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La loi marocaine n° 19.12 bascule le secteur du travail domestique de l’informel au formel. Par Mohammed Ait Mouhatta.
Parution : mercredi 16 août 2017
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« Dans le monde, un grand nombre d’enfants sont impliqués dans le travail domestique rémunéré ou non, chez un tiers ou un employeur. Ces enfants sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. Leur travail est souvent méconnu du grand public, ils peuvent se trouver isolés et travailler loin du foyer familial. Les mauvais traitements qui sont infligés aux enfants dans la travail domestique sont beaucoup trop courant. »
Thème OIT 2014 « Étendre la protection sociale : éliminer le travail des enfants ».

Au Maroc le travail domestique des enfants touche, principalement, les filles mineures et particulièrement, celles issues des familles rurales et suburbaines pauvres. Elle sont communément sont appelées « petites bonnes ».

Selon l’Organisation International de Travail (OIT), la bonne réponse au problème du travail des enfants consiste à combiner la protection sociale, l’instruction universelle obligatoire, formelle et de qualité au moins jusqu’à l’âge minimum d’admission à l’emploi, le travail décent pour les adultes et les jeunes en âge de travailler, une législation efficace et un dialogue social fort.

Le dahir n°1-16-121 du 10 août 2016 portant promulgation de la loi n°19-12 relative aux conditions de travail et d’emploi des travailleurs/ travailleuses domestiques, a été publié au Bulletin Officiel n°6493 du 22 août 2016 et est entré en vigueur le 10 août 2017 dans le but de réglementer le travail de cette catégorie sociale et répondre aux exigences des ONG et organismes nationaux et internationaux.

Deux décrets d’application de la loi 19.12 relative au travail domestique ont vu le jour en août 2017.
Le premier décret relatif au "modèle de contrats des travailleurs domestiques" permet de définir les critères et engagements des deux parties (employeur/employé).
Le second décret dresse, quant à lui, la liste des travaux dangereux interdits aux travailleurs de 16 et 18 ans, en complément de celle figurant dans l’article 6 de ladite loi.

Programmée, puis reportée à maintes reprises, la loi 19.12 a cristallisé les divergences, et a été au centre d’un bras de fer opposant le Parti de la justice et du développement (PJD) à des parlementaires progressistes de la majorité ainsi qu’aux groupes de l’opposition. L’un des principaux désaccords concernait l’âge minimum du travail domestique.

A l’origine le projet de la loi 19-12 avait pour objet de compléter le code du travail de 2004, qui stipule en son article 4 la publication d’une loi sur « les conditions d’emploi et de travail des employés des maisons qui sont liés au maître de maison par une relation de travail sont fixées par une loi spéciale » ladite loi devait organiser les relations entre les adultes et réguler le marché du travail domestique.

Cependant, pour répondre à la revendication par la société civile d’une loi spécifique à « l’exploitation des mineur(e)s dans le travail domestique » les porteurs du projet ont intégré la question dans trois articles du projet de la loi 19-12, à la suite d’une recommandation de l’autorité gouvernementale marocaine en charge de l’examen de ce type de texte.

Ainsi, depuis sa première version de 2011 et en raison des obligations internationales et des revendications des ONG, l’attention a été focalisée sur les mineur(e)s au détriment des adultes.

Donc, quelle est la valeur ajoutée de la loi 19-12 relative aux conditions de travail et d’emploi des travailleurs domestiques et quels sont les facteurs internes et externes qui ont influencé son élaboration ?
Pour répondre à cette question, nous traiterons en premier des exigences internationales et nationales et en second nous verrons l’apport juridique de la loi 19-12.

I. Les exigences internationales et nationales.

L’ONU femmes, la délégation des Agences des Nations Unis au Maroc, le Conseil National de Droits Humains et les conseils Economique, Social et Environnemental, la Constitution marocaine de 2011, l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’Union Interparlementaire (UIP) et le Conseil des droits de l’enfant de l’ONU ont constitué les sources de l’inspiration du législateur marocain pour l’élaboration de la loi 19.12 relative aux conditions de travail et d’emploi des travailleurs domestiques.

En septembre 2014, le conseil des droits de l’enfant de l’ONU a auditionné, à Genève, une délégation gouvernementale, sur la situation de la mise en œuvre des dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant au Maroc et a établi et diffusé le rapport de CRC/C/MAR/CO/3-4, dans lequel il demande instamment de :
- prendre immédiatement des mesures vigoureuses pour faire cesser l’emploi des filles comme domestiques dans des conditions abusives, d’assurer à ces filles une éducation, notamment une formation professionnelle et de fournir des informations détaillées dans le prochain rapport périodique sur les mesures prises et les résultats obtenus ;
- veiller à ce que les lois qui interdisent l’emploi d’enfants âgés de moins de 18 ans, y compris le travail domestique, soient effectivement appliquées et que les personnes qui exploitent les enfants soient dûment sanctionnées ;
- renforcer l’inspection du travail : autoriser par la loi les inspecteurs à entrer chez les particuliers et accorder la priorité à des interventions visant à faire cesser l’exploitation économique des enfants ;
- songer à ratifier la Convention n° 189 (2011) de l’OIT sur les travailleurs et travailleuses domestiques ;
- solliciter à cet égard l’assistance technique du programme international sur l’élimination du travail des enfants de l’OIT.

Suite à la conférence co-organisée à Marrakech, en mars 2002, sur le thème "Pour la mise en œuvre de la convention 182 de l’OIT", l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et l’Union Interparlementaire (UIP) ont édité le "Guide pratique à l’usage des parlementaires" qui tente de montrer comment une action concertée et déterminée, réunissant dans un même élan divers ministères et acteurs de la société, dont les parlementaires, ayant un rôle particulièrement important, peut favoriser l’élimination des pires formes de travail des enfants en un laps de temps relativement court.

Dans ses articles 31 et 32, la Constitution marocaine de 2011 définit respectivement les obligations de l’Etat, des Etablissement publics et des collectivités locales vis-à-vis des citoyens et citoyennes, en matière des prestations et aussi vis-à-vis de l’enfant, lui assurant une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale abstraction faite de sa situation familiale.

Le conseil National de Droits Humains et les conseils Economique, Social et Environnemental saisis par la Chambre des Conseiller en septembre 2013, dans le cadre du premier examen du projet de la loi 19.12 ont émis des avis clairs et sans réserve sur l’interdiction du travail domestiques aux moins de 18 ans en se basant sur l’article 3 de la convention 189 de l’OIT.

La délégation des Agences des Nations Unis au Maroc a interpellé, par la voix de son délégué au Maroc, le chef de gouvernement et les présidents des deux chambres du Parlement pour rappeler l’obligation du Maroc à respecter les conventions ratifiées et à fixer l’âge minimal à 18 ans.

L’ONU femmes, entité des Nations Unis pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes a également interpellé les présidents des deux chambres du parlement marocain sur les dangers que représente pour les filles mineures, l’exploitation dans le travail domestique et a demandé de fixer à 18 ans (minimum) l’accès au travail domestique.

II. L’apport juridique de la loi 19-12.

Malgré la polémique sur l’âge de 16 ans de certains travailleurs domestiques, la loi 19-12 respecte les normes internationales.
Elle a le mérite d’avoir été créée pour contribuer à faire basculer le secteur du travail domestique de l’informel au formel.
C’est la première fois que le Maroc légifère pour cette catégorie de la population, qui accomplit des tâches domestiques.

Le Maroc est le seul pays arabe à disposer d’une loi encadrant un secteur qui connaît un vide juridique.
La loi en question intervient en harmonie avec les normes internationales du travail et a donné plus d’importance aux mineurs âgés entre 16 et 18 et vise à garantir un niveau satisfaisant de protection à cette catégorie de travailleurs, et ce en interdisant l’emploi de travailleurs domestiques âgés de moins de 16 ans, outre l’interdiction d’employer les enfants âgés entre 16 et 18 ans dans des tâches domestiques dangereuses pour leur santé physique et mentale et d’effectuer obligatoirement des visites médicales tous les six mois.

De même, cette loi inclut plusieurs autres droits qui contribuent à améliorer les conditions des travailleurs domestiques en fixant la période d’essai, la durée de travail, les jours de repos hebdomadaires, le congé annuel, les congés payés et les indemnités de licenciement, l’instauration d’un salaire minimum de 60 pour cent du SMIG ou 1.542 Dirhams mensuel et la généralisation de l’inscription des employés de maison à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS).

Pour une bonne application de cette loi, un modèle de contrat de travail a été adopté dans le but de respecter les obligations internationales et en particulier le respect de l’article de la Convention relative au travail décent des travailleurs domestiques.
En cas de litige, l’inspecteur de travail peut convoquer l’employeur et l’employé pour une réconciliation ou en cas d’échec, rédiger un procès verbal transmis au tribunal.

Le non-respect des dispositions de la présente loi expose les contrevenants à des amendes prévues aux articles 23 et suivants de la loi 19-12 qui peuvent atteindre 30.000 Dirhams.

D’après les acteurs associatifs marocains, cette législation n’aura pas d’impact si elle n’est pas accompagnée de compagnes de sensibilisation auprès du grand public afin d’empêcher les enfants d’être employés. En parallèle il faudrait soustraire les enfants engagés, les réadapter, les intégrer dans le système scolaire et enfin fournir des subventions aux familles des enfants les plus touchés.

Mohammed Ait Mouhatta. Master en Droit Public Doctorant en Droit public et sciences politiques, Laboratoire EPGOT , FSJES Mohammedia, Maroc
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