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Le nouveau divorce par consentement mutuel : un travail d’équipe. Par Eric Tigoki, Avocat.
Parution : mardi 22 août 2017
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Avec le divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, la loi n°2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle [1], promulguée le 18 novembre 2016 par le Président de la République et publiée au Journal Officiel le 19 novembre 2016, bouscule le droit de la famille [2].
Depuis le 1er janvier 2017 en effet, il est possible de divorcer sans passer devant le juge aux affaires familiales, dès lors que les deux conjoints sont d’accord sur le principe de la séparation et ses conséquences. Cet accord est constaté par une convention qui prend la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l’article 1374 du Code civil.

Le divorce ne devient cependant effectif qu’après enregistrement de la convention au rang des minutes d’un notaire [3] ; formalité qui lui confère alors date certaine et force exécutoire.
Il existe toutefois deux cas où le divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats est exclu : lorsque l’un des époux est un majeur protégé (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, habilitation familiale, mandat de protection future) et lorsque l’enfant mineur demande son audition par le juge [4].
Il s ’ensuit une évolution du rôle de bien des acteurs habituels du divorce, exclusion faite des époux : recul voire retrait du juge aux affaires familiales [5] ; extension corrélative du rôle des avocats [6]. Avec pour ces derniers une implication de taille, qui tient à la nécessaire collaboration des deux avocats sollicités par les époux. Tout en défendant, chacun, les intérêts de son client, ils sont appelés à travailler en tandem. Sans pour autant jouer aux marionnettistes de l’ombre, c’est en véritable duo qu’ils doivent traduire en acte la volonté des époux. En somme, d’eux sont attendus une attitude et un comportement proches de ceux des acteurs des modes alternatifs de règlement des différends.
Seront successivement envisagées : la nécessité du travail d’équipe (I) et la manifestation du travail d’équipe (II).

I- La nécessite du travail d’équipe

Ce travail d’équipe est nécessaire pour au moins trois raisons, qui tiennent à la nature de cette convention, à la responsabilité des avocats et à la disparition du filtre juridictionnel.

A - La convention de divorce est un contrat. Comme tel, sont nécessaires à sa validité : le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain [7]. Dès lors, elle est susceptible d’être attaquée voire annulée, eu égard notamment aux conditions de son élaboration. L’on songe par exemple aux hypothèses de violences (notamment psychologiques) ou de réticences dolosives. Il importe, à ce dernier égard, de rappeler que les époux sont tenus par un devoir précontractuel, qui fait obligation au détenteur d’une information déterminante pour le consentement de l’autre de l’en informer [8].

B- Le tandem doit d’autant mieux fonctionner que la responsabilité des co-rédacteurs de l’acte peut être engagée. Clairs sont de ce point de vue les termes de l’article 7.2 du RIN : « L’avocat rédacteur d’un acte juridique assure la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les précisions des parties. Il refuse de participer à la rédaction d’un acte ou d’une convention manifestement illicite ou frauduleux. Sauf s’il en est déchargé par les parties, il est tenu de procéder aux formalités légales ou réglementaires requises par l’acte qu’il rédige et de demander le versement préalable des fonds nécessaires ». D’autant qu’en le contresignant, l’avocat atteste avoir éclairé son client sur les conséquences juridiques de l’acte.

C- Enfin, autrefois effectué par le juge aux affaires familiales, c’est aux avocats qu’il incombe désormais de s’assurer de la réalité de la volonté des époux, de leur consentement et de la préservation des intérêts en cause. Car, comme le rappelle l’article 229-3 du Code civil : « Le consentement au divorce et à ses effets ne se présume pas ». En somme, cette disparition de l’homologation judiciaire, preuve de la confiance accordée ici aux avocats, les oblige davantage.

Nécessaire, ce travail d’équipe l’est en effet tout au long du processus.

II- La manifestation du travail d’équipe

Cette collaboration doit s’exprimer aux différentes étapes majeures du processus : négociations, rédaction du projet, envoi du projet aux conjoints, dépôt de la convention chez le notaire et transcription.

A- Tout d’abord, au moment de la rédaction. A l’instar de ce qui est prévu pour le divorce par consentement mutuel judiciaire, un projet de convention réglant notamment les effets du divorce est rédigé par les soins des deux avocats. A peine de nullité, il comporte :
1° Les nom, prénoms, profession, résidence, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des époux, la date et le lieu de mariage, ainsi que les mêmes indications, le cas échéant, pour chacun de leurs enfants ;
2° Le nom, l’adresse professionnelle et la structure d’exercice professionnel des avocats chargés d’assister les époux ainsi que le barreau auquel ils sont inscrits ;
3° La mention de l’accord des époux sur la rupture du mariage et sur ses effets dans les termes énoncés par la convention ;
4° Les modalités du règlement complet des effets du divorce ;
5° L’état liquidatif du régime matrimonial, le cas échéant en la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière, ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation ;
6° La mention que le mineur a été informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1 du Code civil et qu’il ne souhaite pas faire usage de cette faculté [9].

