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Le secrétariat de demain sera-t-il virtuel ?
Parution : mardi 25 juillet 2017
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L’intelligence artificielle semble annoncer un bouleversement pour les professions juridiques, dans leurs pratiques comme dans la conception de leurs services. Mais qu’en est-il des fonctions support, comme le secrétariat ?
Si les outils informatiques permettent déjà de simplifier certaines tâches, certains travaillent ou proposent aujourd’hui des outils plus évolués pour la prise de rendez-vous ou de messages.
Alors, Siri sera-t-elle votre prochaine secrétaire juridique ?

Posée ainsi, la question est un tantinet provocatrice – et pour l’instant irréaliste. Mais des outils vont permettre de déléguer des tâches simples relevant du secrétariat. Getela par exemple, une société de permanence téléphonique externalisée, proposera bientôt Donna, un service d’intelligence artificielle pour la prise de rendez-vous et de message par téléphone. Et Julie Desk, depuis janvier 2015, offre la possibilité d’organiser des rendez-vous par email.

Julien Hobeika, CEO de Julie Desk

L’objectif est bien évidemment d’économiser du temps. «  On peut passer une demi-journée par semaine à organiser des rendez-vous, souligne Julien Hobeika, CEO de la société. Nous avons donc souhaité faire économiser ce temps-là aux personnes qui prennent en charge ce type de tâches. » Adressé à tous types de sociétés, le service pourrait être utile aux avocats. « Nous avons des avocats dans notre clientèle. Ce n’est pas la plus facile, car ce ne sont pas ceux qui se penchent le plus facilement sur les innovations qui peuvent faciliter la pratique de leur métier. Mais, comme tous les métiers de conseil, les avocats ont une forte interaction avec des clients, et de facto, ils passent un temps non négligeable à les rencontrer et à organiser des rendez-vous. » L’outil intéresse aussi les directions juridiques : « Nous travaillons actuellement sur une expérimentation chez un de nos prospects, et la demande initiale vient notamment du service juridique : ils trouvent qu’ils prennent beaucoup trop de rendez-vous. Avec tout ce qu’ils ont à faire, quand des solutions existent pour s’en libérer, ils sont ravis. »

Concrètement, comment ça marche ? Lorsque vous souhaitez organiser un rendez-vous, Julie doit être mise en copie du mail adressé à votre interlocuteur. Elle reprend ensuite la conversation, en proposant les disponibilités qu’elle aura collectées en ayant accès à votre agenda. A la suite des échanges, elle détermine une date avec toutes les informations réunies, et envoie une invitation pour finaliser la prise de rendez-vous. Un fonctionnement qui suppose alors deux pré-requis : un agenda disponible en cloud, afin qu’elle puisse y accéder, et de l’organisation. Pour lui déléguer la tâche, toutes les informations doivent être consignées dans cet agenda.

Si Julie est relativement autonome, rien n’est cependant laissé au hasard, et chaque échange est surveillé, comme l’explique Julien Hobeika : « Une partie est gérée par l’intelligence artificielle, qui comprend le langage naturel humain, prend les informations dans votre agenda et apprend la façon dont vous fonctionnez. Mais nous accordons une grande importance à la qualité, et n’hésitons pas à mettre en place de la supervision humaine. Nous avons donc des employés qui vérifient les emails avant qu’ils partent, pour être capables de corriger une éventuelle erreur avant même que cet email arrive à nos clients ou à leurs interlocuteurs. Nous ne vendons pas une technologie, mais un service. Et nous voulons rendre un service parfait. » L’humain ne disparaît donc pas complètement derrière la machine.

Quel impact sur le secrétariat ?

Ce type d’outils présente un avantage évident pour les avocats qui n’ont pas d’assistant ou de secrétaire. Mais quelles sont les conséquences pour les postes de secrétariat ? « Je ne pense pas que cela puisse remplacer une secrétaire ou secrétaire juridique, précise Julien Hobeika. D’autres tâches administratives, qui demandent du temps, sont très dures à automatiser. »

Thierry Blaise, directeur administratif de l’Enadep

Sans supprimer la fonction, il faudra néanmoins la repenser. Nier l’impact de ces nouveaux outils serait une erreur pour Thierry Blaise, directeur administratif de l’Enadep [1] : « Quand on parle du secrétariat juridique dans les cabinets d’avocats, on se heurte toujours à cette même difficulté qui a trait à l’hétérogénéité des structures et des modalités d’organisation. Pour autant, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une firme du droit pourvue de plusieurs centaines de salariés, ou d’un avocat indépendant, ou qui partage avec d’autres confrères un élément de fonction support, externalisé ou pas, le digital est déjà là. Il réforme déjà les structures, et je pense que le processus n’en est qu’à son commencement. »

Il faut donc réfléchir à la place que prendra le secrétariat dans une telle évolution. Quelles tâches déléguer ? Quelles compétences acquérir ? « La question reste ouverte sur les compétences de demain, confirme Thierry Blaise. Je pense qu’elles seront moins juridiques, sauf volonté de l’employeur, qui pourrait préférer confier à ses salariés la réalisation d’un certain nombre de tâches à faible valeur ajoutée, pour s’attacher à travailler sur des dossiers à forte valeur ajoutée. Mais je pense que nous avons déjà changé de paradigme : l’expertise des fonctions support se fera moins sur une fine connaissance du droit que sur des compétences plus transverses, digitales, liées à la gestion, à l’organisation, ou à la communication. »

Et comment s’y préparer ? Pour Thierry Blaise, cette évolution doit se faire collectivement. « Les secrétaires juridiques doivent développer des compétences digitales, mais elles ne peuvent pas le décréter si la structure qui les accueille n’est pas en mesure de réfléchir à une organisation. On est moins sur une stratégie individuelle que sur une réelle prise de conscience de réorganisation des services des cabinets d’avocats avec le digital. Les salariés, soucieux de se doter de nouvelles compétences, peuvent avoir des stratégies personnelles. Cependant, si l’organisation qui les emploie ne leur permet pas de mettre en pratique ces nouvelles compétences, il faudra les faire valoir auprès d’autres structures. Mais leur devenir dépend plus généralement de la profession d’avocat elle-même. »

L’évolution des fonctions support doit en effet faire partie d’une réflexion plus globale, et est étroitement liée à celle des avocats. « Le clap de départ est donné, et je pense qu’il s’agit d’une mobilisation de tous, pas seulement les salariés d’un côté et les employés libéraux de l’autre. La transformation collective passe aussi par la formation initiale des avocats, des formations plus pratiques, portées par des objectifs plus opérationnels, sur le faire et non pas le savoir. Et c’est aujourd’hui impossible de faire sans digital. » La transformation du monde juridique déterminera donc l’avenir de chaque élément qui le compose.

Clarisse Andry Rédaction du Village de la Justice

[1Ecole nationale de droit et de procédure

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