations d’absence, son agenda de réunions était fixé compte tenu de la disponibilité de la directrice générale ou d’autres collaborateurs, ses frais de déplacement faisaient l’objet d’une autorisation préalable de sorte qu’elle ne bénéficiait pas d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et de son travail.

De ce fait, la styliste a obtenu un rappel d’heures supplémentaires conséquent ainsi que des dommages intérêts pour non-respect du repos compensateur et des dommages intérêts pour violation du repos hebdomadaire

Enfin, la cour d’appel a retenu, outre le harcèlement moral dont la Styliste était victime, la nullité de son statut de cadre dirigeant ainsi que le défaut de paiement des heures supplémentaires dans des proportions très sensibles pour estimer que la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur était justifiée.

3) L’indemnité visant à réparer la perte de possibilité de lever des options est imposable comme un salaire (Conseil d’Etat, 22 mai 2017, n°395440)

Dans un arrêt du 22 mai 2017 (n°395440), le Conseil d’État s’est prononcé sur le régime fiscal de l’indemnité visant à réparer le préjudice résultant de la perte de la possibilité de lever des stocks options.

Le Conseil d’État a affirmé que l’indemnité pour perte du droit de lever les stock-options n’avait pas pour objet de réparer le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Partant, cette indemnité est imposable comme un salaire et « comme l’auraient été les revenus issus de la levée de l’option si le cadre dirigeant avait levé ses stock-options » sur le fondement des articles 79 et 82 du Code général des impôts.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum