Village de la Justice www.village-justice.com

Direction juridique : recruter un avocat independant ?... Et pourquoi pas un senior ?
Parution : mercredi 2 août 2017
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/direction-juridique-recruter-avocat-independant-pourquoi-pas-senior,25612.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

En France, on s’aperçoit que les avocats sont de plus en plus nombreux à franchir le cap … mais pas après 5 ans de barreau ! Et encore moins lorsqu’ils sont « estampillés » seniors selon les paradigmes souvent aléatoires de la société actuelle. En outre, lorsque les entreprises cherchent à recruter un avocat, elles ont tendance à rechercher en consultant les cabinets d’avocats avec lesquels elles travaillent … Surtout des grands cabinets, comme les exemples cités infra le montrent ! Or, les avocats des grands cabinets ne représentent que 25 % de l’effectif total de la profession et sont surtout localisés sur Paris et dans les plus grandes villes de France. Mais quid des 75% restants ? Ils peuvent constituer un vivier intéressant pour les entreprises en recherche de directeurs juridiques.

Afin de redynamiser leur carrière, ou en quête de nouveaux défis, certains avocats envisagent le passage à la profession de directeur juridique comme une option motivante et un nouveau challenge.

Comme le relève Sophie Biri-Julien (La Lettre des juristes d’affaires), dans un article paru aux Echos Business, les avocats et juristes en entreprise partagent beaucoup :
- une formation initiale commune,
- des compétences techniques similaires,
- un souci commun de la réussite de l’entreprise …

Cependant, si le passage de la profession de juriste à celle d’avocat n’est conditionnée que par la procédure de passerelle définie par l’article 98 du décret de 1991 organisant la profession d’avocat (8 ans, au moins, de pratique professionnelle au sein d’un service juridique d’une ou plusieurs entreprises et un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle), le passage en sens inverse présente une difficulté qui est plutôt d’ordre culturel.

En effet, il est souvent présupposé (particulièrement en France, à la différence des pays anglo-saxons qui ont une vision moins stéréotypée) que le manque « d’expérience collective » des avocats et l’absence de soumission à un cadre interne, qui collaborent le plus souvent avec leurs pairs et moins avec les acteurs économiques de façon directe (hormis leurs clients), peut compliquer une intégration en entreprise, où l’écosystème est très régulé et les profils des interlocuteurs plus variés.

Or cette vision de l’avocat est aujourd’hui bien surannée. Malgré la conjoncture actuelle qui a tendance à enfermer les entreprises dans une certaine frilosité, qui les rend difficiles à convaincre, un avocat (même indépendant libéral) comme directeur juridique peut constituer un atout indéniable (1), atout qui sera augmenté par le niveau et la variété de ses expériences (2).

I. Un avocat comme directeur juridique.

Se sur-spécialiser dans divers domaines, traiter une grande variété de dossiers, apprendre à travailler sous pression (qui sont des compétences acquises en cabinet, pas seulement anglo-saxons !) peuvent constituer un atout pour une entreprise.
En outre, le directeur juridique doit « aider le management à prendre les bons risques », ce qui implique qu’il doit avoir une vision judiciaire (qui est acquise comme avocat).
Cette mission se décline en outre, autour de deux axes :

-  en tant que « véritable business partner », qui doit comprendre l’ensemble des enjeux des opérationnels (ce que fait maintenant l’avocat détaché au sein de l’entreprise en qualité de Directeur Juridique et/ou de Contract Manager) ;

-  et la stratégie du groupe tout en protégeant les dirigeants et l’ensemble des filiales (vision systémique de l’avocat, voir le précédent article « Contract Management : l’approche systémique pour gérer l’incertitude et la complexité ») qui peut comparer les différents modes de direction juridique pour lesquels il intervient et décèle les éventuels défauts dans la construction et la mise en œuvre des programmes de compliance – notamment sur les nouveaux rôles de la direction juridique).

Le recours à un avocat comme directeur juridique peut constituer un véritable atout, ce qu’ont compris les entreprises du CAC 40.

On peut se souvenir de l’année 2014 où Georges Dirani était parti de chez Herbert Smith (encore un cabinet anglo-saxon !) pour BNP Paribas où il était devenu directeur des affaires juridiques du groupe.

Mais d’autres exemples de directeurs juridiques, anciens avocats (souvent de cabinets anglo-saxons, voire exclusivement !) peuvent être cités (souvent au sein des sociétés du CAC 40) :
Bertrand AUSTRUY (DANONE), François GRAUX, (ENGIE), Mark Rollinge (PSA), Bénédicte BAHIER (LEGRAND), Ian Fitzsimons (PERNOD RICARD), Anne-Sophie LELAY (RENAULT), Antoine VIGNIAL (SAINT-GOBAIN), Eric-Antoine FREDETTE (VALEO), Frédéric CREPIN (VIVENDI) …
M. Christophe Barut (ancien avocat et devenu Directeur Juridique de DELL puis ACCENTURE) évoque dans un article l’excellence de la formation d’avocat prodiguée par l’EFB (Ecole de Formation professionnelle des Barreaux de la Cour d’Appel de Paris) car « on voit la différence chez un juriste d’entreprise ayant une formation d’avocat ».

