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Le projet de « droit a l’erreur » en matière fiscale : nihil novi sub sole... Par Gildas Neger, Docteur en droit.
Parution : jeudi 27 juillet 2017
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Une déclaration fiscale mal remplie ou incomplète ?
C’est l’amende assurée !

Tout le monde le sait, tout le monde râle et - presque - tout le monde paye.

Partant de ce constat, et nonobstant la déclaration de Bruno Parent, patron de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) pour qui « le fait de commettre une erreur n’est pas sanctionné, hors le paiement des intérêts de retard  », le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin présente ce mercredi 26 juillet, en Conseil des ministres, un projet de loi sur le « droit à l’erreur », qui prétend modifier les relations entre l’administration et les usagers en ce sens.

L’objectif de cette loi en devenir serait d’acter que la bonne foi est présumée. Que toute personne physique ou morale ayant involontairement méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ne subira plus ni amende ni privation de droit, si elle rectifie son erreur, à son initiative ou quand l’administration le lui demande. Il s’agit, selon le ministre, d’une « révolution culturelle  » (sic).

Des propos qui, au passage, prennent le contrepied de la déclaration de Bruno Parent…

« Il s’agit de passer d’une administration de contrôle à une administration de conseil et d’accompagnement », a expliqué le ministre à la mi-juin dans un entretien aux Echos. Fi donc des sanctions en cas de bonne foi.
Avec ce texte, ce serait ainsi à l’administration de démontrer la mauvaise foi des usagers, a précisé à l’AFP l’entourage du ministre, qui évoque une véritable « inversion de la charge de la preuve »…

Pour autant, il convient de relativiser les affirmations du ministre.

En effet, pour être sanctionné d’une amende, il faut l’accomplissement conscient d’une infraction et il incombe déjà à l’administration de démontrer cette conscience. Il n’y aura donc avec ce texte aucun renversement de la charge de la preuve.

En effet, « les omissions ou inexactitudes que peuvent commettre les contribuables dans leur déclaration sont présumées involontaires. Dès lors, quels que soient les impôts, droits, taxes ou redevances en cause, les majorations prévues par l’article 1729 du CGI ne peuvent être appliquées que si l’administration établit le caractère délibéré (la « mauvaise foi » NDA) de l’omission ou de l’inexactitude  ». BOI-CF-INF-10-20-20-20170308

Également, l’article 195 A du Livre des Procédures Fiscales dispose que : « En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d’affaires, des droits d’enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l’administration  » (195 A LPF).

A cet égard, la cour administrative d’appel de Paris a, au moins à deux reprises, condamné l’administration fiscale pour n’avoir pas prouvé la « mauvaise foi » de contribuables (Cour administrative d’appel de Paris 31 mai 2012 et 14 juin 2012).

Dans le premier arrêt, la cour sanctionne l’administration au motif que « l’administration, qui n’allègue pas que les irrégularités invoquées auraient déjà été constatées au cours d’un précédent contrôle, ne peut être regardée comme apportant la preuve de la mauvaise foi de la société La Compagnie des Crêpes, qui doit dès lors être déchargée des pénalités correspondantes ».

Dans le second, elle considère que « considérant qu’en se bornant à invoquer l’absence de pièces justificatives de recettes concernant l’exercice clos le 31 décembre 2001 (…) l’administration n’apporte pas la preuve dont elle a la charge de la mauvaise foi de la requérante, qui doit dès lors être déchargée des pénalités correspondantes ».

Force est donc de constater, contrairement à ce que soutient le ministre, que le nouveau texte ne changera pas grand-chose. Et, en tout état de cause, qu’il ne viendra pas « renverser la charge de la preuve » en faveur du contribuable.

Il suffit simplement, mais là c’est une autre affaire, de faire valoir ses droits devant les juridictions administratives. Pour certaines personnes le coût et le temps ne sont pas un problème. Pour d’autres, la grande (la très grande) majorité, si.

Au final la proposition de loi est donc, sur ce sujet, totalement dénuée d’intérêts puisqu’il s’agit d’un simple rappel du droit qu’appliquent déjà les tribunaux.

Bref, une mesure éminemment politique mais vide de sens qui fait couler beaucoup d’encre (dont la mienne !) pour rien.

Gildas Neger Docteur en Droit Public