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Le droit d’auteur des architectes. Par Dalila Madjid, Avocat.
Parution : mercredi 26 juillet 2017
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« Ainsi, durant les six mille premières années du monde (...) l’architecture a été la grande écriture du genre humain ». (Victor Hugo, Notre Dame de Paris)

Aux termes de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont considérés comme des oeuvres de l’esprit, les oeuvres d’architecture, les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à l’architecture.

1- L’œuvre architecturale doit être originale pour être protégée par le droit d’auteur

Les œuvres architecturales ont pour particularités que l’architecte ne peut créer librement. Il est souvent contraint par « les demandes du maître d’ouvrage et les fonctions de l’ouvrage ».

Néanmoins, les plans d’architecte, les croquis, les maquettes, mais également les édifices conçus par l’architecte sont protégés par le droit d’auteur, dès lors qu’ils présentent un caractère original (Cass. 1e civ. 6 mars 1979, SARL Le Mas Provençal / Carlier ; Cass., 1ère civ., 12 novembre 1980, n° 79-13.544).

L’originalité est appréciée souverainement par les juges du fond. Ainsi, il a été reconnu deux critères pour déterminer l’originalité d’un bâtiment :
- « un caractère artistique certain », c’est-à-dire, lorsque l’architecte auteur crée des formes particulières, quel qu’en soit le mérite ou le caractère esthétique, « distinctes des nécessités techniques »,
- et « le fait qu’il ne s’agisse pas d’une construction en série » (CA Riom 26 mai 1967).

En somme, une œuvre est protégée dès lors qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.

2- Les droits patrimoniaux et le droit moral de l’architecte sur son œuvre originale

L’architecte a des droits patrimoniaux en vertu desquels il est seul habilité à autoriser la fabrication et l’exploitation de son œuvre et de l’image de cette dernière.

En effet, aux termes de l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’architecte jouit sur son œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

En vertu de son droit moral, l’architecte dispose d’un droit au respect de son œuvre et d’un droit de paternité (article L. 121-1 du Code susvisé « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité (...) »).

Ainsi, il est seul, en sa qualité d’architecte auteur, à pouvoir décider de la divulgation, de la modification ou l’adaptation de son œuvre et son nom doit être mentionné sur tout plan, toute étude ou tout bâtiment, qui est original.

Le droit moral de l’architecte auteur s’exerce dans les rapports avec les maîtres de l’ouvrage.

Toutefois, l’architecte peut se trouver confronter à la problématique suivante :

3- La problématique de la modification de l’œuvre architecturale et la portée du droit moral de l’architecte auteur

En principe, au cours de la réalisation de la construction d’un édifice, l’architecte auteur peut s’opposer à la dénaturation de son œuvre, telles que lui permet les dispositions du Code de la propriété intellectuelle qui pose le principe du respect de l’œuvre architecturale découlant du droit moral.

Toutefois, il ressort de la jurisprudence constante que le droit moral de l’architecte auteur a du mal à s’appliquer. En ce qu’il a été jugé qu’il est interdit à l’architecte d’imposer une « intangibilité absolue de son œuvre », à laquelle le propriétaire du bâtiment est en droit d’apporter des modifications qui sont légitimées par la nécessité de l’adapter à des besoins nouveaux.

Dans une autre affaire, publiée au bulletin, dans laquelle une société avait confié à un architecte la conception d’un projet d’immeuble de bureaux. Pour des raisons financières, seule la première tranche de travaux avait été réalisée. Le terrain sur lequel avaient été édifiées les fondations de la seconde tranche de travaux inachevée avait ensuite été cédé à une société tierce qui avait confié à un nouvel architecte le soin d’y construire un nouvel immeuble.

Le premier architecte avait alors assigné en responsabilité la société ayant édifié le nouvel immeuble ainsi que la société qui devait y installer son siège social, en faisant valoir que ce nouvel immeuble porterait atteinte au droit moral qu’il détient sur son œuvre d’architecture.

La Cour de cassation a adopté la même position que les juges du fond, qui a décidé que l’architecte : « s’était vu confier une mission de conception et de réalisation d’un immeuble à usage de bureaux, dont il n’a réalisé qu’une partie du projet initial correspondant à la première tranche, la seconde ayant été abandonnée, n’en a pas déduit contrairement au grief du moyen, qu’il avait renoncé à son droit moral, mais a retenu à bon droit que celui-ci ne faisait pas obstacle à l’édification d’un bâtiment mitoyen dont l’architecture s’affranchissait du projet initial ».

Autrement dit, ce qu’il faut retenir de l’arrêt de la Cour de cassation, c’est qu’à partir du moment où le maître d’ouvrage initial s’est affranchi du projet initial, et que la seconde tranche du projet avait été abandonnée définitivement par l’architecte auteur, le maître d’ouvrage pouvait édifier en lieu et place d’une construction inachevée un nouveau bâtiment et ce, sans méconnaître le droit moral de l’architecte (Cass. 1e civ. 17 oct. 2012 n°11-18638).

En somme, l’œuvre d’un architecte auteur peut être modifiée, au grand dam de son droit moral, à condition que les modifications soient indispensables au but recherché.

En effet, concernant la limite et la portée du droit d’auteur de l’architecte, la réponse suivante, apportée au ministère de la Culture, résume l’état actuel du droit moral des architectes :
« Il résulte toutefois de la jurisprudence civile que le respect dû au droit moral de l’auteur doit être concilié avec les prérogatives du propriétaire du support matériel de l’œuvre et qu’un équilibre doit être réalisé entre, d’une part, le droit de l’architecte à la protection de sa création artistique et, d’autre part, les droits du maître de l’ouvrage et les nécessités d’évolution de l’édifice.

Ainsi, la jurisprudence ne refuse pas au propriétaire du support matériel de l’œuvre la possibilité d’y apporter des changements mais subordonne la licéité des modifications à la démonstration d’un motif légitime apprécié au cas par cas. Des transformations apportées à un immeuble ont ainsi pu être légitimées lorsqu’elles étaient motivées par l’existence d’intérêts supérieurs (impératifs techniques de sécurité, respect des règles d’urbanisme...), par la nécessaire adaptation de l’édifice dans l’espace et dans le temps ou encore par les besoins de l’entreprise. Le respect du droit moral des architectes met en tout état de cause à la charge du propriétaire d’un immeuble une obligation de demander l’autorisation de l’architecte auteur de l’ouvrage avant toute modification de ce dernier ou, à tout le moins, de l’informer lorsque cette modification s’impose en raison d’un des motifs précités ».

4- L’absence de la liberté de panorama et les exceptions au droit d’exploitation de l’architecte

- Toute reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite. Contrairement aux autres États membres de l’Union européenne, il n’existe pas, en France, d’exception sur les œuvres situées dans l’espace public, appelée liberté de panorama, qui « est une exception au droit d’auteur par laquelle il est permis de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public. Selon les pays, cette exception peut concerner les œuvres d’art ou les œuvres d’architecture ».

Ainsi, est condamnée comme contrefaçon une carte postale représentant la Géode de la Cité des sciences et de l’industrie, œuvre d’Adrien Fainsilber, qui « a pour objet essentiel la représentation de ce monument » (CA Paris du 23 octobre 1990).

Ou encore une autre représentant la « Grande Arche de la Défense », œuvre de Johann Otton Von Spreckelsen, parce que l’œuvre figure « dans un panorama dont elle constitue l’élément central ou tout au moins partie d’un cadre naturel non protégé ». Le tribunal ajoute que : « la jouissance du droit d’auteur ne saurait être battue en brèche par aucune des considérations (...) tirées de la vocation attribuée au monument ou de l’origine des derniers ayant permis son financement » (TGI Paris 12 juillet 1990).

Inversement, la jurisprudence admet traditionnellement deux exceptions au droit d’exploitation de l’architecte :
- l’exception pour copie privée, issue de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle : Le touriste qui réalise le cliché d’un édifice à des fins personnelles ou familiales, n’a pas à solliciter l’autorisation de l’architecte.
- la théorie de « l’arrière plan » et de « l’accessoire », développée par la jurisprudence : « La représentation d’une œuvre située dans un lieu public n’est licite que lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté »« Le droit à protection cesse lorsque l’œuvre (...) est reproduite non pas en tant qu’œuvre d’art, mais par nécessité, au cours d’une prise de vue dans un lieu public ».
Ainsi, il n’est pas nécessaire de rechercher l’autorisation de l’auteur quand l’œuvre figure en arrière-plan dans la scène d’un film. La reproduction est également libre quand l’œuvre considérée occupe une place très secondaire sur une photographie. (CA Paris 14 sept. 1999)

Alors qu’il était question d’intégrer la liberté de panorama en droit français, les parlementaires ont finalement opté pour une exception plus limitée.

Il est désormais permis pour les seuls particuliers et dans un usage dénué de tout caractère commercial de diffuser en ligne la photographie d’une œuvre architecturale sans obtenir l’accord préalable de son auteur ou de ses ayants-droits. En revanche, la diffusion sans autorisation de la photographie d’une œuvre architecturale protégée sur des portails commerciaux ou hébergeant de la publicité, notamment les réseaux sociaux, reste à l’inverse interdite.

En effet, l’article 39 de la loi pour une République numérique, promulguée le 7 octobre 2016, vient compléter l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que l’auteur d’œuvres architecturales ne peut en interdire les reproductions et représentations, uniquement si elles sont réalisées par des personnes physiques à l’exclusion de tout usage à caractère commercial.

Dalila Madjid Avocat au Barreau de Paris e-mail: dalila.madjid@avocat-dm.fr blog : https://dalilamadjid.blog site : http://www.avocat-dm.fr/