Confirmant cette opinion, Mme Anne-Sophie Le Lay, ancienne avocate et maintenant Directrice Juridique de RENAULT : « c’est effectivement la meilleure formation juridique parce que le travail, la rigueur, la gestion de certains dossiers et la façon dont les sujets sont rédigés et appréhendés sont excellents  », ce qui sert fortement l’entreprise.

Malgré ces exemples « très ciblés », on constate une réticence culturelle en France. Est-ce imputable à un manque de pragmatisme ? Un cloisonnement des fonctions au détriment d’un fonctionnement systémique ?

II. Le niveau et la variété d’expériences : un atout ou un critère d’exclusion implicite ?

Entre deux et cinq ans d’expérience en cabinet, un avocat est bienvenu en entreprise. A partir de dix ans cela devient plus compliqué d’intéresser les entreprises car le profil leur semble trop marqué.
Sans compter que la rémunération apparaît comme un frein. Les recrutements avec diminution de revenus font peur à une entreprise qui peut craindre, sur le long terme, que ce sacrifice ne pèse sur la motivation de la personne recrutée.

Or, le raisonnement devrait être inverse. Un avocat qui a développé une longue expérience tant judiciaire que juridique, dans des domaines variés, a développé une vision systémique dont peut profiter l’entreprise pour prendre de bonnes décisions. Le coût de son salaire pourra être amortie par la mesure du retour sur investissement (ROI) et les effets de leviers (commerciaux, stratégiques …) déployés pour augmenter l’efficience de l’entreprise en interne mais aussi avec ses partenaires commerciaux.

Qu’est-ce que faire des affaires si ce n’est réussir à prendre les bonnes décisions ? Celles-ci rythment le quotidien des responsables (notamment juridiques) et orientent les activités de leur entreprise.
Or pour prendre de bonnes décisions, il faut avoir plusieurs référentiels que l’on a pu éprouver lors de différentes expériences. Une seule expérience vous donne un seul référentiel et une seule vision.
Les conséquences des décisions prises sont si déterminantes que seule une société qui fait constamment les bons choix, ou du moins les meilleurs choix que ses concurrents, peut être compétitive et prospérer.

Par exemple, le pari d’Apple de développer un baladeur numérique s’est avéré gagnant ! A l’inverse, la fusion entre HP et Compaq a coûté 17 milliards d’euros aux actionnaires de HP. Au même moment le rival DELL était en plein essor.

Si les chefs d’entreprise font de mauvais choix, c’est souvent par ce qu’ils ne disposent que d’informations partielles et qu’il leur est difficile de prévoir quelle sera la conjoncture de demain. Les décideurs manquent parfois de recul qui facilite l’analyse des choix passés. Ils avancent guidés parfois par des données incomplètes, confrontés à des manies individuelles et organisationnelles qui font faire de mauvais choix même aux plus intelligents d’entre eux.

Un cadre monolithique y contribue fortement.

La prise décision doit être considérée comme l’une des activités majeures de l’entreprise. En tant que telle, elle doit obéir à un processus adapté aux circonstances, et nécessite de bien cerner le problème (ce qui implique d’avoir en mémoire les nombreux référentiels évoqués supra).
Une bonne décision dépend de la bonne compréhension des questions qui se posent et de leurs conséquences sur leurs objectifs de l’entreprise. Il est crucial de déterminer la nature du problème et d’avoir ainsi une vision systémique.

Face à un choix, il vous faut évaluer la faisabilité, les risques et les implications de chacune des options qui s’offrent à vous … mais cela ne suffit pas.

La planification et l’anticipation des risques comptent moins que la compréhension et la prise en compte des conséquences de nos actions, paroles et décisions. Face à une décision qui présente un niveau élevé d’incertitude, il faut identifier les zones d’ombre, déterminer les incertitudes qui ont l’impact le plus fort sur les conséquences de la décision et atténuer les incertitudes majeures dans la mesure du possible … Et pour cela, une vision pluridisciplinaire acquise au gré d’expériences variées semble l’unique moyen d’y parvenir.

Cessons donc de nous enfermer dans des schémas déjà établis ! Sortons du cadre …Soyons novateurs … Et audacieux !

Philippe GERARD Avocat à la Cour Contract Manager certifié, Médiateur certifié et Consultant certifié en communication de crise
Comentaires: