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La loi luxembourgeoise autorisant l’exploitation des ressources de l’Espace. Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit.
Parution : vendredi 18 août 2017
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Une toute nouvelle loi luxembourgeoise autorise l’exploitation des ressources de l’Espace. Pour le Luxembourg, il n’est pas question d’appropriation ou de risque d’appropriation des astéroïdes, comètes ou autres corps célestes, ou de souveraineté dans l’espace extra-atmosphérique puisque sa loi ne parle que des ressources.
Mais que prévoit réellement cette loi ? Est-elle vraiment conforme au droit international ?

22 ans après la découverte de la première exo-planète en 1995, l’exobiologie, la science consacrée à la recherche de vie dans l’univers, se développe. Une fois la cartographie de l’Espace faite, assistera-t-on un jour à une colonisation économique de ce dernier avec les conflits prévisibles entre grandes puissances ?

Le Luxembourg n’est pas seulement un paradis fiscal et une plaque tournante du blanchiment d’argent, malgré les dénégations et les protestations de certaines banques et de certains avocats que les scrupules n’étouffent pas.

Le Luxembourg a l’esprit pionnier et regarde le ciel ! Mais à quel prix pour l’environnement ?

Vient d’être adoptée par le gouvernement du Grand Duché du Luxembourg, une loi permettant d’aller prospecter dans l’Espace et d’exploiter sur la Lune, les planètes et les astéroïdes les matières premières, tels les métaux, l’or, le platine, les hydrocarbures, l’eau, bref tout ce qui est susceptible d’aider l’espèce humaine à combler ses besoins en énergie ou à en dépenser un peu plus, nonobstant un recyclage toujours insuffisant ou moins rentable.

Le Luxembourg n’est pas le premier Etat à voter une telle loi. Rappelons la loi américaine Public Law 114-90, Nov 25, 2015, Us Commercial Space Launch Competitiveness Act, qui a été adoptée lors de la présidence de Barack Obama, couvrant les mêmes thèmes.

Le ministre de l’économie luxembourgeois, Etienne Schneider, annonce : « Tout au début, le plus important pour l’instant, c’est la glace qui se trouve sur la Lune ou sur les astéroïdes. On va l’utiliser pour la transformer par exemple en hydrogène nécessaire à refaire le plein des satellites qui se trouvent autour de la Terre. La glace qui se trouve dans l’Espace a déjà une valeur énorme. »

L’ancien directeur de l’Agence spatiale européenne (ESA) Jean-Jacques Dordain, Simon Worden, précédemment à la tête du centre de recherche Ames de la Nasa, et des spécialistes chinois de l’Espace Ji Wu et sud-coréen Seung Jo Kim, seraient les experts patentés du Luxembourg. Des pointures avec les carnets d’adresses en rapport, dans les plus hautes sphères des milieux économiques avides de conquête de l’Espace et d’espaces vierges, regorgeant de ressources naturelles à revendre le prix fort.
On notera la présence de ces représentants d’états asiatiques qui ont bien du retard à combler en matière de respect de l’environnement dans leur propre pays.

Quel est l’exposé des motifs pour ce projet de « new space » ?

L’initiative du Luxembourg est connue sous le terme spaceresources.lu.

Le but affiché est d’élaborer un cadre juridique et règlementaire dédié. Le Luxembourg déclare ainsi apporter une sécurité juridique concernant la propriété de minéraux et des autres ressources de valeur dans l’Espace identifiés en particulier sur les astéroïdes.

Quelle définition le Luxembourg donne-t-il des ressources de l’Espace ?

Les ressources de l’Espace sont communément définies comme étant des ressources abiotiques qui se trouvent in situ dans l’espace extra-atmosphérique et qui peuvent être extraites.
Précisons que les ressources abiotiques sont des ressources inanimées produites naturellement dans l’environnement. Cette notion inclut par exemple les ressources minérales et l’eau mais pas les positions orbitales ou les fréquences.

L’article 1 de la loi luxembourgeoise est particulièrement clair :
« Les ressources de l’Espace sont susceptibles d’appropriation en conformité avec le droit international. »

Après avoir rappelé les principes d’analogie avec les mines et la mer édictés par A. Colin et H. Capitant dans leur tome 1 de « Cours élémentaire de droit civil français », et de François Laurent, dans le tome 6 de « Principes de droit civil français » (des auteurs qui n’en espéraient pas tant…), le Luxembourg soutient que sa loi est conforme au droit international, notamment à l’article II du Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.

Le traité de l’Espace ou traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique y compris la Lune et les autres corps célestes, a été adopté le 19 décembre 1966 par la résolution n°2222 de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il est entré en vigueur le 10 octobre 1967.

Rappelons l’article 1 de ce traité fondateur : « L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. »

Le Luxembourg proclame la compatibilité de sa loi avec le traité international en précisant en effet que seules sont visées dans sa loi les ressources de l’Espace et l’appropriation de ces mêmes ressources en citant même des débats doctrinaux dont foisonne le droit international public.

Pour le Luxembourg, il n’est pas question d’appropriation ou de possibilité d’appropriation des astéroïdes, comètes ou autres corps célestes, de souveraineté dans l’espace extra-atmosphérique puisque la loi ne parle que des ressources.

Le Luxembourg met donc en place un texte juridique permettant de se servir, de prélever, d’exploiter, de forer, tout en affirmant l’impossibilité de s’approprier, sinon le temps de l’exploitation, les lieux où se trouve la cible, en l’occurence les composants énergétiques de l’Espace…

On n’est pas à court d’idées et de films cultes pour imaginer la construction de bases de vie dans l’Espace permettant à un personnel trié sur le volet, formé, d’exploiter des gisements, d’excaver, très probablement à l’aide de robots, bref de transformer astéroïdes et autres morceaux de planètes en mines non pas à ciel mais à espace ouvert !

