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Motivation des sanctions en matière de contrôle T2A : quelques précisions. Par Audrey Uzel, Avocat.
Parution : jeudi 20 juillet 2017
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Tous les moyens sont bons pour tenter d’obtenir l’annulation de la sanction prononcée par l’Agence régionale de santé à l’encontre d’un établissement, à la suite d’un contrôle T2A ayant conduit à la notification d’un indu par l’assurance maladie.

Un arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy met en lumière la portée de différents arguments, souvent invoqués devant le juge (CAA Nancy, 4 mai 2017, n° 16NC00016).

I- Des piqûres de rappels

1- Le défaut de motivation de la décision de sanction

L’établissement soutenait que la décision de sanction n’était pas motivée. Les conseillers de l’ordre administratif ont confirmé que la motivation peut intervenir par référence aux différents actes de la procédure contradictoire. Une simple référence suffit, sans que l’acte auquel l’ARS se réfère n’ait besoin d’être joint à la décision de sanction. Les juges soulignent en outre que la précision des observations présentées par l’établissement dans le cadre de la procédure contradictoire révélait l’existence d’une motivation. Ainsi, la CAA de Nancy s’inscrit pleinement dans la jurisprudence du Conseil d’État (voir notamment CE, 7 mai 2015, n° 366933 et 373313 ; CE 30 déc. 2015, n° 327213).

Enfin, concernant l’avis de la commission de contrôle, l’établissement invoquait l’absence de réponse à ses observations et l’absence de précision sur la gravité des manquements, éléments indispensables à la définition du montant de la sanction. Ce moyen ne pouvait manifestement prospérer dès lors que l’avis « rappelle la nature et le nombre des manquements constatés au cours des opérations de contrôle, indique l’appréciation portée par la commission sur le degré de gravité de ces manquements et mentionne le montant de la sanction proposée eu égard à cette gravité ; qu’en indiquant dans son avis que les remboursements indus sont intervenus à raison d’une activité pour laquelle la société requérante ne bénéficiait d’aucune autorisation sanitaire, la commission de contrôle a nécessairement entendu écarter les arguments avancés en sens contraire par la société ; qu’ainsi, cet avis est suffisamment motivé »

2- La méconnaissance du principe d’impartialité

Dès la mise en place de la procédure de contrôle de la tarification à l’activité, les établissements s’étaient élevés contre le mélange des genres. En effet, le contrôle est réalisé par des médecins de l’assurance maladie, organisme qui recouvre tant l’indu notifié que le montant de la sanction. Également, l’UCR intervient pour valider ou non les observations de l’établissement, alors qu’elle est elle-même composée de médecins de l’assurance maladie.

Le Conseil d’État avait rappelé en son temps que la procédure instaurée par le Code de sécurité sociale n’était pas, en soi, contraire au principe d’impartialité (CE, 7 juin 2010, n° 338531, publié au Recueil). Il invitait donc le requérant à démontrer la méconnaissance du principe d’impartialité.

En l’espèce, l’établissement de santé soutenait qu’un membre de l’UCR avait siégé dans la commission de contrôle chargée de rendre un avis sur le projet de sanction. La Cour administrative d’appel de Nancy balaie cet argument aux motifs que « si le responsable de l’unité de coordination régionale a également assisté à cette même séance, en tant qu’invité d’honneur et sans disposer de voix délibérative, il n’est pas établi que l’intéressé aurait lui-même participé aux opérations de contrôle de l’activité de la société requérante, ni qu’il aurait eu un intérêt direct et personnel à l’affaire concernant cette société ou aurait manifesté une animosité personnelle à son endroit ; qu’ainsi, la présence du responsable de l’unité de coordination régionale ne révèle pas un manquement au principe d’impartialité ».

Pour que le principe d’impartialité puisse porter ses fruits, il faudrait donc que l’établissement démontre que la présence d’un membre de l’UCR lors de la commission de contrôle ait eu une incidence sur la décision rendue. Et encore, nous ne pouvons que nous interroger sur la portée de cet argument. En effet, s’agissant d’un simple avis consultatif, le pouvoir de sanction étant détenu par le Directeur général de l’ARS, l’établissement devra en plus démontrer devant le juge administratif que ce vice de procédure a eu une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie, au sens de la maintenant célèbre jurisprudence Danthony (CE, 23 décembre 2011, n° 335033). Et ce n’est pas chose aisée.

3- L’indépendance des procédures de recouvrement d’indu et de sanction

Si le juge administratif n’a pas à surseoir à statuer dans l’attente de la décision rendue par le juge judiciaire en matière de répétition d’indu (CAA Lyon, 9 juin 2011, n° 10LY01329), l’établissement soutenait que le Directeur général de l’ARS devait attendre l’issue de la procédure judiciaire avant de prononcer une sanction.

Sans trop de surprise, le juge administratif rappelle que « l’action en répétition de l’indu mise en œuvre par l’organisme de prise en charge et la procédure conduisant au prononcé d’une sanction en application de l’article L. 162-22-18 du Code de la sécurité sociale sont indépendantes l’une de l’autre et peuvent être poursuivies concomitamment, alors même que le montant de la sanction est déterminé par référence, notamment, au montant des sommes indûment perçues par l’établissement de santé ».

Cette position résulte, à notre sens, des dispositions de l’article R. 162-35-5, IV du code de sécurité sociale qui dispose que « lorsqu’une décision juridictionnelle exécutoire aboutit à un montant d’indu inférieur à celui notifié initialement à l’établissement et que la sanction prenant en compte l’indu contesté a déjà été notifiée, le directeur général de l’agence régionale de santé procède au réexamen du montant de la sanction en fonction du montant d’indu résultant de la décision juridictionnelle ».

Il ne fait donc pas de doute que la procédure judiciaire est sans incidence sur la poursuite de la procédure de sanction. Si un indu venait à être annulé ou réduit par le juge judiciaire, l’établissement aurait tout intérêt à informer le Directeur général de l’ARS et demander la revalorisation de la sanction.

II- De nouvelles précisions

1- L’inopposabilité du guide méthodologique

L’établissement contrôlé contestait la réalité des manquements qui lui étaient reprochés. Pour ce faire, il faisait valoir que l’administration ne produisait pas les dossiers argumentaires en principe réalisés par les médecins chargés du contrôle. Le guide méthodologique laisse en effet aux médecins contrôleurs le soin de faire des copies des éléments médicaux nécessaires à la démonstration du bien-fondé de leur position. En d’autres termes, l’argument soulevé par l’établissement revient à demander à la CPAM de prouver le bien-fondé de l’indu en produisant toute pièce justificative, preuve qui revient à l’ARS dans le cadre d’une procédure de sanction.

La cour administrative d’appel de Nancy souligne que le guide du contrôle externe régional est dépourvu de tout caractère normatif. Il n’est donc pas opposable. Cela revient à dire que si les médecins contrôleurs venaient à notifier un indu en invoquant les dispositions du guide méthodologique (ce qui paraît peu probable puisque ce guide ne vise qu’à « encadrer » la procédure de contrôle), l’indu ne reposerait sur aucun fondement. A bon entendeur…

2- L’appréciation du caractère réitéré des manquements

Dans la continuité du défaut de motivation de la décision de sanction, l’établissement soutenait que l’ARS ne justifiait pas de l’exactitude des éléments retenus pour le calcul de la sanction.

Il est vrai que le tableau généralement joint à la décision de sanction, définissant les montants de recettes annuelles d’assurance maladie, n’est pas des plus limpides. Certains médecins DIM se trouvent parfois démunis pour apprécier les bases de calcul de la sanction et s’assurer de leur exactitude.

La cour administrative d’appel de Nancy souligne pourtant qu’il appartient au requérant de démontrer l’inexactitude des éléments invoqués pour le calcul de la sanction.

3- La charge de la preuve pesant sur l’établissement pour le calcul de la sanction

Enfin, l’établissement invoquait la disproportion de la sanction financière, voire l’impossibilité de prononcer une sanction à son encontre, en l’absence de gravité et de caractère réitéré des manquements.

En effet, l’article R. 162-32-4 du Code de sécurité sociale précise que « la sanction est fixée en fonction de la gravité des manquements constatés et de leur caractère réitéré ». La question était donc de savoir s’il s’agissait de critères cumulatifs nécessaires pour prononcer une sanction.

La cour administrative d’appel de Nancy répond par la négative en considérant que « si le montant de la sanction financière est notamment fixé en fonction de la gravité des manquements constatés et de leur caractère réitéré, l’absence de réitération de ces manquements ne fait pas pour autant obstacle au prononcé d’une sanction ».

En bref :

La tendance se confirme et le juge administratif rejoint l’ordre judiciaire en « protégeant » les décisions rendues par l’ARS en matière de T2A. L’étau se resserre et les établissements devront faire preuve d’originalité pour contester la sanction prononcée. Le moyen tiré du défaut de motivation semble devenir un moyen sans portée véritable alors qu’il avait entraîné l’annulation en cascade des premières décisions de sanction T2A. Dorénavant, une grande partie de la défense se fera sur le fond.

Cette jurisprudence confirme que l’établissement doit faire preuve d’une extrême rigueur dans la gestion de ce contrôle, et ce dès la notification du contrôle. Il doit pouvoir disposer d’éléments particulièrement pertinents pour asseoir sa position. Car c’est sur lui que repose la charge de la preuve que ce soit de l’absence de manquement ou du caractère disproportionné du montant de la sanction.

Établissements de santé, à vos armes !

Audrey UZEL SELARL KOS AVOCATS Avocats au Barreau de Paris