D’autres clauses peuvent y figurer. Quelles qu’elles soient, chacune d’elles exige de l’avocat non seulement une vigilance nécessaire à la défense des intérêts de son mandant, mais également un travail d’équipe indispensable pour donner son plein effet à l’acte.
Bien qu’il faille s’en assurer, le recours à ce divorce suppose un accord des conjoints sur le principe de la séparation et sur ses effets. Lorsqu’ils en ont connaissance, c’est aussi pour la rapidité dont il est crédité que les époux décident de recourir au divorce par consentement mutuel [10].

De sorte qu’il serait fâcheux que le processus s’étire et se complexifie, à la suite d’un défaut de franche collaboration entre les avocats. Tel serait par exemple le cas si les deux professionnels se livraient quelque bataille juridique dont l’intérêt serait étranger à celui des époux [11].

B- Relativement aux autres étapes du processus, c’est surtout par la disponibilité (et la réactivité) de l’un et l’autre que pourrait se manifester ce travail d’équipe. Trois exemples, parmi d’autres.

D’une part, lorsqu’il faut convenir d’une date de rendez-vous. L’on sait qu’il est nécessaire d’en prévoir au moins deux pour les quatre protagonistes : l’une pour les échanges [12] ; l’autre pour la signature de la convention [13]. Pour peu que l’un des deux avocats excipe d’un agenda chargé pour ne pas avoir de date, c’est toute la machine qui s’en trouvera grippée.

D’autre part, lorsqu’il faut solliciter d’autres professionnels. Outre en effet le Notaire, incontournable pour l’enregistrement de la convention [14], il peut être utile de s‘entourer d’autres professionnels. Il en va par exemple ainsi d’un expert-comptable.
Enfin, pour accomplir les diligences ultérieures : envoi de la convention au notaire (pour dépôt au rang de ses minutes) [15] ou à la mairie pour transcription [16] et, le cas échéant, accomplissement de la formalité d’enregistrement.

Nombreuses sont les réserves suscitées par cette réforme, qu’il a fallu surmonter à défaut de les dissiper. Aux avocats, en particulier par la qualité de leur collaboration, de donner raison au législateur.

Eric TIGOKI Avocat au barreau de Paris Docteur en droit Chargé d’enseignement de droit public à l’Université d’Evry Val d’Essonne

[1Outre la loi, au nombre des textes de référence figurent notamment : - Le décret n°2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l’article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale, JO du 29 décembre 2016 ; - L’arrêté du 28 décembre 2016 fixant le modèle de l’information délivrée aux enfants mineurs capables de discernement dans le cadre d’une procédure de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire, JO du 29 décembre 2016 ; - Décret n°2016-1876 du 27 décembre 2016 portant diverses dispositions relatives à l’aide juridique, JO du 28 décembre 2016 ; - Arrêté du 20 janvier 2017 relatif aux tarifs réglementés des notaires, JO du 6 janvier 2017 ; - Circulaire du Ministre de la Justice du 26 janvier 2017 portant présentation des dispositions en matière de divorce par consentement mutuel et de succession issues de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 et du décret n°2016-1907 du 28 décembre 2016 ; - Dépêche du 20 janvier 2017 relative à l’aide juridictionnelle dans le cadre de la réforme du divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire.

[2Sur la réforme, voir notamment : Gazette du Palais, 11 avril 2017- N° Hors-série ; C. BRENNER, Le nouveau divorce par consentement mutuel : retour à l’an II ? JCP N2017, act., 262 ; J. CASEY, Divorce par consentement mutuel sans juge : ce serait drôle si ce n’était pas triste, Lexbase, 19 mai 2016 ; Le nouveau divorce par consentement mutuel : une réforme en clair-obscur, AJ Famille, février 2017 ; A. FAUTRE-ROBIN et C. BERANGER, Le divorce sans juge : regards croisés sur une réforme controversée, RJPF, 2017 1/11 ; H. FULCHIRON, Divorcer sans juge - à propos de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIème siècle, JCP G 2016, 1267 ; A. LEBEL, Réforme du divorce par consentement mutuel : qui a peur du grand méchant loup ? SAF, La lettre, mai 2017, p. 9

[3Article 229-1 du Code civil : « Lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l’article 1374 »

[4Article 229-2 du Code civil : « Les époux ne peuvent consentir mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats lorsque : 1° Le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1, demande son audition par le juge ; 2° L’un des époux se trouve placé sous l’un des régimes de protection prévus au chapitre II du titre XI du présent livre ».

