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Le « visual merchandising » d’une boutique peut-il bénéficier d’une protection ? Par Louise El Yafi.
Parution : mercredi 19 juillet 2017
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L’expression visual merchandising a été introduite par les professionnels du marketing afin de décrire les techniques propres à la présentation des produits en magasin ayant pour objectif d’attirer l’attention du consommateur et de promouvoir l’offre de certains biens.

Si les compagnies se sont au départ concentrées sur le produit seul, dans son individualité, pour mieux le vendre, elles se sont ensuite petit à petit intéressées à l’environnement dans lequel tout le processus d’achat par le consommateur est perpétré, afin de donner à ce dernier les meilleures conditions dans lesquelles ils pourront choisir le produit de leur choix.

Tout le visuel intérieur et extérieur est ainsi devenu un outil indispensable à la présentation d’un produit et à sa commercialisation à travers des designs parfois des plus complexes et au coût non négligeable pour les compagnies.

Ce projet visuel suppose toutefois, en plus du marketing, des talents de design, d’architecture, de peinture, de communication, de psychologie sociale et de toutes les études nécessaires à l’analyse de l’image d’une marque. On pense notamment à toute la mise en place de la lumière, des couleurs, du positionnement dans l’espace du décor et des produits, de la taille des fenêtres si fenêtres il y a, de la musique, de la photographie et même parfois du parfum.

Mais l’ensemble de ce travail peut-il être protégé ?

Au regard de la jurisprudence, il ne semble pas possible d’établir une solution constante. En effet, dans sa très connue décision Apple, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a admis, mais seulement en principe, que le visual merchandising des boutiques Apple pouvait bénéficier d’une protection. La décision avait surpris, au vu de l’extrême simplicité du visuel en question.

A contrario, l’Office de l’Union européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) avait refusé l’enregistrement de la marque européenne 3D de KIKO. Le fabricant de cosmétiques avait en effet contacté une agence d’architectes afin de créer des concepts stores innovants et surtout distincts de leurs concurrents. Le projet aboutit à l’ouverture de pas moins de 300 boutiques en Italie au design minimaliste et symétrique.

Peu après, Wjcon S.r.l, un des concurrents directs de KIKO, ouvrit de nouvelles boutiques en Italie, qui selon KIKO, rappelaient fortement le design et les couleurs choisies pour ses espaces à lui.
La cour de Milan accorda à KIKO la protection du visuel de ses boutiques en vertu des règles de copyright et de concurrence.

Pourquoi, cependant, de telles différences dans les décisions ? Pourquoi, la solution apportée par la Cour de Milan se distinguerait aussi substantiellement de celle de l’EUIPO ? En réalité, KIKO avait gagné devant le juge italien en soutenant que l’installation de ses boutiques constituait un travail architectural bénéficiant par conséquent d’un copyright en vertu de l’article 2 n.5 de la Legge Diritto Autore (droit italien du copyright).

Alors quelle solution appliquer ?

Si la CJUE a effectivement affirmé, dans l’affaire Apple que « la représentation telle que celle en cause au principal, qui visualise l’aménagement d’un espace de vente au moyen d’un ensemble continu de lignes, de contours et de formes, peut constituer une marque à condition qu’elle soit propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises » et ne refuse pas totalement la protection au visual merchandising, elle ne la consacre pas complètement non plus. En effet, dans de futurs cas similaires à celui d’Apple, la Cour fera probablement dépendre sa décision des circonstances et de si notamment le signe en question est capable d’assurer sa fonction de marque.

Pourquoi cependant est-il si complexe d’arriver à une solution finale et constante en la matière ?

Parce qu’il est facile de remarquer dans les décisions la place omniprésente de la notion de « concept » ou autrement dit l’un des termes les plus fourre-tout existant.
Un concept peut être défini comme l’ensemble des idées originales servant de base à l’élaboration d’une démarche structurée pour la création d’un produit. L’essence même d’un concept est donc son abstraction. Il s’agit purement et simplement d’une vue de l’esprit. D’où le fait qu’il soit si complexe d’en assurer la protection pour le juge.

La jurisprudence en la matière fait en fait preuve d’un immense manque d’innovation. En s’agrippant de toutes ses forces aux règles traditionnelles de propriété intellectuelle, elle en oublie leur base commune : la définition et la reconnaissance de l’identité d’une création.
En effet, dans les règles du copyright, c’est l’identité du travail qui accorde la reconnaissance et l’attribution exclusive de droits à l’auteur. Dans les droits de marque, c’est la correcte identification de la forme représentée par la marque qui protège le message qu’elle intègre. Dans les règles applicables aux designs (et aux brevets), c’est la comparaison entre l’identité formelle de l’ancien produit et du nouveau qui satisfait aux conditions de protection.

Dans le cas du visual merchandising, l’identité est claire : c’est le fait de créer un environnement agréable et attirant qui retient le consommateur dans une boutique avec pour objectif de le faire acheter les produits présentés dans ce même espace.

Il n’existe ici aucune concurrence avec d’autres produits, ni de risque de confusion, ni d’information fausse ou encore de risque de tromperie. La science elle-même le dit, c’est le visuel de l’entrée du magasin sur laquelle le service marketing de la marque en question va principalement se concentrer pour mieux vendre. Plus que la disposition même des produits.

Le problème des décisions précitées est qu’elles ne prennent pas en compte l’importance de ce genre de données. Les juges s’accrochent tant bien que mal au droit positif, utilisant par exemple le droit des marques tridimensionnelles pour le travail architectural par exemple. Ils en limitent cependant inévitablement la protection en oubliant la caractéristique propre à la notion de « concept » : le lien entre identité de la création et les modifications qui lui sont inhérentes. On pensera ainsi au roulement des produits déjà installés et au placement des nouveaux, au changement très rapide de la mode et des tendances et au caractère imprévisible des interactions entre la boutique, ses responsables, ses vendeurs, et le client.

La meilleure solution, en attendant une décision finale et suivie, sera probablement de ne pas retenir le risque de confusion entre marques mais plutôt le copyright sur le design architectural de ces concepts store. Le copyright a en effet l’avantage de protéger non pas la stratégie d’une maison mais le travail d’un individu créatif.

Louise El Yafi Fondatrice de LUXURYANDLAW.COM, Référence en Droit du Luxe et de la Mode. www.luxuryandlaw.com