On imagine plus difficilement la façon dont les ressources énergétiques prélevées peuvent être rapatriées sur la Terre. Quels moyens sont-ils prévus ? Fera-t-on appel à Elon Musk, chantre de l’intelligence artificielle, pionnier déclaré de la conquête future de Mars et surtout un prestataire privé de la NASA, chargé d’un contrat de transport de fret vers la station spatiale internationale (ICS) ?

Quel danger en cas de chute ? En cas de détournement ?

La Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique de 1975 exige l’immatriculation des objets. Mais aura-t-on une police de l’espace veillant à la circulation des engins spatiaux transportant les matières énergétiques ?

Fera-t-on des autoroutes de l’espace ?

La loi luxembourgeoise prévoit un agrément (article 2), une mission définie (article 3), réservé à une personne morale de droit luxembourgeois (article 4), limité dans le temps (article 5), sur la base d’un programme (article 6), des actionnaires agréés de l’exploitant (article 8), le contrôle des compétences de l’exploitant (article 9), la solidité financière de l’exploitant en cas de dommage (article 10).

La loi luxembourgeoise doit aussi respecter la Convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux.

L’article 15 de la loi traite ainsi de la responsabilité de l’exploitant à l’occasion de la mission. « Celle-ci est pleine et entière dès lors qu’un dommage a été causé à l’occasion d’une mission. Sont aussi couverts par cette disposition les dommages causés à l’occasion des travaux et devoirs de préparation de la mission. La responsabilité incombant à l’exploitant en vertu du présent article n’a pas pour objet d’exclure ou de limiter la responsabilité internationale du Luxembourg pour les activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, telle que prévue par les traités et conventions internationales en vigueur comme le Traité ou la Convention sur la responsabilité pour les dommages causés par des objets spatiaux. »

A-t-on même prévu la remise en état des sites creusés et pollués ? Quelle autorité contrôlera le bon respect de cette règle fondamentale ?

L’article 17 prévoit les sanctions pénales en cas de non-respect de la loi.

Mais quelle juridiction est réellement compétente ?
N’assistera-t-on pas à des catastrophes industrielles ?

Le site de France Culture nous confirme que quatre entreprises du secteur spatial ont répondu à l’appel du Luxembourg. Les sociétés américaines Deep Space Industries et Planetary Resources, la société japonaise Ispace et la société germano-luxembourgeoise Blue Horizon sont maintenant installées au Luxembourg, préparant leurs projets. Quels sont-ils exactement ?

Le Luxembourg est devenu actionnaire de Planetary Resources, à hauteur de 25 millions d’euros. L’objectif luxembourgeois est de refaire un partenariat entre le secteur public et le secteur privé initié en 1985 avec la Société Européenne des Satellites, actuellement « SES », dont il détient près de 17% du capital.

Certes l’article 4 du traité de l’Espace interdit la mise en place d’armes nucléaires ou de toute autre forme d’arme de destruction massive sur l’orbite de la Terre, leur installation sur la Lune ou tout autre corps céleste, voire leur stockage dans l’Espace hors la Terre.

Certains Etats dont on connaît la tentation de construire leurs propres règles, risquent néanmoins de s’octroyer des droits.

Quels seront alors les moyens des Etats pacifiques de s’opposer à des Etats ne respectant rien ? Crééra-t-on une force de l’ONU dédiée à l’Espace ?

Reste à savoir si on n’assistera pas en réalité à une colonisation de l’Espace, doublée d’une fantastique militarisation de l’Espace et d’une course aux armements de toute nature.

Ce que l’Homme a fait sur Terre de bien et de mal, est-il reproductible ? Question ingénue ?

Pour le moment, le coût de l’exploitation de l’Espace est prohibitif et laisse un peu de répit.

Saurons-nous renégocier à temps les traités sur l’Espace et y ajouter comme condition préalable la protection de l’environnement ?

N’est-il pas mieux en effet, de légiférer et d’encadrer les activités d’exploitation spatiale plutôt que de voir l’Espace dévalisé et vandalisé par des acteurs privés, dissimulant des Etats peu scrupuleux et mêlant savamment activités civiles et militaires ?

Un Espace Res Nullius n’est-il pas synonyme de proie facile ? De mirage ? De no man’s land juridique ? De ruée vers l’or ?

Le dernier rapport annuel de plus de 300 pages sur « L’état du climat » publié le 10 août 2017 par l’Agence américaine océanique et atmosphérique (NORA) et l’American Meteorological Society (AMS), auquel ont contribué près de 500 scientifiques dans plus de 60 pays, sonne l’alarme sur le changement climatique.

Le 28 juin 2017, le New York Times a publié le "US Global Change Research Program Climate Science Special Report (CSSR)", rédigé par 13 agences fédérales américaines. La publication de ce rapport stratégique, très complet, par le N Y T avait pour objectif de livrer au public, sans aucune censure possible de Donald Trump, les réalités de l’évolution du climat.

Jamais les informations n’ont jamais aussi bien circulé.

A nos parlements de légiférer afin de contrer les convoitises et la commercialisation de l’Espace, ne serait-ce qu’en exigeant des études d’impact très approfondies...
A l’Europe aussi de vérifier qu’un de ses membres, le Luxembourg, respecte bien les traités internationaux.

A suivre…

Bibliographie indicative :

Gouvernement du Grand Duché de Luxembourg - Ministère de l’Economie - Projet de loi sur l’exploration et l’utilisation des ressource de l’Espace
Public Law 114-90-Nov.25, 2015, US Commercial Space Launch Competitiveness Act.

Vincent Ricouleau Professeur de droit -Vietnam - Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)