[5Retrait, puisque la validité de l’acte n’est pas subordonnée à l’homologation judiciaire ; recul, dans la mesure où l’on retrouve le juge pour régler le contentieux né de l’accord ou en cas de révision.

[6Quant au notaire, les textes, ici, lui assignent un rôle : celui d’enregistrer la convention au rang de ses minutes, après avoir effectué le contrôle du respect : - des exigences prévues aux 1 à 6 de l’article 229-3 du Code civil ; - du délai de réflexion de 15 jours.

[7Article 1128 du Code civil.

[8Article 1112-1 du Code civil : « Celle des parties qui connait une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore ou fait confiance à son co-contractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette partie de prouver qu’elle l’a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».

[9Article 229-3 du Code civil.

[10Comme le rappelait Madame Laurence ROSSIGNOL, alors ministre des Familles, de l’enfance et des droits des femmes, les divorces par consentement mutuel sont « prononcés dans un délai de 3,5 mois en moyenne (3 et 7 mois selon les juridictions) à partir de la saisine du juge contre 5 semaines maximum avec la nouvelle procédure, dont 15 jours correspondant au droit de rétractation. Premier avantage donc : la rapidité. Il s’agit d’un gain de temps précieux à une période où les époux reconstruisent leur vie. Par exemple, cette procédure met fin aux difficultés d’acquisition d’un nouveau logement, alors que les banques refusent de prêter de l’argent tant que le divorce n’est pas prononcé. Cela permettra également à une femme victime de violences de se libérer rapidement de son agresseur, plutôt que de devoir être confrontée à lui durant de longs mois. », Gazette du Palais- Mardi 11 avril 2017-N° Hors - série, p. 55.

[11Intéressants sont ici les propos de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, alors Garde des Sceaux, ministre de la Justice à propos de l’effacement du juge dans cette procédure de divorce. « Lorsque les époux consentent à leur divorce, et que leurs volontés concordent sur le règlement de ses conséquences, pourquoi leur imposer la tutelle d’un tiers, dont l’arbitrage n’est pas requis ? », Gazette du Palais- Mardi 11 avril 2017- N° Hors-série p. 20 ; Voir aussi ceux de M. GRIMALDI pour rassurer les avocats relativement à leur responsabilité. « L’avocat n’est pas responsable du divorce décidé par les époux pas plus que des suites que ceux-ci sont convenues de lui donner. Simplement, il doit, d’une part, veiller à la validité et à l’efficacité de la convention pour laquelle son assistance est requise, et, d’autre part, éclairer le consentement des époux afin que ceux-ci ne s’engagent qu’en parfaite connaissance de leurs droits » ; Liberté contractuelle et ordre public de la famille, Gazette du Palais- Mardi 11 avril 2017- N Hors-série p. 14.

[12Elle permettra par exemple de confirmer l’opportunité de la procédure retenue, de donner l’information sur l’ensemble des points de la convention.

[13« La convention de divorce est signée par les époux et leurs avocats ensemble, en trois exemplaires. Le cas échéant, y sont annexés le formulaire signé et daté par chacun des enfants mineurs, l’état liquidatif de partage en la forme authentique et l’acte authentique d’attribution de biens soumis à publicité foncière. Chaque époux conserve un original de la convention accompagné, le cas échéant, de ses annexes et revêtu des quatre signatures. Le troisième original est destiné à son dépôt au rang des minutes d’un notaire. Le cas échéant, un quatrième original est établi, dans les mêmes conditions, pour permettre la formalité de l’enregistrement. » article 1145 du Code de procédure civile.

[14Encore faut-il préciser qu’il peut intervenir à un autre titre, en particulier lorsqu’il a à rédiger un acte, dans le cas d’une liquidation qui comporte des biens immobiliers, dans le cas d’une prestation compensatoire qui porte sur un bien immobilier.

[15« La convention de divorce et ses annexes sont transmises au notaire, à la requête des parties, par l’avocat le plus diligent, aux fins de dépôt au rang des minutes du notaire, dans un délai de sept jours suivant la date de la signature de la convention. Lorsqu’elles sont rédigées en langue étrangère, la convention et ses annexes sont accompagnées d’une traduction effectuée par un traducteur habilité au sens de l’article 7 du décret n° 2007-1205 du 10 août 2007. Le dépôt de la convention intervient dans un délai de quinze jours suivant la date de la réception de la convention par le notaire. » article 1146 du Code de procédure civile.

[16« Mention du divorce est portée en marge de l’acte de mariage ainsi que de l’acte de naissance de chacun des époux, à la requête de l’intéressé ou de son avocat, au vu d’une attestation de dépôt délivrée par le notaire. L’attestation mentionne l’identité des époux et la date du dépôt (…). » Article 1147-1 du Code de procédure civile.

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